dimanche 17 mars 2013

SOPHIE KAY "Leaving town" (2013) par LUC B et ROCKIN-JL






Sophie Kay nous revient 2 ans après l'album OLD ORLEANS, que nous avions beaucoup apprécié (lire la chronique ici - en cliquant -), avec sous le bras un nouvel opus, le quatrième, intitulé LEAVING TOWN.

Si le précédent oscillait entre chanson française et blues avec celui-ci le doute n'est plus permis, notre Sophie est une chanteuse de blues, et une bonne, dont la voix gouailleuse colle tout à fait au registre du "pré-war blues", celui de ces magnifiques chanteuses d'avant-guerre que l'on nommait les "blues singers". Ne manque que quelques craquements pour se replonger dans les 78 tours des Bessie Smith, Billie Holliday, Ida Cox, Ma Rainey, Victoria Spivey ou Sippie Wallace. De grandes dames dont Sophie revendique l'héritage dans ce bel album de blues profond, sans fioritures, qui prend aux tripes d'écoutes en écoutes.
Faut dire qu'elle ne s'est pas fait accompagner de tocards ! On retrouve à la guitare, à la basse, à l'harmo et à la trompette à bouche, Matthieu Fromont des Bo Weavil, chez qui le disque a été recorded.  Mais aussi Lise Hanick à la batterie, une p'tite française qui s'est fait un nom au Québec, Hubert 06 aux chœurs sur un titre (la moitié de the Hub nous nous avions parlé aussi dans ses colonnes, - voir ici - ) et Julien Chauveau à la basse sur un autre.
Comme l'indique le titre et la jaquette, Sophie semble quitter la ville pour s'enfoncer dans le Deep South, vers les juke joint  poisseux où elle rencontra notamment  RL Burnside (tournant le doc "A day with RL Burnside"). Les 9 titres choisis se partagent entre reprises et nouvelles compositions, dont je ressortirai le titre d'ouverture "leaving town" qui donne le ton "down home blues" de l'album, le swinguant "I can't afford to do it" et son harmo discret, "Nobody knows the way" de Tom & Paul Delaney , bleus lent au répertoire de Dinah Washington, mon titre préféré "strange kind of feeling" un rythm'n'blues du chanteur Big Tiny Kennedy, "CC rider", un standard de Ma Rainey ("See see rider blues", 1924) maintes fois repris (Elvis, Bessie Smith, Jerry Lee, Ray Charles, Animals, Janis..) dans un traitement original, en blues trainant avec harmonica, "What have I done", un beau blues mid tempo, une version obsédante de "When the levee breaks" écrit par Joe McCoy et sa femme Memphis Minnie (1929) dont on connait aussi la cover par Led Zep. A noter aussi 2 titres chantés en français/anglais, "Tribute song" dédié à RL Burnside et "Carte d'anniversaire" où Sophie à des accents de...Piaf, ce qui nous renvoie à ce que j'écrivais à propos de son album précédent. Un disque qui m'a totalement séduit et convaincu et qui je l’espère aidera Sophie à trouver  reconnaissance parmi les amateurs de blues, elle le mérite.
Mais je passe le micro à Luc, qui trépigne dans son coin, lui aussi a composé un petit compliment à Mam' Sophie...
Rockin-JL

« Classer le style de Sophie Kay n’est effectivement pas aisé. On y verrait plus clair si l’on voyait Mam’ Sophie en concert ». Voilà comment je commençais ma chronique consacrée au disque précédent de Sophie Kay. Avec celui-ci, LEAVING TOWN, au moins, on est fixé. Du blues, m’sieur dames, et du meilleur. 

