Gwyn Ashton
aurait pu rester à jamais un galérien, écumant
jusqu'à épuisement les petits clubs australiens, à
moins que par lassitude il finisse par raccrocher son antique
Stratocaster. Seulement voilà, Gwyn a persévéré,
et, à trente-sept ans, en 1998, a enfin eu l'opportunité
de sortir un premier opus. Une totale réussite. Un Blues-rock
âpre et torride comme le bush australien, piquant et venimeux
comme leurs bestioles endémiques, survolté à
l'image des scènes foulées par les Rose Tattoo,
Kings of the Sun, Midnight Oil. Le tout sans fard, sans lissage, sans
concession.
Gwyn est un
Gallois qui émigra avec ses parents pour l'Australie,
lorsqu'il n'avait que cinq ans. La première ville
d'accueil fut Perth. Il se souvient d'un pays très dur à
l'époque, avec des autochtones renfermés sur eux-mêmes,
se méfiant des inconnus. Certaines villes étaient
encore isolées les unes des autres (les télécommunications
n'étant pas totalement développées sur
l'ensemble du territoire).
Son premier
contact avec la musique, outre la télévision galloise,
était ses parents : une mère qui jouait du piano et
chantait dans une chorale, et un père qui tâtait de
l'harmonica.
Comme beaucoup,
son premier flirt à douze berges... euh ?... pardon...
première guitare à douze ans ; une acoustique (« aux
cordes trop hautes »). Plus tard, il passe aux choses sérieuses
avec une Maton Sapphire (guitares australiennes assez bien conçues
pour séduire George Harrisson et les Kinks), puis une copie
japonaise de LesPaul (une Tokaï ?) et enfin en 1976, une
Stratocaster.
C'est à
Adelaïde qu'il se forme à la scène via différentes
formations. D'après lui, dans les années 60 et 70,
c'était une ville propre à accueillir et à
émuler des jeunes groupes. Pour l'ambiance, il la compare à
Austin. Cold Chisel et The Angels en sont originaires. Toutefois, il
part dès 1983 pour Sydney où il fréquente Malcom
Young qui habite la même rue. Son batteur d'alors n'est autre que le neveu du rythmicien à la Gretsch 6131 du fameux combo aussie. Dès que Sydney commence à
fermer ses clubs de musique live au profit des discothèques,
Gwyn part pour Melbourne. Entre temps, il écume les moindres
bars où on l'accepte, conduisant parfois lui-même pour
rallier le gig suivant. Et là-bas, les routes sont forts longues...
C'est exténuant, difficile, et le public est rude et parfois sans
ménagement pour les musiciens (une fois il joue dans un club
où la scène est ceinturée d'un grillage
de poulailler, pour protéger les musiciens des projectiles – comme
les Blues-Brothers dans le Club de Country -), mais il ne
raccroche pas. En 1990, il ouvre pour Rory Gallagher. Une figure
importante pour Gwyn. Plus tard, il aura l'occasion de jouer avec Ted
McKenna (sur « Prohibition »), avec Gerry
McAvoy et Brendan O'Neill (sur « Fang it »). Il
reprendra également deux titres de l'Irlandais : « Secret
Agent » et « Who's that Coming ».
Malheureusement, Gwyn souffrira de la comparaison avec Rory. Non sans
fondements, cependant parfois exagérée, certains ne
focalisant que sur les points communs. Conscient de la critique, il craint que l'on ne le considère que comme un simple clone.
Il parvient à
partir pour les USA où il rencontre Albert Collins (le
souvenir d'un être d'une grande gentillesse), Sue Foley, Guy
Forsyth (qui louche sur sa National Duolian de 1936), et Bill Perry
au Manny's Car Wash à New-York (forte impression). Souvenirs
d'un public enthousiaste, et le plaisir de jammer avec un tas de
musiciens.
