samedi 24 mars 2012

BODY AND SOUL de Robert Rossen (1947) par FreddieJazz


Synopsis du film : Charlie Davis (dit Charlie Tiger) est boxeur amateur. Il est vite repéré par un agent qui le pousse à continuer dans cette voie. Alors, bien sûr, Charlie persévère, d'autant plus qu'il hait de toutes ses forces la pauvreté de son quartier et de sa famille. Ses amis, la femme qui l’aime, ne pourront le dissuader. Il va s'en remettre à un autre organisateur de combat peu scrupuleux. On lui promet la lune. Il peut devenir professionnel et se faire un max de tunes. La tentation est trop belle... Comment tout cela va-t-il finir? 

BODY AND SOUL (Sang et Or en français...) n'est pas vraiment un film sur la boxe à la manière d'un RAGING BULL ou d'un ROCKY BALBOA, mais plutôt un film noir autour du "noble art". La boxe n'est qu'un prétexte à cette étude sociale sur la pauvreté new-yorkaise des années 40. Quand Robert Rossen tourne ce film en 1947, il est sérieusement épaulé par une bande de jeunes copains qui deviendront à leur tour de sacrés cinéastes : Robert Aldrich est assistant à la réalisation et Abraham Polonsky le scénariste. Quant à son acteur, John Garfield (le Gabin du Bronx), c'est peut-être là son plus beau rôle avec FORCE OF EVIL (article à suivre...) tourné l'année suivante, ou encore LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS. Mais BODY AND SOUL est vraiment à part. Sa poésie en fait un chef d'œuvre absolu. 

Tout est parfait dans ce film, tant il est traversé par la grâce... Mon affection est donc sans commune mesure pour ce fleuron du septième art. Outre les raisons évoquées plus haut, c'est aussi l'alchimie du couple John Garfield/Lili Parker, d'une beauté à couper le souffle, dont chaque réapparition me fait dire ceci : oui, voilà pourquoi j'aime le Cinéma : un casting impeccable un sens de la dramaturgie exceptionnel, de l'humour, une belle histoire d'amour et cette dose d'humanisme, autant de qualités qui rendent ce films si précieux.

Ensuite, John Garfield, comme Abraham Polonsky, Jules Dassin, Fred Zinnemann et bien d'autres encore ont été black-listés peu de temps après la réalisation de ce long-métrage. Rossen s'en sortira beaucoup mieux que Polonsky. Mais pas Garfield qui décèdera d'une crise cardiaque en 1952. La chasse aux sorcières lancée par la commission des activités anti-américaines du sénateur McCarthy n'en épargnera pas beaucoup. Un vrai traumatisme. Cela dit, ni Robert Rossen (mort en 1966) ni Ab Polonsky (1910-1999) n'auront cette amertume et ce sentiment de vengeance à l'égard d'Hollywood. Ils entretiendront vis à vis de l'industrie du cinéma, et de la politique en général, une certaine distance de bon aloi... Enfin, BODY AND SOUL, est avec THE SET UP/NOUS AVONS GAGNE CE SOIR (de Robert Wise) l'un de ces rares films noirs où triomphe la force morale des personnages, alors qu'au début, on ne donnait pas cher de leur peau. Rien à voir avec un happy ending superficiel, imposée par la Production. Seulement, des personnages qui arrivent à se remettre en question à une étape décisive de leur vie. Magistral. Bref, voici un film dont la liberté de ton a de quoi surprendre. BODY AND SOUL serait peut-être le premier film indépendant (il n'a pas été produit par une major mais par le mythique studio Enterprise).
Et pourtant, le classicisme de la réalisation est évident, l'étude des personnages exceptionnelle (brillamment soutenue par la photographie de James Wong Howe). La mise en scène est un modèle du genre, à commencer par ce long travelling avant, pour le générique, où l'on suit Garfield dans son sommeil, en plein cauchemar. Cadrages rigoureux, ombres pesantes et lumières striées, plans séquences d'une qualité bluffante, comme cette scène finale de cinq minutes sans coupure, sur le ring... Un savoir-faire prodigieux. A noter, enfin, la musique très jazz de BODY AND SOUL, standard immortalisé par Coleman Hawkins. Le thème traverse tout le film sans le plomber, bien au contraire... Quand il réalise ce film, Robert Rossen n'a pas quarante ans. Mais il a derrière lui une sacrée expérience : théâtre, scénario. A la Warner, ses talents d'écrivain, la solidité de ses constructions dramatiques font de lui un personnage incontournable. Il fait aussi partie de cette génération (avec Abraham Polonsky, Jules Dassin et Elia Kazan) bien décidée à exprimer leur point de vue politique et social. Après avoir réalisé L'HEURE DU CRIME (polar lui aussi indisponible), il réalise ce chef d'œuvre qui sera source de polémique. A la différence de Fritz Lang, et parce qu'il travaille pour une production indépendante, il aura l'occasion rêvée d'avoir un acteur noir qui jouera le rôle du coach de Charlie Tiger (Canada Lee).

