- Tiens M'sieur Claude, un petit détour par Chopin… Heuuu, j'ai entendu
dire que ces scherzos étaient injouables sauf par des extraterrestres… hi
hi hi...
- En pleine forme Miss Sonia… Non Maurizio Pollini et ses confrères ne
viennent pas de la planète mars… Mais, oui, ce ne sont pas des pièces pour
amateurs…
- C'était pour plaisanter, d'où vient cette réputation alors ?
- Le premier scherzo et ses 1000 mesures à 3 temps se joue en une petite
dizaine de minutes, une vélocité inimaginable, la noire à 360 !!
- Ah je vois, des pièces de virtuosité absolue alors, pour gymnastes du
clavier…
- Et bien oui et non, derrière cette difficulté technique un peu folle,
nous écoutons une musique volubile, pleine de feu, d'émotion dans les
trios…
Alfred Cortot
parlait de danses folles et terrifiantes à propos de ces Scherzos de
Chopin… Terrifiantes par leurs difficultés techniques qui les réservent aux
pianistes les plus chevronnés, en un mot aux surdoués du clavier. "Danses
folles" car derrière la prouesse technique exigée des pianistes, le
compositeur livre ses angoisses existentielles en opposition avec sa fureur
de vivre. Danse macabre, infernale… on se perd assez vite à le recherche du
vocabulaire adéquat pour exprimer la force diabolique qui jaillit de ces
pièces.
Le Scherzo est pourtant une forme a priori sans surprise, simple et
symétrique (ABA), et les commentateurs à l'esprit chagrin diront : le
mouvement bouche-trou de détente que les musiciens casent avant le final
d'une symphonie, pour que le public se repose les neurones. Et cette forme,
héritée de l'antique menuet,
Chopin
la transcende pour créer une œuvre autonome, férocement élaborée ou
délicatement fantasque dans le 4ème de la série. Oui, élaborée,
quand par curiosité on parcourt les 17 pages (!) du Scherzo N° 1 et ses
portées noires de notes. On s'amuse de la légende qui raconte que cette
partition aurait été écrite lors d'une nuit de détresse morale à Vienne. Une
nuit ? Ok, il est surdoué le
Chopin
avec sa plume d'oie, mais coucher en quelques heures des milliers de notes à
la lueur de chandelles… Par contre cette anecdote témoigne de la fascination
que l'on éprouve à l'écoute de ces merveilles à la spontanéité et à
l'énergie fulgurantes.
Pour présenter un enregistrement, je n'ai que l'embarras du choix. La
plupart des virtuoses spécialistes de
Chopin
ont gravé ce carré gagnant :
Ivo Pogorelich,
Samson François,
Arthur Rubinstein,
Ivan Moravec,
Vladimir Horowitz,
Nikita Magaloff, etc. Et l'album de
Maurizio Pollini
de 1991 étant toujours
disponible, je n'hésite pas une seconde. Une version des plus inspirée, une
prise de son moderne, critiques dithyrambiques (pas toujours), 25 ans au
catalogue et au prix fort !!! Un must parmi d'autres must !
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Maurizio Pollini et Claudio Abbado |
Né en 1942, le jeune pianiste précoce suivra ses études de piano et de direction d'orchestre à Milan, sa ville natale. Après son succès au concours Chopin en 1960, il s'éloigne un temps des salles de concert pour se perfectionner auprès de Arturo Benedetti Michelangeli, virtuose taciturne avec lequel on ne transige ni avec l'esprit ni avec la lettre. Cet artiste mythique prenant peu d'élèves, on peut toujours se demander comment certains voient dans Pollini un artiste au jeu froid, voire ennuyeux !! Il est vrai que le pianiste est guère expansif, surtout dans les tabloïds.
Dans les années 70,
Pollini-Abbado-Berio
formeront un trio d'amis au service de la musique comme vecteur culturel
dans toutes les couches sociales. Au-delà de cette démarche pédagogique, les
trois hommes, humanistes et le cœur plutôt à gauche, assureront la création
d'ouvrages d'avant-garde dont un concerto pour piano et 22 instruments de
Berio.
Pollini
jouera aussi des créations de
Stockhausen.