Ce disque, plus on l’écoute, plus on l’aime. Non pas pour en comprendre toutes les subtilités, mais au contraire, pour en saisir et apprécier la simplicité. Simple comme sa photo de pochette, qui reprend les ingrédients du chanteur blues, l'étui de guitare à la main et la route qu'il reste à tracer... Comme à la fin des films de Charlot, ou comme sur cette pochette-ci contre... 
Dès les premières notes, cette descente de guitare sur « Leaving town », on est sur les rails, dans le swing. Quel départ ! Et la voix de Sophie nous arrive, presque lointaine, un léger écho, et elle pose ses mots avec une précision diabolique ! Difficile de lui donner un âge à cette voix… parfois une jeune ado qui minaude, au début de « CC Rider », et en même temps, elle nous rappelle une Doris Day croisée avec Dinah Washington ! Les instruments s’équilibrent à merveille, on a l’impression d’être en studio avec eux ! Alors quand le deuxième titre déboule ("Tribute song"), chanté en français pour les couplets, ça surprend, ça dénote. Mais le refrain en anglais nous remet dans le bain, et quand le français revient, ça nous semble évident !  Deux compositions de Sophie. Et ce p’tit coup harmo (soufflé par Mathieu Frémont ) sur « I can’t afford to do it », un titre qui évoque aussi les premiers rock-a-billy…  

Miss Hula Boogie(percus) Sophie et Daniel Howard (drums)
 Sur certains titres, comme « Strange Kind of feeling » je verrais bien Sophie et ses boys enregistrer au Studio Sun sous la direction de Sam Philips… On retrouve l’ambiance, le son parfois (sans que cela ne paraisse vieillot, vintage ou je ne sais quoi…) l’esprit des enregistrements de cette époque. Pas le son métallique des enregistrements urbains, mais plutôt ceux qui sud, plus ronds, sans pour autant donner dans le poisseux du bayou. Les formats sont d’ailleurs très courts, je regrette personnellement qu’il n’y pas plus d’interventions des musiciens, de chorus, de la place pour la guitare, ou un pote qui viendrait poser trois notes de piano-bastringue sur un titre ou deux, histoire de varier les couleurs. On y trouve une belle version de « CC Rider » et re-harmo de Mathieu Frémont, pour cette pause légère, qui précède un titre plus pesant, et magnifique « What have I done ». Petite surprise en titre 8 avec « When the leves breaks », vieille chanson de Joe Mc Coy, dont on connait la tonitruante version de Led Zeppelin. Ici, Sophie en présente une reprise très roots, repart de la chanson originale, mais assez lourde aussi, y'a de la boue qui colle aux semelles, et cette grosse caisse qui ponctue les temps 1 et 3. L’album se clôt, dans l’intimité, avec Sophie seule à la guitare, pour un second titre chanté en français « Carte d’anniversaire » qui permet au passage d’apprécier son talent d’auteur.

En 2010, OLD ORLEANS nous avait bien plu, mais on restait dans un exercice difficile, celui du "cul entre deux chaises". Avec LEAVING TOWN, je trouve qu'on est un cran au dessus, il y a de bonnes compositions, des reprises judicieuses (pas rabattues), une vraie homogénéité, sincérité, et du cœur à l'ouvrage. Sophie Kay aime cette musique, la connait bien, et la chante merveilleusement.
Luc B 

Mais assez blablaté, car nous avons eu la chance de rencontrer Sophie Kay, qui avait donné rendez-vous à la presse internationale dans un grand hôtel de Miami sur Ocean's Boulevard, entre deux avions. Elle a eu la bonté de... (qu'est ce qu'il y'a, on en faiy trop ? Bon okay...). Laissons plutôt parler Sophie Kay, qui a eu la gentillesse d'accepter nos questions, et mieux... d'y répondre ! Et elle a des choses à dire  et n'y va pas par quatre chemins !  
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Sophie, je crois que tu as des origines d'Europe de l'Est, peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t'a amené à la musique et au blues ? Le Mississippi coule loin du Danube pourtant...
Je ne sais pas ce qui m'a amené à la musique. Je crois qu'au tout premier instant on ne choisit pas. Quand  on est môme et qu'on entend sa mère chanter sur les airs à la mode que diffusent la radio tout en s'activant sur les diverses tâches ménagères, ça peut changer une vie ! Dans ces moments d'exception, la grâce, la joie, la beauté arrivent enfin et tourbillonnent joyeusement dans l'appartement. Ces instants sont magiques  et c'est la musique qui en est le déclencheur. C'est à ce moment-là que je m'aperçus probablement que la vie telle que je la rêvais existait bien.



