samedi 4 janvier 2014

FREHEL, LA BRETONNE DE PANAME - par Pat Slade


Fréhel : Une vie misérable...




Un début de vie en dent de scie


Aristide Bruant
Revenons au siècle dernier à l’époque quand la crinoline avait disparu et la robe «Queue de serpent» était de mode chez les dames. Le gibus chez l’homme disparaissait pour le canotier, mais on conserverait la redingote et le chapeau mou. À notre époque où la chanson dite réaliste a pratiquement disparu et où des chanteurs comme Stromae et autre Section d’Assaut nous sortent des borborygmes nauséabonds, que même un sourd profond en a l’estomac retourné, je voulais redonner ses lettres de noblesse à ce genre particulier de la chanson française. De grands interprètes, il n’y en a eu beaucoup qui ont laissé une trace indélébile dans le sillon salvateur de la chanson a texte. Le premier restera un homme : Aristide Bruant que Toulouse Lautrec immortalisera sur son affiche du cabaret l’Ambassadeur, Berthe Sylva et ses «Roses Blanches» (Sponsorisé par Kleenex) qui feront couler des flots de larmes et aussi DamiaEdith Piaf, Yvette Guilbert pour ne citer que ces quelques artistes d’avant guerre. De la génération suivante, nous trouverons dans les rangs, Juliette Gréco, Barbara et plus proche de nous, Catherine Ribeiro, Juliette et pour finir par un homme : Renaud. Mais Fréhel, mon sujet du jour, reste à part dans le domaine de la chanson réaliste.

Mais qu’appelle t’on la chanson réaliste ?  Hé bien, c’est un genre musical qui empruntait des sujets dramatiques de la vie au quotidien des quartiers populaires parisiens. «La rue Saint Vincent» de Bruant par exemple, doit son titre à une rue des plus ouvrières de la capitale, dans le XVIIIème arrondissement, au pied de la butte Montmartre.

De son vrai nom Marguerite Boulc’h, née à Paris (17ème) lors d’une visite de ses parents dans la capitale la veille de la fête nationale en 1891, Fréhel n’a pas eu ce que l’on peut appeler une jeunesse dorée. Des parents d’origine finistérienne, une mère concierge, bonne et qui se livrera accessoirement à la prostitution, un père marin qui prendra le large pour les chemins de fer comme aiguilleur à Paris et qui aura un bras coupé par une locomotive. Nous sommes presque dans un roman de Émile Zola revu par Pierre Jakez Helias. Marguerite chante dès l’âge de 5 ans dans les rues, les cours et les cafés, accompagnée par l’orgue de barbarie d’un aveugle. Très jeune, elle se met à travailler comme livreuse de sel pour la marque Cérébos. Elle vend des partitions, puis sera embauchée chez un pharmacien rue d’Aboukir (2e arrondissement, métro sentier ou Strasbourg St Denis) tout en continuant à chanter et à danser dans les rues de Paris. Elle fréquente les éditions musicales Marcel Labbé, Rue de l’Échiquier (10ème arrondissement, métro Bonne-Nouvelle) où elle y apprend les succès du moment et découvre le répertoire de Montéhus, un des premiers à avoir chanté la commune. Elle devient la mascotte de la maison d’édition, elle n’a que 14 ans. Une année plus tard, elle est vendeuse de cosmétiques en porte à porte. Par ce travail, sa route croise celle de la belle Otéro, chanteuse, danseuse et courtisane de la belle époque qui eut des amants plus prestigieux les uns que les autres, surtout du coté des têtes couronnées. Cette dernière la prend sous son aile.




Du pavé à la scène



 
En 1905, elle décroche son premier engagement professionnel au Concert de l’univers, Avenue de Wagram (17ème arrondissement métro Terne, quartier chic) et chante sous le pseudonyme de Pervenche, titre d’une chanson de son répertoire. En 1908, elle chante en levé de rideau à la Pépinière, Rue Louis-le-Grand (2ème arrondissement, métro Opéra, de plus en plus chic). Elle passe la même année à la taverne de l’Olympia rue Caumartin (9ème arrondissement métro Havre-Caumartin), elle est payée avec un litre de café, deux croissants et dort la plupart du temps sur les banquettes du théâtre. Pervenche croise la route de Robert Hollard alias Roberty, un comédien qui devient son pygmalion. Il lui donne des cours de diction et l’épouse en 1907. De cette union nait un enfant qui meurt en bas âge. 
En 1908, elle ce produit au Moulin Rouge en y chantant des chansons du poête Jean Richepin, son style et sa voix lui apporte le succès, elle se fait désormais appeler Fréhel en référence au cap du même nom qui se trouve sur la terre de ses ancêtres bretons. Les salles parisiennes s’enchainent, le Bataclan, l’Ambassadeur, les Folies Belleville, l’Alcazar d’été. On la surnomme «La belle liane», elle est la chanteuse les plus sollicitée de Paris. Robert Hollard la quitte pour la chanteuse Damia, le divorce est prononcé en 1910. Fréhel aura une liaison passionné avec Maurice Chevalier qui, en fin de compte, la quittera pour Jeanne Bourgeois dite  Mistinguett et "ses belle gambettes". Elle mène la grande vie, mais sa vie sentimentale est un échec.