Le pianiste a joué sur les scènes les plus prestigieuses et avec les
orchestres de renom comme les
philharmonies
de
Berlin
ou de
Vienne. Il a gravé une belle discographie dans un répertoire vaste : de
Beethoven
à
Prokofiev, en passant par
Schumann
et bien entendu
Chopin…
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9 mesures en... 5 à 6 secondes XXXX |
Diapason
écrivait à l'époque de la publication de ce CD "Pollini
établit mystérieusement toute une spiritualité. Le plus énigmatique, le
mieux préservé des artistes de notre temps s'efface jusqu'au sublime,
pour que Chopin existe à l'extrême."
On ne serait mieux dire comment, malgré les critiques (minoritaires),
Pollini
et
Chopin
entre dans une symbiose, comment l'interprète redécouvre un compositeur dont
le temps à substituer une image un peu fade à la vision que l'on doit avoir
d'un jeune chien fou, d'un écorché vif.
Les adeptes d'un
Chopin
souffreteux, languissant, hyper romantique seront donc déçus. Il y en a qui
ont toujours trouvé le jeu de
Pollini
sec et froid dans
Chopin. Dans ce cas, expliquez-moi comment cet artiste à remporté à 18 ans le
prestigieux premier prix
Chopin
de Varsovie en 1960* ? Certes toutes les sensibilités ont droit à
l'expression. Ces détracteurs pourront chercher une interprétation plus
suave, plus brillante. Mais de grâce, essayons d'imaginer
Chopin
comme un jeune homme hypersensible, faisant corps avec son piano, ciselant
comme le fait le pianiste italien chaque note ; en un mot fonçant dans la
moulure de ces pièces survoltées.
On attend d'un italien une lumière vénitienne qui n'existe pas dans la
musique du polonais extraverti (si tant est que cet ami du chaleureux
Abbado
soit une caricature de l'italien volubile et jovial). Et en cela
Pollini
s'efface comme disait Diapason pour restituer les affres de
Chopin, ses excès de joie ou de mélancolie. La musique de
Chopin
tend vers l’expressionnisme bien plus que le figuratif. Les
Scherzos
ne sont ni les valses ni les mazurkas destinées à égailler les soirées
mondaines. Ce sont des œuvres énigmatiques, parfois douloureuses.
(*)
Arthur Rubinstein, grand interprète de
Chopin, présidait cette année là le concours et conclut par "ce gamin est capable de jouer mieux que n'importe lequel d'entre nous,
membres du jury…"
Pour extérioriser ses interrogations les plus sécrètes,
Chopin
ne pouvait guère recourir à la forme
Ballade
ou
Nocturne
à caractère poétique même si il a pu insinuer une grande intimité dans ces
œuvres.
Valses
et
Mazurkas
? N'y pensons pas ! Le génie va éclore dans ses
scherzos, une forme tellement plus impersonnelle que toute la gamme des sentiments
pourra exploser en toute liberté. L'écriture va s'étaler sur une dizaine
d'années : le
1er
sera composé par un jeune homme de 21 ans en
1831. Le
4ème et dernier, moins tourmenté et en mode majeur murira sur la période
1841-1842.
Les quatre sont passionnants,
mais écoutons en détails ces deux ouvrages extrêmes du groupe.
Scherzo n° 1 en si mineur, op. 20
: Deux accords violents, dramatiques, un coup de poing dans le mur. Le
clavier s'envole dans une cavalcade démoniaque.
Chopin
vient d'apprendre la répression sanglante de l'insurrection polonaise par le
Tsar de Russie. Une fois de plus sa patrie souffre… Avec un tempo serré,
Maurizio Pollini
traduit fébrilement la rage et la douleur de
Chopin. Chaque motif se précipite, semble hésiter au bord d'un précipice. Quelle
tension empreinte d'impuissance, de désarroi. Et le jeu heurté
(volontairement) du pianiste souligne cette rage. Malgré un tempo vif,
toutes les notes jaillissent avec élégance et fluidité, sans confusion. Un
jeu staccato bien entendu (trop disent certains), mais l'écriture ne laisse
aucune alternative à l'interprète. Il y a comme une véhémence teintée de
chagrin dans cet élan pianistique. Le trio n'interrompt pas le discours, il
apparaît par un simple enchaînement comme une continuité de la pensée du
compositeur : une douce complainte qui contraste avec la folie de notes qui
vient de nous assaillir.
