Allez, plein gaz sur "Tulsa Time", et on se retrouve en bas de page, pour un blues de chez blues...
JUST ONE NIGHT est sans doute l’album live le plus célèbre d’Eric Clapton, sorti en avril 1980, et enregistré au Japon, pendant les concerts donnés au Budokan de Tokyo en décembre 1979. La tournée de 1979 fait suite à deux albums, SLOWHAND (1977) et BACKLESS (1978), disques sur lesquels Clapton aborde un nouveau style, période dite « JJ Cale » du nom du musicien américain, dont Clapton avait repris le titre « Cocaïne ». La musique reste à dominante blues, avec son lot de reprises, mais dans une atmosphère plus country, des chansons plus courtes, moins d’envolées de guitares, mais des chorus plus concis. Le public boude un peu devant ce changement de direction musicale (où est passé notre guitar-héro, where is God ??), mais les critiques saluent la performance.
Côté privé, c’est le désastre. Sorti de son addiction à l’héroïne depuis quatre ans, Clapton compense par l’alcool et les médocs. Certes, en 1979 il épouse enfin sa bienaimée Pattie Boyd (photo), ex-femme de George Harrison, dont Clapton était platoniquement amoureux depuis la fin des années 60. Mais sa consommation d’alcool est telle, qu’il est presque ingérable. Il passe le plus clair de son temps dans les vapes, sans trop savoir ce qu'il joue, et ne s'en souvient pas plus le lendemain. A son actif, quelques prestations pitoyables, en roue libre, au pif, quand il arrive à tenir debout jusqu’au bout d'un concert... Ses potes le soutiennent encore (déjà en 1973/74 en organisant le RAINBOW CONCERT) Pete Townsend le secoue sec. Mais le groupe de Clapton est au bord de l’implosion, chacun fait bande à part, Clapton et Albert Lee (guitariste) à bibiner dans leur coin, pendant de Carl Radle (bassiste) se pique dans un autre. Radle est lié à Clapton depuis des lustres, époque DELANEY ET BONNIE, l’ami, le fidèle, présent sur chaque enregistrement. Mais Clapton le vire, comme les autres, et remonte un groupe autour d’Albert Lee et le pianiste Gary Brooker, passé chez PROCOL HARUM. Carl Radle, dépité, plonge tête baissé dans la dope. Il meurt l’année suivante. Eric Clapton est effondré, d’autant qu’il est clairement désigné comme le responsable de la dépression de Carl Radle. Tous les 10 ans, Clapton prendra de plein fouet la disparition de trois proches : Hendrix, Radle, et son fils Conor...)
Le nouveau groupe de Clapton, Henry Spinetti à la batterie, Chris Stainton, ancien Mad Dogs & Englishmen et encore aujourd’hui aux côtés de Clapton sur scène, aux claviers (seul, Brooker n’est pas au Japon), Albert Lee à la guitare, claviers d’appoints et à la voix, Dave Mark à la basse, investit donc la célèbre salle de Tokyo, devant un public nippon toujours friands de musique américaine (d’où le nombre d’albums live enregistrés là-bas), et délivre un set de toute beauté, plutôt d’inspiration blues-rock. Il y a d’abord ce son, d’une pureté limpide, mais sans gommer la rusticité du blues. Et le répertoire offre son lot de tubes, de nouveautés, de reprises blues, de vieilleries. Ca commence par une descente de piano (électrique) cristalline, et le riff d’intro de « Tulsa time ». Petite mise en bouche country-rock, mais Clapton enquille direct avec le long « Early in the morning », blues lent précédemment enregistré sur BACKLESS. Deux titres de SLOWHAND sont joués ensuite, deux compositions de Clapton, « Lay down Sally », très JJcallienne (!) qui se termine en fondu, réel, exécuté par les musiciens et non ensuite au mixage. Et puis la divine « Wonderful tonight » une des plus belles compos de Clapton, d’une tendresse infinie, écrite en dix minutes quand Clapton, impatient de partir dîner, attendait sa femme (Pattie) se pomponner pendant des heures. Viens comme tu es, t’es très bien comme ça, tu es magnifique ce soir… ça tient à peu de choses un tube !
Retour au rock, avec le percutant « If I don't be there by morning » écrite par Bob Dylan, avec Albert Lee à la double voix, et au premier chorus, puis Stainton, et la rythmique soudée derrière. Puis le classique blues « Worried life blues » de Big Maceo et son cortège de solo. Car en concert, Clapton renoue tout de même avec les chorus, les morceaux ici font entre 7 et 8 minutes faciles. Ensuite arrive sans doute une de mes chanson préférées « All your past time ». Une compo de Clapton et Rick Danko (le bassiste de THE BAND). C’est beau à chialer, les parties chantées par Clapton et Albert Lee, sont empruntes de regret, de tristesse. Les voix sont pâles, blanches. C’est une chanson d’amour, mais je ne sais pourquoi, je ne peux m’empêcher de penser à Carl Radle, en écoutant les paroles.
I don't want to be the one to say I'm sorry / I don't want to be the one to take the blame / I don't want to be the one to throw it over / I don't want to be the one to feel ashamed / I don't want to be the one who thinks of nothing / I don't want to be the one to tell you what you have seen.
