mercredi 10 septembre 2014

BLUES PILLS " Same " (25 Juillet 2014), by Bruno


     Une basse marque un rythme soutenu et implacable, une guitare foudroie ponctuellement l'air d'un riff puissant, primaire et aéré, une voix féminine s'immisce. Et tout d'un coup, c'est l'attaque, l'abordage, la charge. Une walkyrie s'époumone, crie toute sa foi et sa rage, galvanisant ses troupes. On a la sensation d'être emporté par une charge de vikings en furie ; skjaldmö et vikingar côte à côte, prêts à faire la fierté de leurs dieux afin de gagner leur place au Walhalla. Bien que les paroles, qui traitent d'un problème de société, baignent dans une poésie hippie, il se dégage de ce « High Class Woman » une force imparable qui semble vouloir faire table-rase de tout obstacle se dressant devant son passage. Une force propulsée tant par l'orchestration implacable que le chant explosif et généreux d'Elin Larsson. Une Suédoise longiligne chantant sans retenue ni manière, sans poncif ou tricherie. « High Class Woman » est un titre rare, de la race de ceux qui sont capables de marquer de façon indélébile un album, de séduire, d'hypnotiser dès les premières mesures.

   « Ain't No Change » suit la même conduite, même s'il est bien moins carré avec une guitare prenant quelques chemins Heavy-blues à peine teintés de Boogie, du style British blues en mode 
Big Muff. Avec un sujet portant sur l'environnement, Elin extériorise sa colère, expulsant autant ses mots qu'elle les chante.
« Jupiter » bouscule les frontières en mélangeant sans complexe une wah-wah hendrixienne à une basse énÔrme, gorgée à ras-bord d'une fuzz grasse. Après un break aux parfums psychédéliques vaporeux, la machine s'emballe, emportée par la batterie qui se comporte comme un cheval sauvage et fou, excité par les jets de lasers arc-en-ciel émanant de cette guitare enfantée une nuit de pleine lune par des dieux païens et les mages-musiciens des 60's et des 70's. Une vague séminale qui embrase tout. Oui, Elin Larsson est une Walkyrie , et elle chevauche un cheval mauve, harnaché pour la guerre, et dont la rosée tombe de sa crinière dans les vallées profondes et verdoyantes. « Have you listened to the sounds the other planet screams, soon the ocean's icy wate drowns the dreams we see. Stay Jupiter, you are the brother above. Stay Jupiter, I wanna show you my Love !!! » (1). 
« Black Smoke » qui semble vouloir éteindre l'incendie, n'est en fait qu'un piège. Telle une entité schizophrène, elle alterne entre des moments calmes, tendres, enfumés, proche de la scène californienne de San-Francisco des 60's, tout en gardant un son plus lourd, et d'autres proches de l'agression sonique, du genre Grand Funk Railroad première période, entre un Hard-psyché du début des 70's et un Rock Stoner.
« River » est une complainte, tout comme « No Hope Left For Me » (« there's no easy way, when there's no relief, no hope for me, no signs. Your words keep breaking me, they're only hurtful lies »). Deux titres brumeux qui brisent la dense intensité électrique. 

     Peut-être une des raisons pour lesquelles « Devil Man » retrouve le chemin de la forge. Même si la six-cordes est saturée par un effet de chorus, cette pièce n'en demeure pas moins primaire, simpliste. Une pièce déjà présente dans un précédent Ep (de quatre titres, baptisé "Bliss") du même nom mais ici amputée de l'introduction a capella.
Sur « Astralplane », le rythme en mid-tempo, le riff lancinant, tournant en boucle et repris en duo par la basse et la guitare, avec un orgue en arrière plan, tout cet ensemble donne un cachet Ten-Years-After.

 « Gipsy » envoie des salves de guitares acides prêchant la bonne parole des saints Hendrix, Trower et Marino. C'est une communion : un être stellaire, un sage, descend des cieux vers nous ; il est nimbé de spots multicolores et de fumigènes, un « liquid light show » de Joshua White inonde le ciel. (2)
Coda sur une pièce triste avec « Little Sun » où plane un spleen tenace, voguant sur un folk-rock psyché passablement pesant, alourdi. « The mountain's falling all around me, the deep blue ocean overflows, the ground is shaking underneath me in this spinning world without control... in the corners of my mind, the darkness hides ».

 Quelques minutes après le final, on prend conscience que Blues Pills nous a fait voyager dans le temps. Il a nous ramené à une période s'étalant du crépuscule des années 60 au début des années 70. Soit à une époque où la musique gardait encore des bribes de rêve « flower power » ; ce qui transparaissait au travers d'une poésie hallucinée. Une musique en pleine mutation, irradiée par la scène californienne, par le Blues (de Chicago et du Delta), par ses aventuriers qui avaient envoyé ce Blues à travers l'espace ou encore l'avaient plongé dans la lave pour en ressortir divers alliages inconnus jusqu'alors. Une musique qui avait été 
également contaminée par ses insolents et fiers britanniques, tout comme par la Soul qui depuis quelques années prenait des airs rocailleux.
Une musique où les frontières étaient abolies, et qui par cet état même, faisait souffler un vent de liberté.
Leur patronyme même est une référence à cette époque (et non avec le Viagra). Nom en fait piqué à un blog spécialisé dans la (re)découverte d'albums rares des années 60 et 70.

     Blues Pills, c'est tout ça. Sans jamais pourtant donner la sensation d'une démarche nostalgique. Plutôt un retour à un art comme il était alors pratiqué ; avec des outils qui auraient pu être d'époque  : Gibson Flying V, Fender Stratocaster, Gibson SG (au look singulier), basses Rickenbaker 4003, Danelectro Longhorn et Gibson Thunderbird IV, amplis Orange, Marshall, Ampeg et Laney.