J'ai des origines familiales hongroises du côté de mes grands-parents (une partie de ma famille est australienne) mais je suis née et j'ai grandi en France. L'adolescente tourmentée que j'étais voulait jouer de la guitare et chanter. Mon père m'a envoyé au Conservatoire local, j'ai appris à jouer « Jeux Interdits » et quelques  airs médiévaux mais c'est pas cela que je voulais apprendre. Je voulais jouer ce que j'entendais à la radio, la musique des « yé-yé » ou ce que je  passais inlassablement sur mon électrophone comme « Hello Dolly ». A l'époque, personne autour de moi ne jouait cela et j'ai dû, je crois, arrêter quelques temps  sans arrêter de chanter pour autant car je chantais  sans cesse.  J'ai repris peu après la guitare, je ne sais plus comment j'ai appris les accords, sur un livre peut-être ou des partitions. Puis il y a eu Marcel Dadi et c'est sur des tablatures que j'ai appris entre autre quelques airs de Mississippi John Hurt. C'était l'époque du folk, Dylan, Joan Baez, le blues à travers les Stones, Janis Joplin et un album de Muddy Waters qui traînait chez un copain. Malgré toute cette musique qui arrivait du grand ouest, dans mon coeur chantaient et chantent toujours « l'hymne à l'amour », « l'Orange », « Le métèque », « Du gris », « J'attendrais (le jour et la nuit, j'attendrais toujours ton retour) », « Retiens la nuit » et bien d'autres chansons.

Tu es également cinéaste documentariste. Dans quels domaines ? Peux-tu nous parler un peu de cette virée au Mississippi où tu as rencontré RL Burnside ? As-tu trouvé un distributeur pour sortir le doc en DVD un de ces jours ?
Je ne suis pas spécialement cinéaste documentariste, bien que j'en ai certaines aptitudes car j'ai travaillé dans l'audiovisuel. Produire un film est bien plus compliqué que de faire un disque, car le film demande beaucoup de moyens. 


Je n'ai pas rencontré R.L Burnside dans le Mississippi mais à Paris. Dans les années 90 j'avais avec mon copain, une société de distribution de films musicaux et documentaires, « Ciné-Rock ». On a ressorti des films comme « Rude Boy », « Gimme Shelter »,  « Reggae Sunsplash » etc ... Et on est tombé sur ce film « Deep Blues » produit par Dave Stewart. On a flashé, sorti le film et invité R.L Burnside (qui  intervenait  dans le film avec Junior Kimbrough, Jessie Mae Hemphill, Big Jack Johnson, Rosevelt Barnes...) à jouer pour l'avant-première, c'était au Passage du Nord-Ouest, à Paris dans le 9ème, début des années 90, une soirée mémorable ! J'ai immédiatement été admirative de l'homme, de sa force, son humour et sa modestie. J'ai décidé de le filmer. J'ai filmé sur trois ans, lors de ses tournées en France, bien que la trame du documentaire ait été réalisée lors de son concert au New Morning en 1999. En revanche, je suis  allée dans le Mississippi en 2009, pour tourner les bonus d'un futur DVD qui n'est pas sorti... J'ai signé un contrat avec un distributeur cette même année, contrat qui court encore jusqu'à début 2014, apparemment celui-ci n'honore pas son contrat, pourtant tout est prêt !

Beaucoup de tournées et de festivals, avant d’enregistrer en studio. Ça forge le caractère ? Ça permet de savoir comment interpréter une chanson, donc enregistrer plus facilement ?
Oui c'est comme cela qu'il faudrait faire ! Mais pas comme ça que j'ai fait jusqu'à présent,  j'ai fait le contraire. C'est pour cela que j'ai toujours envie de ré-enregistrer mes albums ou du moins certains titres.