En 1994, il
réussit à décrocher cinq jours de studio ; trois
servent à l'enregistrement et le reste pour le mixage. « Feel
the Heat », qu'il finance lui-même, est une ode au
Blues-rock franc, vindicatif et tranchant. « Je trouve les
accords de « Someone like You » un peu trop
maniérés ; je crains d'avoir joué des septièmes
majeurs qui ne sont pas mes intervalles favoris. Ça sonne fillette », voilà qui cerne le personnage de
l'époque. Et effectivement, c'est du rude, mais pas du
bourrin. C'est assez proche de Rory Gallagher (plus précisément
celui de « Photo Finish », « Top
Priority », « Defender » et
« Tattoo »), avec une once du 1er Jeff Healey
(d'ailleurs le dernier titre, « We'll find a Way »,
est un slow-blues inspiré par le style de Jeff), de Johnny
Winter aussi (ère « Still Alive Well » &
« Saints & Sinner »), et parfois aussi de Micky Moody. On a même un
« Take me Back Home » acoustique qui évoque
ce bon vieux Mungo Jerry. « Feel the Heat » a
tous les attributs d'un classique. Malheureusement, Gwyn a du mal à
se trouver un distributeur.
En 1996, toujours
de ses propres deniers, il enregistre live, d'une traite, en pratiquement 24 heures
(!), un magnifique album acoustique (enfin presque, à
l'exception de l'orgue Hammond), où on retrouve l'influence
des vieux bluesmen tels que Muddy Waters, Howlin' Wolf, Leadbelly,
mais également John Mayall.
Avec sa Gwyn Ashton Signature, Los Angeles, de Liutart (luthier italien) Trois micros (un Seymour Duncan au centre) et vibrato Bigsby B16 |
La même
année, il part tenter sa chance en Europe où il
parvient à décrocher de nombreuses premières
parties. Enfin en 1998, il décroche un contrat avec Riverside
(une filiale blues de Virgin, qui a signé Steve Johnson et
Nine Below Zero) qui, encouragé par le « revival »
ambiant du Blues et du Blues-Rock (grâce notamment à
Gary Moore et aussi aux labels Point Blank et Silverstone qui
exposent à nouveau avec succès quelques vieilles
gloires, dont Buddy Guy, John Mayall et John Lee Hooker), lui
offre une distribution décente pour « Feel the
Heat » et une petite promo (limitée à
quelques magasines). Le label sort les bandes telles qu'elles, les
trouvant bien assez bonnes, jugeant que toute retouche, ou réenregistrement, est totalement superflus (et le mieux peut
être l'ennemi du bien). Sans faire l'effet d'une bombe,
l'album est chaleureusement accueilli ; tant par la presse que par un
public amateur de blues-rock cru et direct. L'Europe découvre
un authentique bluesman (pas dans le sens stricto sensu), sans aucune frime (denrée rare), au
tempérament rock affirmé. Cela répond à
un besoin laissé vacant par des icônes disparues du
circuit.
Un certain
succès, une reconnaissance, semble poindre le bout de son nez.
Gwyn tourne avec BB King, Mick Taylor, Status Quo, Peter Green, The Yardbirds.
En 2000, « Fang
it ! » déboule avec une production (de Dennis
Greaves, des Nine Below Zero) plus dynamique, qui a cependant gommé les aspérités et l'aura australienne inhérent au
premier opus. Pour le coup, il perd aussi en fraîcheur, mais
demeure d'un bon niveau.
En 2001,
Riverside, afin de ne pas laisser refroidir les braises, sort les
enregistrements acoustiques de 1996 : « Beg, Borrow &
Steel ».
Ashton part en
tournée avec un Johnny Winter malade et terriblement
affaibli. La tournée attire certes du monde, toutefois à
cause d'un Winter bourré de médicaments, ne tenant plus
sur ses jambes, Ashton est obligé de refuser les rappels au
grand dam d'un public enthousiasmé par sa musique énergique,
directe et sincère, (et qui ne perd pas de sa superbe en
concert). Lors de cette tournée, Winter faisait hélas
bien pâle figure à côté du
Gallo-australien (chantant peu, cédant alors volontiers le rôle à l'harmoniciste qui l'accompagnait).
