mardi 19 mai 2015

Canned Heat and John Lee Hooker "HOOKER'N'HEAT (1970)

 En ce mois de mai 1970, le 3 plus précisément, un Lundi, temps couvert, John Lee Hooker, légende vivante du blues mais un peu au creux de la vague à ce moment là, entre au studio Liberty de Los Angeles, 221 Ocean Street, avec Canned Heat, alors au sommet de sa popularité. Fondé en 1965 par 2 passionnées de blues, Bob « the bear » Hite (l'ours en référence à sa corpulence - collectionneur de disque de blues) et Alan « Blind Owl » Wilson (la chouette aveugle, rapport à sa myopie, surnom donné par son ami John Fahey ; Wilson passionné de blues était sorti major de l'université de Boston en musicologie; il aida à la redécouverte de bluesmen comme Bubka White ou Son House qu'il accompagne d'ailleurs sur 3 titres de l'album "Father of the delta blues" . Canned Heat a connu 2 gros hits "On the road again" (1968) et "Going up the country" (1969), titre que l'on retrouve dans la bande son du fameux road movie hippie "Easy rider" de Denis Hopper, ils ont également fait un tabac à Woodstock. En 1969 ils ont sorti le double album "Living the blues" avec notamment un énorme morceau live typique de l'époque qui occupait 2 faces du second 33 tours « Refried boogie » .

Un Canned Heat qui doit beaucoup à Hooker, ainsi ce « refried boogie » n'est qu'une relecture rock et électrifiée du "Boogie Chillun" du maître (ce même riff qui a dû servir aussi de trame aux barbus texans de ZZ Top pour leur tube « La grange »). L'époque verra d'autres collaborations entre légendes du blues et jeunes blancs comme "Fathers and sons", rencontre de Muddy Waters et du Butterfield blues band, Muddy et Johnny Winter sur les derniers albums de Muddy un peu plus tard, Sonny Boy Wiliamson et les Yardbirds ou Howling Wolf et  Clapton, mais celle-ci est sans conteste la plus réussie, sans doute grâce à l'admiration mutuelle entre le vieux black et ses disciples et l'évidente filiation musicale. Hooker lui-même avait déjà rencontré un groupe blanc, les british des Groundhogs de Tony McPhee, issus de la mouvance british blues, les Hogs lui servant de backing band lors de sa tournée anglaise de 1965, ils enregistrèrent même un disque ensemble, non indispensable ; préférez "Split" des Groundhogs.

John Lee commence seul à la guitare sur les 9 premiers titres, s'accompagnant de son foot stomp caractéristique (battement du pied- une petite anecdote dont vous êtes friands à ce sujet : John Lee arriva en studio sapé comme un prince, dont des chaussures neuves, résultat au bout de 2 jours de prises, des ampoules carabinées, sur les titres 3 et 7 du premier cd c'est le patron du label Alvin Bennett qui tape du pied, et tout amateur éclairé reconnaître facilement la différence) et parfois d'un harmonica ; il est rejoint ensuite par Alan Wilson à l'harmo + piano et guitare pour 2 titres sublimes ou la complicité entre les 2 est éclatante, enfin tout le band (Henry Vestine guitare, Antonio de la Barreda basse et Fito de la Parra drums) se joint a eux pour le second cd qui va crescendo pour terminer en apothéose avec les 11 minutes de "Boogie Chillun", boogie incandescent. Ce sont ces 5 derniers titres, 32 minutes, qui font vraiment décoller ce disque. John Lee n'a jamais été aussi bien accompagné que par cette boogie machine infernale qu'était Canned Heat, sans doute le groupe de rock blanc ayant le mieux capté l'esprit du blues. Il faut dire que Bob « the bear » Hite, le chanteur du groupe était un véritable historien du blues et vouait une énorme admiration à John Lee et aux pionniers du blues, il s'efface d'ailleurs ici laissant chanter John Lee et se contentera de coproduire le disque. Si les blanc becs sont un peu intimidés au début, John Lee les mettra de suite à l'aise, sortant de son vieux pardessus râpé une bouteille de Bourbon... D'ailleurs dans ses mémoires Artemus Blackwell, légendaire preneur de son chez Liberty et papa de Liza Blackwell dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes, racontera que l'ambiance fut chaude et les soirées bien arrosées, John Lee et le Heat jammant jusqu'à pas d'heures parfois avec d'autres musicos du label de passage comme John Fogerty et Captain Beefheart (si ces bandes existent ce serait sympa de les sortir un jour) .