En studio, c’est en prise live ? Tu produis aussi tes disques, concrètement, ça signifie quoi ? Tu privilégies l’enthousiasme et la fraicheur des premières prises, ou cent fois sur le métier tu remets ton ouvrage, peaufines, réajustes… ?!
Sophie et Lise Hanick

Oui, c'est prise live toujours pour ce qui est de la base. Concernant « Leaving Town » c'était guitare, chant et Lise Hanick à la batterie, une musicienne d'exception, une femme  chargée de feeling  qui joue aussi de la basse, elle en a joué sur un morceau. Elle est également une excellente guitariste et chanteuse et tourne avec son propre groupe.

Ensuite il m'arrive, quand on a construit les fondations, de refaire une voix si je ne suis pas satisfaite. Je peux aussi ajouter de nouvelles parties  de guitare  ou autres instruments, dépendant des morceaux. En ce qui concerne l'album « Leaving Town » je suis fière des guitares que j'ai enregistrées par-dessus la guitare rythmique notamment sur les titres « Leaving Town » et « Tribute Song » et oui, pour finir, je peaufine le mix, là avec Julien Chauveau, talentueux « mixer » qui travaille également beaucoup dans le domaine de la musique africaine et le reggae.

Produire dans ce cas précis, ça veut dire répondre aux questions : où va-t-on enregistrer, avec qui, quels titres on va jouer ainsi qu'organiser et décider de tout le travail artistique.


C’est toi qui fait le casting des musiciens ? Tu les connais d’où ? On croise Hubert 06 sur ton disque. Au Déblocnot on avait parlé de son disque « The Hub » avec Yarol Poupaud. Il arrive comment dans cette histoire ? Et Matthieu des Bo Weavil ? Quels sont tes rapports avec la scène Blues française ?

Je ne fais pas de casting ! En musique, surtout dans le milieu de blues, du rock'n'roll, on se connait presque tous. Je connais Hubert 06 parce que c'est mon voisin, un bon pote, plein d'énergie, qui bosse dur. On se  connaît depuis une dizaine d'années, c'est le blues qui nous a réuni, il venait régulièrement à la maison où Little Victor lui montrait des plans de blues. Je lui ai montré une unique fois comment jouer le finger-picking et il a bâti tout un répertoire, impressionnant ! Certains soirs, après un bon dîner bien arrosé on jammait. Il s'est maintenant équipé en son. J'ai refait une voix de l'album chez lui, il a aussi mixé « When the Levee breaks » et chanté des chœurs sur « Strange Kind of feeling ». Quant à l'excellent Boogie Mat, c'est lui qui nous a enregistrés, Lise Hanick et moi. Il a aussi joué une contrebassine, une guitare, un harmo et a chanté cette incroyable trompette à bouche sur « What have I done ». Je connais Mathieu depuis la fin des années 80, c'est incroyable comme il est doué. C'est lui avec Bo Weavil qui a annoncé la vague country blues en France. Il y eut juste après, Little Victor & Sophie Kay. Depuis, cette  interprétation du blues des origines marche du tonnerre, on l'entend même dans les pubs à la télé. Je suis bien obligée de le dire car sinon personne ne le dira.

Es-tu plus à l’aise en phase d’écriture, seule avec sa guitare, ou sur scène, ou en studio ?
J'aime toutes ces situations bien que j'aime particulièrement la scène.
avec Little Victor (guitare) et Rockin Lucky Lobilla(drums)

Avec l’album précédent, et celui-ci, on sent une double attirance. La chanson française post-St Germain de Près, et le blues. Comment on se retrouve tiraillée entre ces deux univers ?
 Hum, question un peu complexe qui m'oblige à rentrer dans les détails... Si je me sens bien issue de la chanson, c'est de la chanson tout court, bien que « post St Germain des Près » ne me dérange pas, car après l'explosion musicale de la rive gauche parisienne, le blues et le jazz étaient bien présents en France. J'aime la chanson, j'aime le blues et le jazz des premières heures. Si le blues est avant tout un mode musical, tout comme le jazz d'ailleurs, il est aussi né de l'écriture de chansons et de la même façon que dans la chanson telle que nous la connaissons en France, le texte est souvent fort, les mots choisis mettent  à nu l'âme de l'auteur. Au départ de leurs naissances, la chanson et le blues ont une histoire commune : tous deux font le portrait du milieu populaire, peignent les faubourgs des villes, leurs lots de misères matérielles et spirituelles, en somme la difficulté de l'homme à trouver sa place, où qu'il se trouve. La chanson comme le blues furent, au début du 20ème siècle et même bien avant, chantés dans les rues, les cafés sans sonorisation où les gens venaient se consoler. Ceci a été déterminant à mon avis du style des chanteurs, chanteuses à voix et des guitaristes énergiques. Je viens de là. 


