vendredi 11 juillet 2014

JERSEY BOYS de Clint Eastwood (2014) par Luc B.


Clint et Frankie (les vrais)
On poursuit notre semaine spéciale gériatrie. Après Papy John (Mayall, 80 balais, voir la chronique de mardi) voici le dernier film de Papy Clint, 84 printemps. JERSEY BOYS (aucun rapport avec le E Street Band !) est adapté d’une pièce à succès qui retraçait le parcours du groupe The Four Seasons, son chanteur vedette Frankie Valli. Sur le papier, ça part mal. Parce que c’est un film de commande, et donc pas un sujet personnel. Ensuite, le générique nous apprend que Frankie Valli et Bob Gaudio, membres des Four Seasons, sont producteurs exécutifs du film. Ce qui n’est pas un gage d’objectivité dans ce type de biopic. Enfin, l’acteur chanteur, star du spectacle, reprend son rôle à l’écran, et s’il sait indéniablement chanter (ce sont les acteurs qui chantent, dans le film), pour jouer la comédie, c’est autre chose… 

Mais alors qu’est-ce que Clint Eastwood est allé faire dans cette galère ? Il avait du temps, son projet de tourner un remake d’UNE ETOILE EST NÉE a été mis de côté. Initialement, Béyoncé devait reprendre le rôle tenu par Judy Garland dans le film de Cukor, mais elle s'est retrouvée enceinte. Et la musique a toujours était au centre de son cinéma, depuis cette chanson d’Errol Gardner dans UN FRISSON DANS LA NUIT (1971) « Play Misty for me », la ballade au festival de Newport dans BREEZY (1973), évidemment HONKYTONK MAN (1982) où il jouait un chanteur de country tuberculeux, évidemment BIRD (1988), biopic du saxophoniste Charlie Parker, sans compter les documentaires produits ou réalisés sur Thélonious Monk, ou PIANO BLUES. Pianiste lui-même, il compose ses thèmes musicaux, et son fils Kyle Eastwood est un contrebassiste de jazz à la petite renommée. 

JERSEY BOYS ne restera pas dans le peloton de tête de ses grands films, c’est une aimable récréation, dont on sent comme je le suspectais, un scénario trop attendu, qui n’écorche rien ni personne. 
  
Et pourtant la sauce prend tout de suite. Reconstitution classieuse des années 50, les filles à couettes, les clubs, mise en scène alerte, où chaque membre du groupe est narrateur à tour de rôle, s’adressant à la caméra, précisant un détail, confrontant les points de vue. The Four Seasons est groupe de pop (d'abord appelé The Four lovers), dont le leader et guitariste Tommy De Vito est une petite frappe frimeuse liée à la mafia. Il engage son pote Frankie Valli, garçon coiffeur, à la voix phénoménale. Nasillarde comme pas permis (assez insupportable pour moi, mais ça plaisait) plus de trois octaves couverts, et cette manière de passer en une note en falsetto, voix de tête, très haute, pour redescendre aussi sec. Le succès ne viendra qu’à l’arrivée de Bob Gaudio, pianiste et surtout compositeur, présenté au groupe par Joe Pesci, oui, le Pesci devenu plus tard acteur chez Scorsese ! « Sherry » (1962) est leur premier tube, il y en aura beaucoup, The Four Seasons, considérés comme les Beach Boy de la côte Est, seront les seuls à ne pas se faire bouffer tout cru par les Beatles.

Ce qu’il y a de remarquable dans ce film, et de la part d’Eastwood il ne saurait en être autrement, c’est que les parties musicales sont parfaitement recrées. J’ai maté le batteur dans chaque scène, enregistrements, concerts, et jamais je ne l’ai pris en défaut de playback ! Chaque geste correspond à la musique qu’on entend. Et les chansons sont interprétées en entier, ce n’est pas du saucissonnage. Les coulisses du métier sont bien décrites, le fameux Brill Building de New York (où travaillaient Leiber et Stoller) les arrangeurs, les producteurs (Bob Crewe, qui sera aussi leur parolier), les contrats foireux.  

Les embrouilles de fric, de mafia, met fin aux Four Seasons, Frankie Valli doit rembourser une grosse dette contractée par Tommy De Vito. Il continuera à chanter solo ou non, avec Bob Gaudio, mais versera tous ses bénéfices. Cette dernière demi-heure est décevante, le côté martyr de Valli, est trop vite expédié, comme quelques séquences en famille, avec sa fille fugueuse, et qui mourra sans qu’on en sache davantage. Parce qu’il fallait des sentiments, des hommes blessés… Mais ça ne prend pas. Jusqu’à la dernière scène, la création de « Can't take my eyes off you » (1967) dernier immense tube (repris en disco plus tard), et un superbe générique de fin où tous les protagonistes du film se retrouvent dans la rue, chantant et dansant sur le hit « December 1963, Oh what a night » (1975) que Claude François traduira en « Cette année-là ». 

Une scène retient l’attention. Celle où Bob Gaudio, visiblement puceau, préférait mater la télé dans sa chambre que de s’amuser avec les filles. Il regarde un feuilleton très en vogue, RAWHIDE, dans lequel débuta Eastwood ! Clin d’œil du vieux maître au jeune acteur qu’il était. 

Côté distribution, on se réjouit de la présence de Christopher Walken, en parrain bienveillant, mais moins de la composition de John Llyod Young en Frankie Valli, aussi expressif qu’une porte de chiotte, et qui jamais n’arrive à hisser le film hors des sentiers rebattus de la success story. Les drames et fêlures ne sont là que pour la déco. Les liens spectacle-mafia trop peu exploités, alors que Valli était fan de Franck Sinatra, ce qui aurait dû être un signe du destin. Les personnages sont dans leur ensemble peu creusés, plusieurs pistes restent inexploitées.


JERSEY BOYS, dans sa première heure et demi, et un spectacle bien huilé, rythmé, très agréable, divertissement léger et coloré, qui permet de découvrir ce groupe célébrissime aux Etats Unis, mais qui n’a jamais franchement marqué l’Europe et la France. Il aurait fallu que Clint Eastwood puisse amener cette histoire dans une autre dimension, plus profonde, tragique. Option visiblement non inscrite au cahier des charges des producteurs Valli et Gaudio, dont rien ici n’égratigne le portrait, jusqu’à la reconstitution de leur intronisation au Rock’n’Roll Hall of Fame

JERSEY BOYS (2014) 
Couleur  -  2h15  -  scope 2:35

La bande annonce :

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