- Et bien dites donc
M'sieur Claude… Ça déménage ce matin dans votre bureau, c'est quoi cette
musique volcanique ?
- Le début de la 3ème
symphonie d'Albert Roussel, un contemporain de Maurice Ravel…
- Pas très connu, mais ce
nom me dit quand même quelque chose, un de vos commentaires dans un site web je
crois…
- En effet, sur son atypique, originale et euphorisante musique de chambre, j'avais inventé le
mot de Rigoluminothérapie, merci de lire mes entrefilets Sonia…
- Et puis ça m'a l'air
très facile à écouter pour une musique du XXème siècle…
- Oui, c'est vrai, surtout
pour cette symphonie, la plus célèbre et la plus jouée des quatre qu'il a
composées…
Albert Roussel fait partie de ses compositeurs
pittoresques et de grand talent qui ont été un peu éclipsés par le génie de Debussy et de Ravel.
La semaine passée, j'avais eu envie de réhabiliter à mes propres yeux Camille Saint-Saëns pas si ringard que
cela, et aujourd'hui, je me fais le défenseur assidu de l'un des musiciens français les
plus originaux du tournant du XIXème et du XXème siècle. Imaginatif, oui, mais d'une écoute accessible a contrario de certains
compositeurs plus avant-gardistes qui avaient tourné le dos brutalement au
postromantisme (disons de Bartók
à Schoenberg en passant par Stravinsky).
Le
petit Albert qui deviendra grand(*) naît à Tourcoing en 1869 dans une famille aisée
d'industriels. Orphelin à 8 ans, son grand-père puis son oncle assurent son
éducation. On ne parle pas encore de musique. Le jeune homme suis des études
classiques puis intègre l'école navale en 1887.
Il va naviguer comme élève officier pendant 5 ans, mais l'appel de la musique
va l'emporter sur celui du large… Au gré des escales, il compose en autodidacte
et fera même jouer un Ave Maria
dans l'église de Cherbourg. Il quitte la grande muette en 1893.
(*) Clin d'œil aux férus d'occultisme
(*) Clin d'œil aux férus d'occultisme
C'est
à Paris qu'il va enfin suivre des cours de piano, de contrepoint et d'harmonie auprès
de l'organiste Eugène Gigout. Ayant démissionné
de la marine en 1894, il complétera
sa formation d'orchestrateur auprès de Vincent d'Indy à la Schola Cantorum. Il sera volontaire pendant la Grande Guerre malgré
une santé fragile.
XXXXX |
Influencé
en cette fin de siècle par Debussy
puis d'Indy, Albert
Roussel va rapidement trouver son style
très particulier. L'œuvre de Roussel
se distingue par un quasi abandon des formes classiques (sans renoncer à la
tonalité cependant) et un talent de coloriste qui fait songer aux éclats des
peintres impressionnistes et fauvistes. Dans sa musique de chambre, Roussel adopte des combinaisons
instrumentales les plus fantasques : Trio pour flûte,
alto et violoncelle,
quintette pour cordes,
flûte et harpe
ou encore pour vents et piano. La flûte, instrument de nature
guillerette, est omniprésente dans son écriture.
Et
puis il y les quatre excellentes symphonies, un cycle sans guère de
concurrent dans la musique française de l'époque. (Exception : Albéric Magnard.) Enfin, deux ballets bien
connus : Bacchus et Ariane et Le festin de l'araignée,
sans compter l'extravagant opéra-ballet Padmâvatî
dont l'intrigue nous entraine dans une inde féérique. J'ai vu l'ouvrage au
Châtelet dans une mise en scène assurée par des troupes venues de bollywood, avec un éléphant, un boa et
un tigre blanc sur scène ! Un régal kitchissime. Malgré
un décès prématuré en 1937 à Royan, sa production fût abondante.
Le
chef d'orchestre suisse Charles Dutoit,
âgé de 77 ans, est surtout connu pour avoir dirigé d'une main de fer pendant 25
ans l'orchestre symphonique de Montréal.