Le blues comme la chanson racontent des histoires, des tranches de vie, faites de moments joyeux ou pathétiques. Jusqu'aux années 70, le répertoire blues était constitué uniquement de chansons. C'est Jimmy Hendrix qui en a fait autre chose, moment où les guitares héros sont arrivés. Quand on parle du détail de l’œuvre de ces musiciens qui sont arrivés sur le marché à partir des années 70, en France on a tendance à plutôt appeler  « morceau » ce qui fut  avant appelé « chanson ». Quand les solos de guitares envahissent l'espace de ce qui est censé être une chanson, est-on toujours dans le blues ? Le propre batteur de Johnny Winter, que j'ai connu, Uncle John Turner, nous disait un jour se sentir  responsable  et désolé de la dégradation de la qualité du blues tel qu'il l'avait connue dans sa jeunesse, véridique !  Est-ce que je m'égare ? 



Pour vous dire que ce qu'on appelait blues autrefois, provient  bien de  l'écriture d'une chanson, au départ  avec les « songsters » dont les premiers bluesmen se sont inspirés. Le « Crazy Blues » de Mamie Smith enregistré en 1920 était bien une chanson. Tout ça, je vous l'accorde, n'est qu'une question de mots, mais la signification première  des mots est importante je crois. Tout ce que j'ai produit jusqu'à maintenant est complètement inspiré du blues. Je suis issue de deux cultures et c'est bien qu'on le sente. Quand je chante  des paroles en français, je ne cherche pas à coller à la rythmique et accent tonique des mots américains, donc la musicalité s'en trouve transformée, bien que la forme (8 ou 12 mesures) soit souvent là ainsi que les arrangements derrière. Je suis à l'aise en français ou en anglais, ça ne me pose aucun problème et le public aime cela, c'est ce qui importe.


Hou la ! Deux secondes Sophie ! Tu dis que c’est à partir d'Hendrix, des guitar-héro, que les chansons se sont rallongées, pour faire place aux solos de guitares.Tu sembles le déplorer. Qu’il y avait une perte de sens. Pourtant, des types comme Freddy King, Buddy Guy, Albert King, étaient des guitar-héro avant l’heure…
 Je n'aime pas la tournure « moderne » qu'a prise le blues. Ça ne me touche pas. Je n'aime pas quand les guitaristes s'éloignent des pentatoniques, quand les batteurs frappent comme s'ils jouaient du métronome, quand les bassistes slappent sur leur manche  plus que de raison, et quand les sonorisateurs mettent en avant une caisse claire et un pied de grosse caisse à provoquer une crise cardiaque ! Le blues est devenu autre chose quand les watts sont arrivés et que le business de la pop s'est accru. Plus rien à voir avec le blues bien qu'on retrouve des artistes pop en tête d'affiche de festivals dits de blues. Tout ceci fausse la culture. Les gens ont une image standardisée de cette musique, alors qu'elle est tout sauf ça. A tel point que mon élève de guitare de 13 ans me dit alors que je venais de lui faire un morceau de Robert Johnson : « c'est du blues ça ? Je ne savais pas, mais c'est un truc de malade » !
Je ne vois pas les trois « King » comme des guitares héros mais d'excellents guitaristes, en quelque sorte des poètes de la note. Ils m’émeuvent sur des mélodies de trois notes. Je ne dis pas que la dextérité ne fait pas partie  d'une forme d'art mais en général, tout ce que j'ai entendu des guitaristes qui jouent vite et sans respiration m'ennuie.  Mais maintenant je ne connais  pas tout... J'ai fait partie fin des années 80 de l'équipe des « Cent Guitares » de Rhys Chatam, un compositeur new-yorkais de « rock d'avant-garde » influencé par Robert Fripp, Brian Eno, John Lurie, je peux te dire que des notes fusaient de partout et cent guitares les jouaient ! J'ai adoré cette expérience, c'était magique et la pièce de musique à jouer grandiose, j'en avais les frissons, oui qu'importe la musique, elle doit me faire frissonner...

