- Un peu plus à gauche, voilà, doucement… Eh ! Bruno tu vas tout foutre en l’air !
- Ouais bah deux secondes, Luc, c’est pas simple à manier… Vincent, donne du mou…
- Pour ton chat ?
- Mais non, dans la corde !
- Hein, quoi, du mou dans la corde à nœuds ?
- Qu’est ce qu'y dit Philou ?
- Y fait de l'humour, au lieu de nous aider... Bruno, tu peux poser, là, en finesse, gaffe à ma pile de disque.
- Qu’est-ce vous faites ? C’est quoi ce treuil ? Ces casques ? Ces Algeco ? Bruno, qu’est ce que tu fous dans une grue ?
- C’est Luc qui m’a demandé, il n’a pas le permis…
- Vous transportez quoi ?
- Le dernier bouquin de Ken Follett, 3,5 tonnes… P’tain, y pouvait pas attendre l’édition de poche ?!!!
J’ai découvert cet auteur gallois avec LES PILIERS DE LA TERRE, fresque médiévale tout à fait réussie. Ken Follett s’est fait le spécialiste de la saga historique, et son nouvel opus n’échappe pas à la règle. LA CHUTE DES GEANTS a pour cadre la première guerre mondiale.
Cela va être extrêmement délicat de vous raconter l’histoire, vu le nombre de personnages et les rebondissements qui peuplent ce roman. D’ailleurs, le livre s’ouvre par la présentation des personnages, classés par pays, et par famille.
Nous avons les gallois, avec la famille Williams, dont le père et le fils sont mineurs, délégués syndicaux, et travaillent sur la concession d’une famille de nobles anglais, les Fitzherbert, liée aussi par alliance à une famille russe de haute lignée. En Russie, il y a aussi les Pechkov, deux frères orphelins, qui cherchent à gagner les Etats-Unis pour échapper à la misère. Aux USA, donc, la famille Dewar, dont le fils Gus travaille à la maison Blanche, et très épris d’Olga Vialov, fille d’émigrés russes, dont le patriarche appartient à la mafia. Enfin, les allemands, avec les Von Ulrich, le père Otto, diplomate ultra conservateur, son fils Walter, attaché militaire. Walter est ami de Gus Dewar, et de Fitzherbert, et amoureux de sa sœur, dont la domestique est Ethel Williams, la fille ainée du syndicaliste gallois… etc… sans compter une petite centaine de personnages secondaires…
Mineurs du pays de Galles |
Les tranchées de Verdun |
Émeutes à Petrograd, violemment réprimandées, juillet 1917 |
A mon sens, LA CHUTE DES GEANTS souffre de longueurs dans la période qui précède le conflit, de très longues pages sur la diplomatie, fort bien renseignées, certes, mais redondantes, et qui laissent les personnages de côté. C’est la limite de ce livre, qui parfois hésite entre raconter l’Histoire, via des personnages, où raconter les personnages, ancrés dans une Histoire. Nuance. Le rythme s’accélère avec les premières batailles, et là, le travail de documentation de Ken Follett fait mouche. Conditions de vie des soldats épouvantables, erreurs de stratégie, incompétence des commandements, et encore une fois les coups à trois bandes du jeu diplomatique, et de l’espionnage. Evidement, beaucoup de personnages réels sont mêlés à l’histoire, chef d’état, politiques, militaires. L’auteur emporte ses héros dans la tourmente, dresse un portrait clair de la situation, des enjeux, de la révolution bolchévique, des tractations des allemands pour éliminer ce front de l’est, empêcher les USA à entrer dans le conflit, manipuler les japonais, les mexicains, les espoirs anglais dans la contre-révolution des Blancs, pour endiguer la vague Rouge… L’action se termine en 1923, avec une série d’oppositions, de chocs frontaux entre les personnages, déplacés sur l’échiquier social et psychologique, et avec une Europe défigurée, une Allemagne humiliée, où déjà se propagent des relents d’antisémitisme.
Le style littéraire de Follett reste assez académique, de beaux passages, mais rien de flamboyant. On est loin du souffle et du talent d’un Dennis Lehane et son UN PAYS AU L’AUBE, fresque bostonienne époustouflante. Ken Follett reste un bon conteur, doté d’une écriture solide, descriptive, et parvient tout de même à nous captiver, parfois, quand il le faut.
Deux autres tomes sont à venir, et on sent déjà – habilement - les prémices de ce qui sera la suite, l’arrivée de Staline, la montée du nazisme, la prohibition aux USA, le combat féministe, de nombreuses portes s’entrouvrent pour une suite passionnante. A condition que Ken Follett resserre tout de même son récit, coupe dans la matière, ne laisse pas ses personnages sur le bord de la route, équilibre l’intérêt qu’il leur porte. LA CHUTE DES GEANTS est une lecture très agréable, le livre brasse de grands thèmes, met en avant des idéaux (à mon sens) tout à fait respectables, nous fait réviser notre Histoire, et remet fort bien en perspective les tenants et aboutissants de ce conflit mondial, d’une rare monstruosité.
LA CHUTE DES GEANTS. Tome 1 "le siècle", de Ken Follet, 998 pages, aux éditions Robert Laffont.
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