Réputé ombrageux, il a hissé l'orchestre canadien à un rang qui lui permet de
rivaliser avec les meilleurs phalanges US : clarté, énergie, transparence. Le
chef, également violoniste, altiste, pianiste et percussionniste a eu
comme mentor Ernest Ansermet, et parmi
ses conseillers : Munch et Karajan entre autres. Il a fait des
passages remarqués auprès de l'Orchestre
National de France et celui de Philadelphie.
Côté
people, Charles Dutoit a été marié à
Martha Argerich de 1969 à 1973. C'est
court, mais leur collaboration artistique a duré bien plus longtemps…
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XXXXXXX |
La
période de création du corpus symphonique de Roussel
s'étend de 1906 à 1934. Il permet de comprendre
l'évolution radicale de son inspiration et de son écriture. Si la 1ère symphonie "Le poème de la forêt" s'apparente à
un poème symphonique impressionniste, la 2nde,
écrite en 1921, s'écarte de toute velléité
descriptive pour un climat plus grave, une réflexion philosophique et austère sur
la tragédie des tranchées ; Roussel
venait juste d'être démobilisé. Sans doute son œuvre la plus difficile d'accès
par ses dimensions et son austérité. Composée en 1930, la 3ème
symphonie revient également à la musique
pure, sans programme, mais recourt à une grande concision et surtout à une fougueuse
énergie communicative. En 1934,
naîtra sa petite sœur, la 4ème
symphonie d'un style similaire, qui fait que les deux œuvres sont
souvent gravées ensembles…
En
1930, on célèbre le cinquantième
anniversaire de la création de l'orchestre
symphonique de Boston. Son directeur de l'époque est Serge Koussevitzky, un chef d'orchestre de
grand talent mais également un mécène éclairé qui passera commandes sur
commandes au gotha des compositeurs du XXème siècle. La liste serait
infinie. Il va diriger cet orchestre prestigieux de 1924 à 1949, soit un quart
de siècle. (Charles Munch lui succédera.)
Pour l'évènement, il sollicite des créations originales à, rien de moins que : Arthur Honegger, Serge
Prokofiev, Igor Stravinsky
et Albert Roussel. La 3ème
symphonie de Roussel
est créée le 24 octobre 1930 sous la direction du commanditaire. Le
compositeur, pour la structure, opérait un retour aux formes classiques et l'œuvre
comporte 4 mouvements.
1 - Allegro vivo : Ça décoiffe
!! Un staccato opiniâtre des cordes et des mugissements des cors lancent
l'assaut ! Quelques coups de grosse caisse et de cymbales pour enfoncer le clou
et nous voilà plongés dans la rugueuse mécanique musicale du Roussel des années 30. Si le compositeur
souhaitait nous faire savoir qu'il est plus un marin qu'un homme de salon,
c'est réussi. De la violente tempête des premières mesures émerge un chant
ludique de la petit harmonie et des cordes avec un solo de flûte féérique.
C'est d'une rare vivacité. À [3'10], on peut sans hésiter esquisser quelques
pas de valse. Cette musique sautille joyeusement et sans frénésie dramatique.
On pourra penser, pour ceux qui connaissent, à la suite
Scythe de Prokofiev,
aux Métamorphoses sur un thème de Weber de Paul Hindemith ou encore au style saccadé
de Martinu. Dieu que c'est couillu, si je puis
me permettre. La coda se fait bacchanale : Tarata tsoin tsoin
pam pam !!! Waouh, Charles Dutoit est
admirablement à son aise, soulignant avec gourmandise les traits acérés de cette
musique. L'Orchestre National de France (sans
doute le meilleur orchestre de nos contrées) est dompté avec férocité, et la
prise de son, bien dynamique et claire, sert à merveille les riches couleurs de
la partition.