Désolé d'insister, mais ces bluesmen seconde génération, qui ont servi la cause du blues traditionnel, en intégrant l’aspect « rock » des solistes virtuoses... Que penses-tu des blues des années 60 ou 70, les Cannet Head, Fleetwood Mac (version anglaise avec Peter Green) John Mayall, Eric Clapton…
 Je me suis toujours demandé ce qu'on trouvait à Clapton, jusqu'à son dernier album dont j'ai entendu quelques chansons, je le trouvai mauvais chanteur. Dans ce dernier album, la voix est enfin là. Je ne comprends pas qu'on puisse faire une telle carrière avec une voix pareille... Oui je suis sensible en premier lieu aux voix et aux mélodies.  Et puis il a fait une fâcheuse déclaration au sujet des Noirs de son pays, même bourré, c'est impardonnable quand on pense à son fond de commerce.

Je déplore que le  blues, le rythm 'n' blues  joué par les Noirs de ces mêmes années dont tu parles n'ai pas eu le même impact culturel  et commercial dans nos sociétés que le  rock blues des blancs qui a jailli à cette époque. Je connais des  trentenaires de maintenant  qui connaissent  Eric Clapton mais pas Albert ou Freddy King, et à peine BB King. Quant aux autres que tu cites, Canned Heat etc... Ils ont tous joué d'excellents titres, bien sûr j'ai écouté « On the road again » et « Going up to the country » en boucle à l'époque, mais surtout Creedence Clearwater Revival que tu as oublié dans ta liste !  

Oublié... hum... CCR n'est pas fondamentalement un groupe de blues...
C'est vrai, bien que l'influence du blues soit largement là dans beaucoup de leurs chansons.


Et est-ce que sur scène, tes chansons sont rallongées parce que les musiciens en rajoutent par rapport à la version studio ?

Bien sûr que si je joue avec des musiciens et quand le morceau s'y prête il y a des solos ! 
avec Stan Noubard Pacha
 
Chanson originales, et reprises. Comment tu les choisis ? Reprendre « When the levee breaks » de Joe McCoy  après la tonitruante version de Led Zep, on aborde ça comment ?
Les chansons originales viennent à moi souvent naturellement. Il m'arrive d'écrire une chanson d'un trait, paroles et musique. Ou alors, une phrase, un air me vient dans la rue, dans le métro, que je développe par la suite.

Pour ce qui est des « reprises » je voudrais faire tout Bessie Smith, tout Memphis Minnie, tout Lil' Green, tout Jimmy Rogers, j'adore aussi les chanteuses de rythm'n'blues des années 50, Etta James, Nina Simone, tant de fantastiques chansons ont été composées. Et là le choix devient difficile ! Il faudrait plus qu'une vie pour chanter tout ça !

Quant à « When the levee breaks » la chanson n'appartient pas à Led Zep ! N'importe qui peut faire sa version, il en est de même pour tous les blues, d'ailleurs c'est la tradition même du blues, l’interprétation libre. D'ailleurs je me sens frustrée sur celle-là car l'arrangement de la seconde guitare de l'original est sublime, et j'aurais aimé qu'il soit joué sur mon enregistrement ! Voyons cela pour une prochaine fois !

D’où vient l’idée d’un disque pur Blues ? Tu voulais rendre hommages aux "blues singers", les Bessie, Dinah, Ma Rainey, Memphis Minnie ?

Avez-vous oublié que depuis la fin des années 90, j'ai sillonné les routes avec Little Victor et que j'ai joué cette musique durant quelques huit ans et enregistré deux albums avec lui ! 

