samedi 26 juillet 2014

LISZT : Les Préludes – Bernard HAITINK – par Claude Toon


Les préludes (illustration d'Albena Vatcheva)
- Mais M'sieur Claude, j'imaginais Franz Liszt comme un compositeur austère, voire religieux, d'où ma surprise devant cette illustration… un peu sensuelle ??
- Il a deux époques dans la vie du compositeur Austro-hongrois Sonia… Liszt est l'inventeur du poème symphonique dont Les préludes inspiré d'un poème de Lamartine…
- Ah vous avez donné le texte… Une ode amoureuse… Je commence à comprendre…
Tout naît, tout passe, tout arrive
Au terme ignoré de son sort :
À l’Océan l’onde plaintive,
Aux vents la feuille fugitive,
L’aurore au soir, l’homme à la mort.
Mais qu’importe, ô ma bien-aimée !
Le terme incertain de nos jours ?
Pourvu que sur l’onde calmée,
Par une pente parfumée,
Le temps nous entraîne en son cours ;
Pourvu que, durant le passage,
Couché dans tes bras à demi,
Les yeux tournés vers ton image,
Sans le voir, j’aborde au rivage
Comme un voyageur endormi.
Le flot murmurant se retire
Du rivage qu’il a baisé,
La voix de la colombe expire,
Et le voluptueux zéphire
Dort sur le calice épuisé.
Embrassons-nous, mon bien suprême,
Et sans rien reprocher aux dieux,
Un jour de la terre où l’on aime
Évanouissons-nous de même
En un soupir mélodieux.



…Alphonse de Lamartine

- C'est une œuvre orchestrale assez courte ?
- Oui un quart d'heure environ, idéal pour les chroniques estivales, et coup de chance, nous avons la vidéo de l'interprétation de Bernard Haitink, spécialiste du genre…

Je ne reviens pas en détail sur la biographie de Liszt que l'on peut lire dans la chronique consacrée à sa sonate en si mineur sous les doigts de Martha Argerich vs Krystian Zimerman (CLIC).
Franz Liszt est un pur romantique, ayant vécu de 1811 à 1886. Bien que voguant de crises mystiques en crises mystiques, tout en troussant avec assiduité le beau sexe, ce n'est qu'en 1860 qu'il accède à la prêtrise… C'est à partir de 1848 que Liszt invente le poème symphonique, peut-être influencé par la symphonie fantastique de Berlioz. Cette nouvelle forme symphonique monolithique de 12 à 30 minutes s'appuie sur un programme, le plus souvent un poème. Liszt en écrira 13 d'intérêt très divers. Dans les réussites inspirées par un poème on compte "Ce que l'on entend sur la montagne" d'après un poème de Victor Hugo, Mazzepa, Héroïdes funèbres et les préludes. D'autres, plus dispensables, illustrent des faits historiques : La bataille des huns (grotesque avec son grand orgue…) ou la mythologie (Orpheus). Le style, d'essence wagnérienne est parfois lourd, mais on ne peut dénier à ces œuvres un certain panache. Certains voient les prémices de la musique de film par le coté narratif et descriptif du traitement musical des sujets. Nota : les 13 poèmes symphoniques ont été composés pendant le séjour du musicien à Weimar.
Inutile de préciser que cet ensemble imposant inspirera nombre de compositeurs comme Richard Strauss : Ainsi parla Zarathoustra, Don Juan ou encore Mort et Transfiguration qui est un peu l'héritier du très beau Du Berceau à la tombe, l'ultime poème symphonique de Liszt composé en 1881.
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On se focalise sur les Préludes. Sa composition s'étend de 1845 à 1853, la création ayant lieu den 1854, à Weimar sous la direction du compositeur. Il n'est pas absolument certain que ce poème symphonique soit une illustration directe du poème de Lamartine dont le texte a été intégré par Sonia. La plupart des musicologues y voit au moins une influence… Les deux thèmes principaux sont extraits de Chœurs sur des poèmes de Joseph Autran. Liszt imaginait sans doute un oratorio plus vaste avec tous ces éléments, oratorio qui n'a jamais vu le jour. Il est donc admis que c'est la 15ème méditation de Lamartine qui structure l'œuvre….
Dans les années 70' Le chef néerlandais Bernard Haitink (Clic), directeur du Concertgebouw d'Amsterdam et du Philharmonique de Londres entreprend l'enregistrement intégral des poèmes symphoniques avec l'orchestre londonien. 5 vinyles qui n'ont jamais quitté le catalogue Philips rassemblés sur 2 double albums CD. C'est une réussite absolue. Le label DECCA a également réédité l'ensemble dans un coffret à prix imbattable.
Les préludes pourrait se prêter facilement à un analyse fort détaillée de la partition tant le nombre d'idées, de climats, d'utilisation conjointe de la forme sonate et du scherzo s'entrecroisent avec énergie et romantisme dans une œuvre aussi courte. Ce n'est pas très utile ici, car justement la brièveté du morceau évite de se perdre dans les méandres d'un morceau à la structure complexe.
L'introduction assez sombre serait-elle un écho du vers "L’aurore au soir, l’homme à la mort" (quelques pizzicati sur les cordes graves) ? On enchaîne rapidement sur une marche fougueuse qui peut nous renvoyer au vers : "Le temps nous entraîne en son cours". Puis, un passage tendre et élégiaque, avec une langoureuse mélodie aux cordes, laisse la voix aux hautbois, cors et divers solos de la petite harmonie. Ce qui permet de souligner en passant la finesse et l'équilibre de la prise de son. Oh, il n'y a pas que l'ingénieur du son à saluer, mais aussi la direction analytique et contrasté de Bernard Haitink, ses spécialités. La musique de Liszt, comme celle de Wagner ou de Bruckner peut aisément, et trop souvent, laisser libre cours à un pathos gluant et teutonique. Rien de cela ici où le phrasé est d'une belle transparence et sert magnifiquement le génie d'orchestrateur de Liszt. [6'17] Un orage orchestral semble évoquer la frénésie amoureuse (pourquoi pas). Ce passage impétueux est suivi d'un tendre et bucolique développement, un soupçon sensuel. Le morceau évolue enfin vers une conclusion majestueuse ! C'est le point faible de ce poème symphonique à mon sens. C'est fanfaronnant, et rien d'étonnant que ces abrutis de nazis aient détourné le final pour en faire un générique pour annoncer ou conclure leur propagande radiophonique. Bernard Haitink sauve ce triomphal final du pompiérisme par sa direction acérée qui nous entraîne dans une bacchanale enjouée. Soyons clair et objectif, Liszt n'orchestra pas ces dernières mesures dans la dentelle. " Comme un voyageur endormi."… Il y a des chances que la bien-aimée se réveille en sursaut d'une humeur de dogue à chaque coup de cymbale !!! Dans tous les cas, pour cette œuvre populaire, une référence discographique…
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