     Blues Pills, c'est l'ancienne section rythmique de Radio Moscow (formation qui œuvrait déjà dans un Hard psychédélique), Zack Anderson et Cory Berry, ce qui explique quelques similitudes avec ce groupe. Un binôme soudé comme les doigts de la main et à la densité hautement inflammable. 
 

   C'est Dorian Sorriaux, un très jeune guitariste de dix-huit balais qui se partage entre son Finistère natal (il a passé son bac cette année) et la Suède, lieu de résidence du collectif. Un jeunot faisant preuve d'une certaine maturité en évitant de tomber dans les travers de l'égo.

 Et c'est Elin Larsson, une Suédoise qui chante avec une belle et rare générosité, avec une intensité et un timbre qui la rapprochent de Lynn Carey (C.K.Strong, Mama Lion), d'une Jenny Haan (Babe Ruth) et d'une Lydia Pense (Coldblood). Voire d'une Inga Rumpf (Frumpy, Atlantis) et de Elkie Brooks (Vinagar Joe).

     En bref, Blues Pills, c'est Wolfmother qui rencontre Mama Lion, c'est Budgie qui se joint à Ten Years After, c'est Grand Funk Railroad joutant avec Radio Moscow accompagné d'un Peter Green de 22/23 ansc'est un Black Sabbath nimbé de Soul discutant avec Electric Boys, un Graveyard flirtant avec Janis Joplin, ou encore Kadavar avec Lydia Pense au chant, voire Free jammant avec Queen of the Stone Age.

     Mention spéciale pour l'artwork très réussi, et qui a lui seul aiguille sur le style de musique abordée. Avec un trait, entre utopie hippie et poésie psychédélique, qui évoque quelques maîtres et frondeurs qui ont permis à la bande dessinée d'évoluer. Rien d'étonnant car il s'agit d'une peinture de Marijke Koger-Dunham réalisé à la fin des années 60.

     En bonus, il y a un DVD (Stéréo - dts) présentant l'intégralité d'un concert capté au festival allemand "Hammer of Doom" du 15 novembre 2013. Une séquence qui permet de démontrer que ces quatre musiciens ne sont pas des escrocs : sans artifices, ils assurent autant sur scène qu'en studio, avec un son aussi proche, tant dans l'ampleur que la tonalité, que possible que celui du CD. On retrouve quatre titres du présent album dans une première mouture qui n'a que très partiellement évoluée (Elin s'autorise quelques phrases en Suédois), plus "Bliss" qui s'est mué en "Jupiter". Ces pièces, "Devil Man", "Little Sun", "Astralplane" et "Black Smoke" ont été précédemment publiées sur leurs Ep. 
Seul inédit : "Mind Exit". Un instrumental enchaîné à "Little Sun" où la Flying s'envole sur une gamme pentatonique mineure d'où surgit des bends vertigineux, des larsens maîtrisés et des plaintes de wah-wah crémeuse. La section paraît solide comme un roc(k), avec un Cory Berry funambule. 
Un témoignage qui permet également de constater que le collectif est en progression. Notamment en ce qui concerne le jeune Sorriaux, qui n'avait alors que 17 ans (il a intégré le combo en 2012, âgé de 16 ans seulement). 
     En sus, un interview du groupe, sur place au festival, mais sans Anderson. Pas de sous-titrage. Totalement dispensable.




(1) « Jupiter » n'est autre qu'une de leurs premières chanson, « Bliss », réarrangée et retravaillée. « Bliss » est chanté en Suédois.
(2) à l'origine, « Gypsy » est une chanson d'Ernest Evans alias Chubby Checker, l'homme qui popularisa le Twist en deux titres : « The Twist » et « Let's Twist Again ».




bon, c'est pas ce clip qui remporterait une palme... mais la musique...



5 commentaires:

  1. Dans le deuxième clip proposé, vous aurez remarqué le "duplicata" de Taxi Driver (Scorsese). L'acteur du clip a une étrange ressemblance avec le jeune De Niro, j'ai même cru au début que c'étaient des extraits du film (accentué par les vêtements qui sont les mêmes, les angles, les lumières...). La chanteuse reprenant elle le rôle de la gamine, jouée à l'époque par Joddie Foster.

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    1. Crénom, Luc ! Mais oui, c'est pourtant évident (mais cela m'avait échappé - je ne l'avais visionné que très partiellement, car cela m'avait paru être un clip bâclé -).
      On voit le cinéphile averti.

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  2. Ça a l'air "wouachement" bien ! En tout cas, les critiques dithyrambiques affluent, ici et ailleurs, sur ce groupe et son album. Il s'est même dit que les Blues Pills auraient très favorablement marqués les esprits sur les terres métalliques de Clisson, au Hellfest de cette année.

    J'ai également lu que le packaging de l'album était augmenté d'un DVD, en plus d'être, paraît-il, très beau. Tu confirmes Bruno ?

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    1. Ben ouais, pour sûr qu'j'confirme mon pote... d'autant que je l'ais écrit... mais peut-être as-tu été quelque peu troublé par les photos d'Elin Larsson.
      (J'ai d'ailleurs longtemps hésité a en mettre plus, notamment pour Claude et Rockin', mais j'ai craint que l'on ne me taxe de racoleur)

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  3. Ça doit être ça Bruno. J'ai du bloquer sur la dernière photo de la belle... Et puis plus rien.

    Comme dirait l'autre: "Ça sert à quoi qu'on se décarcasse !".

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