Canned Heat et John Lee s'étaient déjà croisés sur quelques concerts comme le 22 Septembre 1966 à Tupelo (où une panne de courant due à un orage les obligea à terminer le concert en acoustique et sans micro) et le 12 Avril 1968 à l'université de Berkeley  lors d'une soirée mémorable où Jim Morisson et ses Doors firent scandale. Après la sortie de Hooker'n' Heat , ils se retrouveront pour un tour d'où sera tiré "Live At The Fox Venice Theater", un enregistrement sans grand intérêt, enregistré au milieu des 70's, et avec John Lee que sur quelques titres.

Hooker et Wilson (blindowl.net)
A noter que ce disque sera le dernier enregistrement de Alan Wilson, formidable harmoniciste (Hooker dira de lui que c'était le meilleur qu'il ait côtoyé) et vraie tête pensante du groupe, c'est lui qui chantait sur le hit intemporel du Heat, "on the road again", avec son timbre de voix si particulier.
Alan mourra quelques mois plus tard d'une overdose de somnifères, Hite le rejoindra en 81, victime de l’héroïne, Vestine en 97 lui c'est tabac + alcool mais Canned Heat se relèvera de tous ces drames, Fito de la Parra a d'ailleurs écrit l'histoire du groupe dans un bouquin, traduit en français mais difficilement trouvable, il nous apprend notamment que drogues et alcools étaient interdits au sein du groupe, m'est avis que cela n' a pas été très respecté... déjà le nom du groupe vient de "canned heat blues" une chanson de1928 du bluesmen Tommy Johnson (canned heat désignant un alcool pur et hautement dangereux qui fit des ravages durant la prohibition).
Canned Heat tourne encore autour de son batteur historique et dernier rescapé, sortant des albums de bonne facture comme "Friends in the can", loin cependant de leur sommet "Boogie With Canned Heat".
Cet album relancera la carrière de John Lee qui sortira ensuite d'excellents albums comme "Endless Boogie" (1970) et lui ouvrira la porte d'un plus large public, celui majoritairement blanc du rock psyché. John Lee enregistrera jusqu'à la fin de sa vie, il sera un des bluesmen les plus prolifiques, avec - vu la quantité, pas loin de 100 disques !! - une qualité inégale, mes préférés restant "It Serves You Right To Suffer" et "Live at Café  au Go-Go".
Il connut aussi un beau succès dans les années 90 avec "The Healer" et "Mr Lucky" (89 et 91), 2 disques avec des invités prestigieux comme Keith Richards, Santana, Bonnie Raitt, Ry Cooder, Johnny Winter venus lui rendre un hommage mérité.
Petite anecdote pour finir, lue dans les notes de la pochette, les Stones arrivant aux States lors de leur première tournée américaine; question de Jagger à un reporter : " ù peut on trouver Muddy Waters", une de leurs idoles, à sa grande surprise et déception la réponse fut : "qui ça ?". Ceci illustre l'importance sur la (re)découverte des grands bluesmen souvent ignorés dans leur propre pays qu'eurent les groupes rock anglais (Stones, Animals, Bluesbreakers de Mayall...) ou américains (C.Heat, les Doors, Big Brother..).
Pour en finir avec ce Hooker'n'Heat, si je l'aime beaucoup  l’honnêteté oblige à reconnaître qu'il est un peu en dessous des meilleurs albums de John Lee et du Heat pris séparément, ou alors c'est qu'on attend trop d'une telle rencontre, en tout cas cela reste un document exceptionnel d'une époque et un sacré disque de boogie blues..

Rockin-JL

cd 1 10 titres 41:11
cd2 7 titres 45:23
( rechercher l'édition du label français Magic Records , avec un beau digipack livret et 2 bonus 
tracks)

1 commentaire:

  1. Personnellement, et pour énormément aimer John Lee Hooker, je considère qu'il s'agit de son meilleur enregistrement. Le son est excellent, les morceaux magnifiques, et lorsqu'il est accompagné, c'est par un groupe de tout premier ordre. Hooker en enregistra d'autre, certes, mais c'est sur ce disque que je le trouve le plus expressif, le plus électrique, et qui rend le plus justice à son jeu de guitare.

    RépondreSupprimer