Un peu plus tard,
Gwyn remplace Brian Robertson au sein du « Band of
Friends », une réunion de musiciens (avec Gerry
McAvoy, Lou Martin, Brendan O'Neill ou parfois Ted McKenna, et Mark
Feltham) qui rend hommage à Rory Gallagher. Effectivement, il
ne peut avoir de meilleur choix que Gwyn pour ce « Tribut
band ». D'un autre côté, cela ne fait
qu'apporter de l'eau au moulin de ses détracteurs. Ceux
qui l'accusent de n'être qu'un clone du héros de
Ballyshannon, allant jusqu'à copier sa coiffure et son look,
ses chemises à carreaux (?!). D'abord, Gwyn préfère
apparemment les chemises à fleurs ou Paisley (même si
on a pu le voir occasionnellement avec des carreaux...), et les
cheveux... ben, ils sont un peu longs... faut arrêter les
conneries. Oui, son jeu rappelle souvent celui de Rory (le matos
aussi, Strato 61, Telecaster et National), mais pas que... et puis
merde, hormis deux reprises, Gwyn ne pompe pas. Comme d'autres avec
Hendrix, on peut à la limite considérer qu'il est un
continuateur d'une forme de Blues-rock popularisé par
l'illustre Irlandais.
Ensuite,
progressivement, il semble disparaître de la scène, si
ce n'est pour réapparaître sporadiquement avec les Band
of Friends, jusqu'à ce que le label Dixiefrog édite, en
2006, « Prohibition » (avec Chris Glen et Don
Airey). Malgré 2/3 titres en deçà c'est un bon cru doté
cette fois-ci d'une production ad-hoc.
"Killer" Hickman & Ashton |
En 2009, devant
la défection des petits labels, et la nouvelle donne du
marché (internet ?), Ashton crée son propre label (Fab
Tones) et, dans la foulée, sort « Two Man Blues
Army » qui, comme son nom l'indique, n'est joué que
par deux musiciens : Gwyn, évidemment, et Kev « Killer »
Hickman à la batterie. Un jeune bûcheron plein de
ressources : une bonne frappe offrant un jeu fluide et dynamique.
Noël Redding et Corky Laing ne sont pas loin. Ce binôme
(qui a été présenté comme la rencontre
des White-Stripes et de Rory Gallagher - je citerai plus volontiers l'Electric Duo de Jack Bon) délivre un Blues-rock
qui défouraille, un peu « Garage », qui va droit à l'essentiel et envoie la purée, mais
qui n'aurait été que bien meilleur avec... un bassiste.
Et puis voilà,
qu'en 2012, débarque sans crier gare ce superbe « RADIOGRAM ».
Peut-être bien son meilleur album (le temps en jugera). Cette
fois-ci, Gwyn a décidé de réintégrer la
basse à ses compositions (sage décision) et d'en jouer.
Il s'est offert le luxe de quelques invitations. Ce qui apporte une richesse
supplémentaire à « Radiogram ».
Néanmoins rien d'extraordinaire, ni de vraiment notable. Cela
demeure du pur Ashton, sans sucre ajouté, ou rehausseur de
goût. Les divers apports se fondent dans la musique du binôme,
servant plus à étoffer une ambiance, ou bien à
exacerber un feeling.
Ainsi on retrouve
Kim Wilson pour le dernier chorus d'harmonica de « Little
Girl »; Mark Stanway, le clavièriste de Magnum
(avec qui Gwyn a tourné en 2011) et de feu Grand-Slam (de Phil
Lynott), bien loin ici de ses pérégrinations FM ou
Rock-progressif, en nappage d'orgue sur « Don't Wanna
Fall », « Fortunate Kind » et
« Angel »; Robbie Blunt (ex-guitariste de
Silverhead, le groupe de Michael Des Barres, puis de Robert Plant)
riffant sur « Fortunate Kind »; Don Airey a
nouveau présent, ici sur « For Your Love »;
Mo Birch (UB-40, Go West, Culture Club, actuellement chanteuse de
folk-rock, elle est dotée d'une voix volontaire et légèrement masculine) en
tant que choriste, et Henry Parker apportant sa douze-cordes sur
« Don't Wanna Fall » et son acoustique sur
« Fortunate Kind ».