Splendeur et déchéance



En 1913, elle quitte Paris pour Saint- Pétersbourg à l’invitation de la grande duchesse Anastasia, cousine du tsar Nicolas II. Fréhel passera toute la guerre à Bucarest en Roumanie et cinq années à Constantinople (Istanbul), loin de Paris, elle sombre dans l’alcool et la cocaïne. En 1923 elle est rapatriée par le Ministère des Affaires Etrangères. A 32 ans, elle est bouffie, vieillie, mais sa voix est intacte. Fréhel fait un come-back et se produit dans différentes petites salles pour finir au Bœuf sur le toit, rue du Colisée (8ème arrondissement, métro Miromesnil). En 1925 elle passe à l’Olympia avec cette affiche : «Fréhel, l’inoubliable inoubliée», elle reprend son ancien répertoire et intercale de nouvelles chansons comme «Du gris». Son public la redécouvre. Jusqu'à la fin des années trente, elle se produira dans différentes salles comme, Le Trianon, La Gaité Rochechouart, La Scala, l’Eldorado, L’ABC …etc. Elle renouvelle son répertoire avec des titres qui resteront dans la mémoire collective comme : «La chanson du vieux marin», «Ou sont tous mes amants ?», «La môme catch-catch» et surtout «Tel qu’il est». Elle passe devant les caméras dans des rôles de tenancières de bordel ou de bar, des rôles en rapport avec son physique mais surtout le temps est venu de la voir chanter une chanson dans le film, comme en 1936 dans «Pépé le Moko» ou «Une java» en 1939 où elle chantera sa chanson la plus célèbre : «La java bleue». Elle apparaitra dans 17 films. Pendants la seconde guerre mondiale, elle continue la tournées des cabarets. Entre 1942 et 1943, elle participe à des voyages en Allemagne dans les stalags pour chanter devant les prisonniers, ce qui lui créera quelques problèmes auprès du comité d’épuration. Sa santé se détériore et elle sombre dans le dénuement. Après une dernière prestation à l’Alhambra en 1946 et trois apparitions à l’écran, un gala de soutien est organisé en sa faveur en 1949 à l’Européen rue Biot (17ème arrondissement, métro Place de Clichy) avec aussi à l’affiche Suzy Delair, Tino Rossi, Fernandel. Fréhel chantera Bruant.

Usée par l’alcool et la drogue, elle meurt seule et misérable dans un hôtel de passe de Pigalle le 3 février 1951, une foule nombreuse suivis son enterrement au cimetière de Pantin (23e division, métro Aubervilliers).




L’héritage



Fréhel  existe toujours et a laissé une trace, beaucoup de «jeunes» interprètes ont repris ses chansons, il existe un album «Tribute» : PiafFréhel «Ma grand-mère est une rockeuse» ou des groupes comme Pigalle, Les Garçons Bouchers, Les Tétines Noires, BB Doc ou encore Bangkok Paddock reprennent ses titres. Renaud aussi dans son album «Les p’tits bals du samedi soir», mais c’est surtout un film qui fera connaitre Fréhel aux jeune générations et, n’ayons pas peurs des mots, au monde entier, à savoir : «Le fabuleux destin d’Amélie Poulain» avec le titre «Si tu n’étais pas la». Une pièce de théâtre «Riviera»  retraçant sa vie et joué par Myriam Boyer, la mère de Clovis Cornillac, fera un beau succès.
Une anecdote pour finir, Une danseuse donnera un témoignage au journal «Ici Paris» de sa rencontre avec Fréhel :


« Un après-midi de 1948, au métro Anvers, je suis tombée en arrêt devant une grande femme, probablement saoule, affaissée au pied d’un arbre. Un car de police s’est bientôt arrêté pour embarquer cette pocharde. Mais elle a fait face aux flics. Elle leur a hurlé : « Foutez-moi la paix, je suis Fréhel, oui Fréhel, la chanteuse. » C’était bien elle, en effet, mais les agents refusaient de la reconnaître. Je suis allée les trouver. Je leur ai dit : « Vous ne pouvez pas embarquer notre grande Fréhel. » Ils ont hésité un instant et j’ai pu glisser à l’oreille de la malheureuse : « Chantez, Madame, je vous en prie, chantez. » - Alors les mains sur les hanches, les jambes écartées, dessoûlée comme par enchantement, elle a entamé La Java bleue avec autant de force, autant de fougue qu’au temps où les foules l’acclamaient. - Aussitôt les badauds se sont pressés autour de leur ancienne idole, stupéfaits d’être les témoins de cet authentique miracle. Un brigadier a murmuré : « Comme c’est triste de finir ainsi ! » Puis il a rappelé ses hommes et le panier à salade est reparti à vide…

Quelques souvenirs dont un montage avec "la java bleue" et, au début, hors champ, la voix de Jean Gabin dans Pépé Le Moko...

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