On raconte souvent de Clapton qu’il n’est pas un grand chanteur. Qu’il n’ait pas la puissance, la technique, les facilités, admettons, mais l’émotion qu’il dégage est incroyable, timbre légèrement voilé, feutré, mais qui ce fait guttural quand il le faut, incisif au bon moment comme dans « After midnight » (de JJ Cale) repris ici à 100 à l’heure, sur une rythmique lancé à toute vapeur. Il est chaud le Clapton, alors il se lance dans un long blues, une reprise du « Double Trouble » de Otis Rush. Chorus d’anthologie, le son Clapton de ces années-là, tout en finesse, en silence, en petite touche. Et la voix, merde, la voix ! Qui prétend que ce type ne sait pas chanter ?! Les musiciens quittent la grille, le bassiste répète un motif, Clapton tricote de longue minutes dessus, le groupe en alerte, prêt à suivre telle ou telle direction, Chris Stainton conclut à l’orgue. Splendide. On retrouve Albert Lee au chant sur « Setting me up » signée de Mark Knopfler, petite récréation, sautillante, avant de replonger dans le répertoire historique.
On en revient au classique de scène avec « Blues power » composition de Clapton et Léon Russel. Avec DEREK ET DOMINOES, le titre était joué sur tempo lent, ici on touche plus au rock, une fois passée la douce intro guitare/piano, on écrase l’accélérateur, et on ne relâche pas la pression. Stainton s’amuse comme un fou au piano entre deux couplets, et Clapton part dans un chorus interminable. Le « Rambling on my mind » qui suit est un des sommets du disque. C’est un classique de Robert Jonhson, que Clapton s’approprie totalement, grimpant de tonalités en tonalités, et citant largement « Have you ever love a woman » une reprise de Billy Myles (et Freddie King, idole de Clapton) enregistrée sur l’album LAYLA (1970). C’est moite, suave, grosse présence de Dave Mark à la basse, et puis ça monte, ça monte, le ton se durcit, ça vous prend aux tripes un truc pareil, et ça vous envoie loin ! Clapton s'y déploie tout en finesse, en grâce. Du grand art. Z’en voulez encore ? Allez, autre tube, « Cocaïne » l’incontournable tube de JJ Cale. Que dire d’un riff pareil, d’une chanson pareille ? Un don du ciel ! Et puis en 1980, question cocaïne, il sait de quoi il cause le Clapton… Allez, Clapton ne nous lâche pas encore, il nous balance un autre classique, le shuffle « Further up on the road » de Joe Medwick, avec entrée progressive des musiciens dans l’ordre de leur présentation, et ça dépote, chorus à gogo, avec un Chris Stainton au piano particulièrement inspiré et swinguant. Un pur régal.
JUST ONE NIGHT est pour moi une merveille quasi absolue. Clapton arrive à être fidèle à sa première passion, le blues, avec 5 morceaux de choix (blues lent généralement), tout en teintant sa set-list de titres plus country-rock (le choix d'Albert Lee comme second guitariste n'est pas un hasard, Clapton a toujours su s'entourer des meilleurs, sans s'inquiéter de l'ombre qu'ils pourraient lui faire) avec des "Tulsa Time" ou des "If I don't be there by morning", et puis des titres représentatifs de la SLOWHAND's touch, son laid-back légendaire, son jeu en picking. Au rayon tube, on est servi aussi. Lors de cette tournée, en Europe, Gary Brooker est présent aux claviers, la set-list inclut d'ailleurs "A whiter shade of Pale", plus des vieilleries tirées de LAYLA. Le seul souci de cet album, finalement, c'est qu'il soit trop court ! 89 minutes en vinyle, mais pas de prises inédites dans la version CD.
Pour Clapton, ce double live marque l'entrée dans les années 80. Musicalement il reste au sommet et se renouvelle même, mais pour le reste... En 81 la tournée sera interrompue pour cause de santé, nécessitant 6 semaines d'hosto, la promesse d'arrêter de boire (et se désintoxiquer des anti-douleurs pris par poignées entières pour son mal de dos...). Et enfin sorti des addictions diverses, il va tomber sur un autre problème dont il mettra du temps à se dépêtrer, un truc sans forme qui colle aux semelles : Phil Collins ! Qui entraine notre bluesman sur les routes du rock-FM... Trahison ! Vengeance ! Que voulez-vous, Clapton devait bien un jour ou l'autre porter sa croix !
Pour Clapton, ce double live marque l'entrée dans les années 80. Musicalement il reste au sommet et se renouvelle même, mais pour le reste... En 81 la tournée sera interrompue pour cause de santé, nécessitant 6 semaines d'hosto, la promesse d'arrêter de boire (et se désintoxiquer des anti-douleurs pris par poignées entières pour son mal de dos...). Et enfin sorti des addictions diverses, il va tomber sur un autre problème dont il mettra du temps à se dépêtrer, un truc sans forme qui colle aux semelles : Phil Collins ! Qui entraine notre bluesman sur les routes du rock-FM... Trahison ! Vengeance ! Que voulez-vous, Clapton devait bien un jour ou l'autre porter sa croix !
Quand Clapton à viré Radle ,je croyais qu'il l'avait remplacé par Donald "Duck" Dunn ? Je ne suis pas un fous de Clapton et surtout je n'ai jamais accepté qu'il ait piqué Pattie Boyd à Georges Harrison !
RépondreSupprimerOui Pat, Donald Dunn a rejoint le groupe, a joué plusieurs fois avec lui, mais pas sur cette tournée-ci. Mais en ce temps, comme je le raconte, Clapton était dans un tel état, qu'il gérer ses troupes comme un manche (de guitare...) !
RépondreSupprimerOh que je me suis usé les doigts là dessus aussi...
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