Maurizio Pollini
caresse le clavier, imagine une insolite berceuse illuminant la mélodie
antithèse du tumulte introductif. Une note forte déchire la méditation. Une
note isolée qui prépare au retour du thème du scherzo repris avec férocité.
Chopin libère le Scherzo de son carcan formel. Ce n'est pas une reprise da capo au
sens stricte à la
Bruckner. Le dramatisme semble encore plus exacerbé qu'au début de la pièce. Une
coda infernale conclut ce scherzo par ses suites d'accords fortissimo et
combatifs.
Pollini
sec et froid ? Non ! Volontaire et sans concession dans le scherzo, poète et
méditatif dans le trio…
Scherzo n°4 en mi majeur, op. 54
: dix ans se sont écoulés depuis le cataclysme de
l'opus 20.
Chopin
partage son temps entre
Paris et
Nohant chez
George Sand. Des années de
création, de doute comme toujours, mais la période de sa vie la plus
heureuse. Cet ultime
scherzo opus 54
ne déroge pas à la règle de symétrie ABA, mais que de libertés dans la
construction ! Plus optimiste,
Chopin
compose en mi majeur. L'introduction se veut ludique légère et aérienne. Le
climat musical se révèle en totale opposition avec l'énergie brutale de l'opus 20. Le discours est volubile,
très richement développé, plein de fantaisie. Les mains de
Maurizio Pollini
dansent sur le clavier, de motifs en motifs, sans violence mais sans
mièvrerie. Le trio en ut dièse mineur apporte un lyrisme onirique dans la
partie centrale. Là encore une simple accélération dans la fin de ce trio
rêveur permet une reprise sans transition marquée du fantasque scherzo. Le
final de la pièce n'a plus de scherzo que le nom tant les variantes se
succèdent dans un juvénile amusement. Et au risque de me répéter,
l'équilibre legato – staccato de
Pollini
aère le jeu, élargit l'espace, libère la musique…
Cet album est complété par la
Berceuse Opus 57
et une merveilleuse
Barcarolle opus 60.
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Quelques versions alternatives :
Le disque plein de verve et au discours envoutant de
Ivo Pogorelich
est toujours disponible. Un jeu plus vibrant que
Pollini, très technique, moins intériorisé donc plus âpre. Le jeune homme dont
l'éviction du concours
Chopin provoqua la démission de
Martha Argerich
étonne par sa facétie y compris dans l'opus 20. (On tangente le phrasé un peu décousu dans la fin de l'intro, juste une
impression personnelle.) (Dgg –
5/6) Pas de complément sur le CD… radin !
Déchirant et allègre, malgré un jeu d'une apparente facilité technique, les
scherzos
par
Samson François
sont toujours disponibles. Tempos vifs, un grain de folie, mais hélas un son
très daté avec un piano bien peu dynamique (EMI
– 5/6)
Un double album comportant aussi les quatre
ballades
permet de savourer la rigueur et la probité du pianiste d'origine polonaise
Arthur Rubinstein, une légende du piano. Les tempos sont vifs, à la métaphysique,
Rubinstein préfère une fougue contrôlée. Inusable (RCA
- 6/6)
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En prime : la barcarolle et la berceuse qui complète le disque...
Un extraterrestre pour jouer les Scherzos de Chopin ? Non ! Plutôt Shiva et ses multiples bras. Sinon une version de Pollini très enlevé. J'ai écouté la version de Igor Pogorelich sur Youtube, j'ai le sentiment qu'il joue un peut plus rapidement, serais-ce la fougue de la jeunesse qui veut ça ?
RépondreSupprimerSalut Pat,
RépondreSupprimerC'est drôle le ressenti des tempos par chacun : Pogorelich joue sensiblement plus lentement que son confrère italien ! 10'53 pour le 1er scherzo contre 9'23 pour Pollini. Son staccato sautillant dans les parties scherzo donne cette impression volcanique. C'est très beau aussi, une infinie tendresse dans le trio...
Mais c'est vrai que Pollini a le don de ne jamais "traîner" sur une partition sans pour autant perdre en clarté et légèreté, on retrouve cela dans son album consacré aux trois dernières sonates de Schubert, encore un must à commenter... un jour :o)
Mais je dois avouer, comme tu me l'avais dis , j'ai réecouté la version de Samson François après, et je la trouve bien fade !
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