Quand j'ai arrêté de jouer avec Victor j'ai eu besoin de remettre à la surface mon côté frenchy, on finissait par me prendre pour une américaine, que je ne suis pas. A la fin des concerts, les français venaient me parler en anglais ! Maintenant cette période est classée dans mes archives. Je me sens libre de faire ce que je sens. Est venu donc le temps et le besoin d'enregistrer d'autres titres que ceux présents sur « Just Rockin' The Blues » et « Cooking with Gas ». Je n'avais pas de disque de blues sous mon nom, c'est chose faite et d'ailleurs j'ai plein d'autres blues à enregistrer !

Hors micro tu nous parlais de tes déboires avec les programmateurs de festivals de blues qui ne savent pas trop comment te cataloguer, qu'en est-il ? Pourtant le disque est bien reçu si j'en juge les quelques chroniques que j'ai pu lire, quant à nous, nous avons beaucoup aimé. Alors que se passe-t-il ?
Je ne crois pas aujourd'hui que le problème soit uniquement celui-ci. Les programmateurs ne parlent désormais plus aux artistes directement. C'est en tous les cas l'impression que ça me donne.


Je crois que la seule solution pour désormais pouvoir parler à un programmateur, c'est de  guetter l'homme et s'introduire avec lui dans son bureau sans qu'il en soit averti ! Ça ne sert plus à rien d’appeler, la majorité des programmateurs et des responsables de lieux subventionnés sont toujours, soit en réunion, soit en rendez-vous extérieur. On te dit de rappeler à telle heure, tu t’exécutes... Pas de chance il vient juste d'entrer dans une nouvelle réunion, on te demande  de rappeler une heure plus tard, là, encore pas de chance tu viens juste de le louper car il est sorti de son bureau. Vient alors ta dernière chance car on ne t'a pas encore dit qu'il était rentré chez lui. Est-il sorti fumer sa clope ou aller manger son quatre heures, tu rappelles quinze minutes plus tard. Et là tu sais quoi ? L'homme avait rendez-vous chez son dentiste. La secrétaire pleure au téléphone qu'elle a oublié de noter le rendez-vous sur l'agenda mais assure que demain  matin il sera là...! Il m'est arrivé d'appeler plusieurs années de suite sans jamais pouvoir parler à quiconque ! Entre temps j'avais sorti trois albums ! C'est épuisant de jouer au chat et à la souris des années durant ! Et si jamais tu as la chance de pouvoir parler à quelqu'un, le programmateur sortira le nouvel argument imparable de ces derniers temps : la crise. Et toi tu renifles avec lui au téléphone, oui c'est terrible, il n'a plus de budget pour les découvertes. Avant de raccrocher tu essayes quand même de lui faire comprendre que tu n'es plus tout à fait une découverte mais lui il écoute rien, il  continue à renifler sur la crise. Forcément au bout de quelques années d'un pareil traitement, on comprend que les artistes s'épuisent. Malgré tout, après quinze ans je suis toujours là, mon énergie reste intacte. Je parle ici de la France car c'est en France que je veux jouer en priorité, je n'aime pas prendre l'avion.