Survol succinct :
« Little
Girl » envoie d'entrée la sauce : voir la vidéo
promo (hé ! Ho ! Il s'foule pas l'Bruno !! Va falloir revoir les honoraires)
« Don't
Wanna Fall » évoque le meilleur de Rory Gallagher
lorsqu'il se fait lyrique, avec un p'tit quelque chose de Bertignac
sur le refrain et le final.
« Let
me in » grosse présence de l'harmonica de Johnny
Mastro (le bourrin de Mama's Boys – celui de L.A et non des McManus
brothers-), rythmique de semi-remorque à plein gaz, avec
chauffeur déjanté qui saute sur son siège
chantant à tue-tête, les yeux-fermés, « can't
understand how you treat your man, woman let me in »,
lâchant le volant pour une partie de air-guitar.
Instant
romantique avec « Fortunate Kind » entre Stones
60's et Jeff Healey.
« I
Just Wanna Make Love » (de Willie Dixon) à la sauce
Hendrix. Gwyn traumatise son ampli, triture ses cordes, brutalise son
vibrato et s'acharne sur une wah-wah.
« Dog
Eat Dog », blues binaire, sec, simple mais porté
par une conviction sans faille.
« Angel »
slow-blues âpre et aride.
« For
Your Love », les chœurs de Birch et Parker sont à
l'unisson du riff puissant et langoureux, et ne cessent que pour
laisser place au chant, également à l'unisson. Les
paroles ne se résument qu'à huit lignes en incorporant
à chaque fois « I've been waiting... »,
pour souligner l'état obsessionnel, impatient, fébrile,
aux prises avec le démon de minuit.
« Comin'
Home » débute comme du Cars en mode bluesy avant de
lâcher la purée et de retrouver la chaleur des terres
australes via Rose Tattoo (ère « Scarred For
Life »). A prescrire en cas de coup de fatigue ou comme
réveil-matin.
Final sur un
magnifique hommage à Roy Buchanan (il semble en pleuvoir en ce
moment). Comme il l'avait déjà dit lui-même,
Ashton est avant tout un fan, ce qu'il a maintes fois prouvé,
notamment par ses hommages à Stevie Ray Vaughan, Jeff Healey,
Albert Collins, ses reprises de Gallagher et le Band of Friend, et
maintenant Roy. Comme pour ses précédents « tributs »,
il incorpore à son jeu des phrases et des licks propres aux
concernés, plutôt que de se contenter d'une simple
reprise. Cet instrumental, inspiré des « Roy's
Bluz », « After Hours » et « Pete's
Blues » ne mue que progressivement en Buchanan ; comme une
lente possession. Et on se rend compte, qu'en fait, il y a parfois
pas mal de Buchanan (époque 73-75) dans le jeu du Gallois.
Conclusion : avec
cette galette Gwyn Ashton se hisse parmi les défenseurs d'un
Blues-rock cru, franc, intemporel, sans esbrouffe, ni paillettes.
Rien que du
lourd, pas un temps mort. Réussite totale.
Gwyn Ashton est
de retour.
A Rapprocher de :
Rory Gallagher ("Tattoo")
Johnny Winter ("Roots") & ("Live at the Fillmore East")
Jack Bon (Electric Duo "Low Class Blues")
À Loison-sous-Lens, le Twenty-club est devenu salle Aimable-Cuvelier, la salle des grands banquets ! Le 5 mars 2005, Jack Lang dévoile une plaque commémorative et l’association Blue Box décide de mettre sur pied chaque année « Éclats de blues ». « Un hommage à Hendrix avec la volonté de ne pas s’enfermer dans le mythe Hendrix »
RépondreSupprimerEt bin ouai.. j'ai vu Gwyn Ashton dans cette petite salle mythique et je peux vous dire que cela a dépoté sévère ce soir la.
J'oublie de préciser... Hendrix a fait un show dans cette salle en 1967.
SupprimerVeinard !
SupprimerPour ma part, je n'ai pu le voir qu'en première partie de Johnny Winter. Et en plus, 'suis arrivé en retard, et on a manqué la première pièce.
Véritable ovation. Malheureusement, le manager de Johnny Winter avait apparemment lourdement insisté pour pour qu'il n'y ait aucun débordement d'horaire.