BODY AND SOUL de Robert Rossen (1947)
Noir et blanc  -  1h45







Freddiejazz c'est notre M'sieur Eddy à nous... alors tout de suite, un deuxième film avec John Garfield  !


Jeune avocat de Wall Street, Joe Morse (John Garfield) possède un réseau de connections avec le monde souterrain du jeu. Il travaille aussi pour un mafieux, Joe Tucker. Peu satisfait de son salaire, il est prêt à tout pour toucher un gros pactole. Pour cela, il lui faut convaincre les concurrents de Tucker  de laisser tomber les affaires. Parmi les concurrents, il y a un récalcitrant. Son frère, Leo…  

L'amour du pognon, vouloir gagner plus, tout en ayant la peur au ventre, est-ce ainsi que les hommes vivent? C'est un peu le sujet de ce FORCE OF EVIL, film noir magistral réalisé en 1948 par Abraham Polonsky, cinéaste maudit suite à l'affaire MacCarthy... Mais s'arrêter là serait bien dommage. Parce que FORCE OF EVIL est une oeuvre singulière à nulle autre pareille, trempée de cynisme ravageur, loin des normes établies (le film n'est en rien conventionnel), puisqu'il dénonce aussi, avec brio, le cynisme de la réalité américaine. Une réalité basée sur le rêve américain et le culte du fric. Bref, un film terrible sur les illusions et l'enfer de la corruption... C'est enfin un très beau film sur l'amour (d'abord, entre deux frères, puis entre un homme et une femme...).
A première vue, ce film pourrait paraître austère (un côté froid, quasi-documentaire, comme dans les premiers films de Jules Dassin et d'Anthony Mann), mais le ton est si juste, il touche si bien là où ça fait mal qu'on se pince pour le croire. Passée la première vision, celle de la découverte, à la deuxième, on ressort grandi, tant ce film est d'une force morale inouïe. Mieux encore, ce film est remarquablement écrit (un côté littéraire), d'une poésie qui laisse pantois. D'ailleurs, l'une des phrases clés est celle au cours de laquelle John Garfield se confiant à Beatrice Pearson, déclare : "sometimes I feel like midnight"... La mise en scène fait corps avec le propos. Abraham Polonsky a toujours avoué être écrivain avant d'être cinéaste. Et si FORCE OF EVIL est son premier film, il est parfaitement maîtrisé. Voix off du narrateur (John Garfield), qualité indéniable au niveau des dialogues, mise en scène efficace et diaphane, plans inoubliables (l'entrée des flics dans l'appartement de Leo, le frère de Garfield) liberté de ton inouïe, FORCE OF EVIL annonce les films de Martin Scorsese (je pense notamment à MEAN STREETS et LES AFFRANCHIS...).

Aliénation de la ville, comme lors de cette scène inouïe où l'on voit John Garfield déambuler seul dans les rues désertes de Wall Street, avec la Trinity Church en arrière-plan. Mais aussi critique de l'argent sale, des jeux de hasard, FORCE OF EVIL est le dernier film de Polonsky première période, puisque, figurant sur la liste noire de la commission des activités anti-américaine, il dut s'exiler et momentanément interrompre sa carrière... Plus tard, il réalisera WILLIE BOY, un western avec Robert Redford et Katharine Ross. FORCE OF EVIL est un film à part, assez méconnu, mais aussi un film surprenant qui gagne en maturité au fil des visions. Une perle rare.

FORCE OF EVIL d'Abraham Polonsky (1948)
Noir et blanc  -  1h20






Voici une scène de FORCE OF EVIL, admirez la tension, les ombres des clients sur les murs, la sécheresse du montage en fin de séquence, la violence frontale (pistolet dans l'axe du spectateur)... 

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