Une autre anecdote me revient : quand j'ai sorti « Old-Orléans » en 2010 il m'est arrivé d'entendre des festivals de chanson « Adressez-vous aux festivals de blues » et des festivals de blues « Adressez-vous aux festivals de chanson » ! En fin de compte, j'aimerais bien être perçue comme une artiste à part entière et non quelqu'un qui est spécialisé dans un domaine unique. Pour moi, Tom Waits est l'exemple type de l'artiste qui fait ce qu'il veut, il est Tom Waits, c'est tout... Ceci dit, j'ai quand même joué jusqu'à il y a quelques années dans pas mal de festivals... Beaucoup à l'étranger.
Je pense maintenant avoir compris  que les programmateurs travaillent en lien étroit avec les agences. Ensemble ils font la pluie et le beau temps. Si tu n'as pas la chance de faire partie de l'une d'elles, tu peux oublier la vie de château. Auparavant les commandes des festivals étaient aux mains de passionnés qui se foutaient de la notoriété ou autre symbole de réussite. Ils programmaient sur coup de cœur, chacun avait sa chance, on était encore dans l'humain. Aujourd'hui ce monde-là est mort, ne reste plus que le superflu, les financiers de la  haute voltige culturelle veulent du chiffre. Les têtes d'affiche raflent la mise et les autres se disputent les miettes. Le monde de la musique dans son fonctionnement n'est pas différent du monde tout court, l'argent, le pouvoir, la volonté de devenir le plus, le mieux. Je crois qu'il serait temps de changer et faire du partage le vrai plus. Je ne suis pas la seule qu'on ne voit jamais dans les festivals, il y a plein d'autres artistes qui restent sur le bord de la route. Tout le monde a le droit de vivre correctement malgré ses différences mais hélas, tant que nous vivrons de compétition et sous la coupe des cercles d'influence, la vie continuera ainsi, quelques temps probablement mais pas éternellement. Heureusement, il n'y a pas que les festivals, bien que ceux-ci représentent pour les artistes une énorme chance à tous points de vue.


Question classique pour finir... ta découverte musicale du moment ? 
Hum... embarrassant... Je réfléchis, je réfléchis, je ne vais pas dire Johnny Cash quand même ! J’aimerais que quelque chose me vienne mais ça ne vient pas. Voilà : Hat Fitz & Cara Robinson ! Je les ai rencontrés en Angleterre, on a joué sur le même festival, les deux sont exceptionnels et tu vois lui il joue très vite sur son dobro mais comme il fait passer cela, ça me laisse pantoise ! Et elle est une batteuse/percussionniste et chanteuse, c'est wouah ! Ah oui, j'ai découvert cette chanteuse québécoise sur Internet : Lhasa de Sela, hélas morte d'un cancer à seulement 37 ans, un de ses titres « J'arrive en Ville » me fait penser à un artiste que j'admire énormément et que j'écoute régulièrement : Tom Waits.


Qui écoutes-tu en ce moment ?

Toujours la même chose du blues du jazz du r'n'b du rock'n'roll, de la chanson, du swing. Il y a peu j'ai découvert Carl Perkins ! Que je connaissais mais pas si bien que cela, la classe ! Et Django R, S.Grappelli, dont je n'ai pas parlé mais qui fait partie de mon univers depuis un moment. Là aussi ça joue vite ! D'ailleurs, après ma mort, si je reviens sur terre, faites que je sois entendue car je souhaiterais revenir sous la réincarnation de Django ! 

Et bien merci Sophie de nous avoir permis de faire connaissance, bonne route à toi. Quelque chose à ajouter ?
Oui je voulais remercier le Déblocnot' qui me donne l'opportunité de m'exprimer ainsi.



On écoute et on regarde "Leaving Town", clip réalisé par Sophie.

4 commentaires:

  1. Hé bé sacré tempérament que cette Sophie Kay. En tout cas bravo pour l'interview qui démontre un tout cas un sacré caractère et ce même si je ne suis pas d'accord avec les dires de cette blueswomen pas tout à fait comme les autres : moi j'adore aussi le blues-rock quand il est joué par de super musiciens tout en reconnaissant que quand certains en font trop ça peut vite devenir chiant.

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  2. Merci de votre passage Guy (... Williams, mais version colorisée, vous devriez être en noir et blanc !!) oui, Sophie a un sacré caractère, et surtout un sacré talent !! Son disque est vraiment très bon, ce serait idiot de passer à côté !

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  3. Et bien je vais suivre votre conseil et aller de ce pas découvrir cette Sophie qui ne m'a pas l'air si grande. Quand à la version colorisée j'y tiens car il faut bien vivre avec son temps. C'est comme écouter Machine Head de Deep Purple (exemple pris complètement au hasard....) dans la dernière version remasterisée et garder quand même le vinyle pour l'aspect sentimental.
    Salutations

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  4. Machine Head ??? Arrfff.... tout de suite les arguments qui frappent !!! Bien vu ! Touché coulé !!

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