2 – Adagio : Ce beau
mouvement est le plus long avec sa dizaine de minutes. Le flot des cordes nous
baigne dans une nuée nocturne. C'est vraiment une musique pure, propice aux
sensations les plus intimes, voire contradictoires suivant la sensibilité de
l'auditeur, de l'élégie à la sensualité… On retrouve comme dans toute la
partition ce leitmotiv scandé et obsédant. La partie centrale est une double
fugue très animée. Les blocs sonores richement orchestrés se poursuivent de
pupitres en pupitres. Pas une note pour rien, pas de reprise de forme sonate,
mais un tissu symphonique d'une grande cohérence, ce qui évite de se perdre
dans les méandres des développements des plus imaginatifs. Charles
Dutoit accentue avec une belle souplesse les contrastes de cette
page d'un lyrisme fascinant.
3 – Vivace : Les 3
minutes hilarantes du scherzo nous renvoient à l'humour d'un Chabrier
ou d'un Satie. Les traits staccato
des cuivres, et de tous les instruments en fait, se poursuivent comme dans un
cartoon. Une caisse claire et un tambourin fouettent cet orchestre pris de folie.
4- Allegro con spirito : Une flûte
volatile (au sens oiseau) introduit le final. Les festivités symphoniques continuent
avec quelques pauses et un solo de violon enchanteur. La variété de
l'orchestration et les changements de rythme laissent pantois. La coda se déchaîne
avec une reprise de cet air initial d'oiseleur. Certains auront l'impression
que ça part dans tous les sens. Ce n'est pas faux et c'est de cette impression
que naît la magie drôlatique de ce chef d'œuvre…
Si
la musique peut avoir un effet stimulant sur vous (Rock, Folk…), écoutez cette
symphonie, c'est de la vitamine C !!
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En
1965, Charles
Munch grave pour Erato
les 3ème et 4ème symphonies avec l'Orchestre
des concerts Lamoureux. Le vieux chef dirige sous amphétamine. Il
ressort de ce disque (écouté par le Toon en vinyle stéréo non compatible – le must)
une jubilation et une vitalité inégalées, voire de l'humour (Adagio de la 3ème).
Cette pierre angulaire de la discographie a été rééditée chez elatus
avec la pochette la plus hideuse et hors de propos qu'il ne m'a jamais été donnée
de voir (des tournesols cramés par une déflagration nucléaire ?) (elatus - 6/6). T'en penses quoi Vincent ?
Côté
intégrale, en 1994, Marek Janowsky, alors directeur de l'orchestre de Radio France, entreprend
l'enregistrement des 4 symphonies. La presse spécialisée s'enthousiasme
(diapason d'or). Écoutée juste après Munch,
le discours semble bien sage. Certes le chef d'origine polonaise, mais vivant
en Allemagne, soigne comme toujours son souci du détail et de la transparence,
mais c'est au détriment de la spontanéité joviale de cette 3ème
symphonie dans les mouvements vifs. Bien sûr le solo de violon de l'allegro final est
superbe et la prise de son aérée. C'est très français dans l'esprit, donc d'une
belle élégance. Une alternative au punch de Dutoit
(RCA - 4/6).
L'enregistrement
d'Ernest Ansermet
avec l'orchestre de la Suisse Romande
n'est hélas plus disponible qu'en MP3. Certes le son d'origine assez ingrat pourrait s’accommoder
de ce format mais… non !
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Un
diaporama et la 3ème symphonie d'Albert Roussel dans son intégralité par l'Orchestre
National de France dirigé par Charles
Dutoit :
À
noter que l'intégralité des quatre symphonies est disponible sur le site Deezer
(CLIC).
Un beau deuxième mouvement, un quatrième mouvement trop court à mon gout ! Il est exacte que c'est une musique tonique, qui ne laisse pas indifférent.
RépondreSupprimerJ'ai un faible pour la suite en fa et sa gigue finale, à la rythmique irrésistible. Il ne faudrait pas oublier aussi les Evocations, l'œuvre la plus ambitieuse de Roussel en matière de musique symphonique, œuvre autobiographique puisqu'il avait visité l'Inde alors qu'il était officier sur la Melpomene.
RépondreSupprimerDommage qu'il ne soit plus guère joué en France…