vendredi 12 août 2011

7h58 CE SAMEDI-LA de Sydney Lumet (2007) par Luc B.


Nous avions déjà évoqué rapidement la carrière du cinéaste Sidney Lumet, décédé le 9 avril dernier. http://ledeblocnot.blogspot.com/2011/04/sidney-lumet-est-mort.html

7H58 CE SAMEDI-LA est son ultime réalisation. On a coutume de parler, dans ces circonstances, d’œuvre-testament. Terme approprié pour ce film, véritable condensé de l’œuvre de Sydney Lumet. Et qui permet de vérifier, qu’à 80 ans, le metteur en scène était en pleine possession de son art. Ce film est un bijou, qui clôt 50 ans d’une brillante carrière, puisque DOUZE HOMMES EN COLÈRE avait été réalisé en 1957.  

L’intrigue est d’une richesse infinie, ménage un réel suspens, donc ne racontons que l’essentiel… Andy Hanson (Philip Seymour Hoffman) est directeur financier d’une grande société. Il trafique dans les comptes, se plonge le nez dans la poudre, et doit rapidement se renflouer. Il propose à son frère Hank (Ethan Hawke) employé dans la même société, et lui-même endetté, de braquer une bijouterie. Rien que ça ! Mais pas n’importe laquelle, une bijouterie qu’ils connaissent bien, dans laquelle ils ont eux-mêmes travaillé étant jeunes… celle de leur père (Albert Finney). Évidemment, le plan tournera au désastre.

Rien que ce postulat de départ est réjouissant. Et quand je parle de désastre annoncé, vous n’êtes pas au bout de vos surprises ! Sous l’apparence du film Noir, 7H58 est bel et bien une tragédie, qui n’a rien à envier aux maîtres du genre, aux Racine et autres Shakespeare. Sidney Lumet observe une famille, dont un membre pourri va contaminer les autres. Rarement j’ai vu des personnages s’engluer dans de tels problèmes, tenter de fuir des situations inextricables, en prenant l’option de la vengeance et du meurtre. Il ne semble ne pas y avoir une once d'espoir dans le destin de ces gens-là. On n’est pas au royaume des petites frappes, mais chez les cols blancs. Andy Hanson ne semble à peine appartenir à notre monde. Ce type-là est sans morale. Et parce qu’il occupe socialement une situation privilégiée, parce que c’est l’aîné de la fratrie, il va embarquer son jeune frère, plus instable, manipulable, dans sa spirale criminelle. Mais il reste stoïque en toutes circonstances, comme lors de cette scène, ou après s’être fait plaqué par sa femme Gina (exquise Marisa Toméi) il va dévaster lentement, consciencieusement, son appartement, renversant pratiquement un par un des cailloux sur une table basse en verre. Andy est joué par l’acteur Philip Seymour Hoffman, absolument prodigieux, mais chez lui, c’est une habitude ! Ethan Hawke a la fragilité qu’il faut, le regard un peu fou du chien apeuré qui cherche un maître. Le père, c’est Albert Finney, immense acteur aussi, qui donne dans les scènes finales une densité tragique à son personnage. Et puis Marisa Toméi, la femme d’Andy, qui s’envoie aussi le frangin, qui doit être la première à comprendre l'étendue du drame, et qui est aussi formidable.

La mise en scène. Ah ! Un modèle du genre. Lumet joue sur le contraste fond/forme : un écrin classieux pour des destinées sordides. Pas un plan de trop, aucun esbroufe, une rigueur dans les cadrages (la rupture Andy/Gina) et les mouvements de caméra (la première visite d’Andy chez son dealer, filmé en plan séquence dans l’appartement, lentement, sans que l’on sache pourquoi Andy est là…). Il n'y a pas de superflu chez Lumet, c'est un classique, comme Eastwood. Tout est dosé, tout paraît simple. Ce n'est pas basé sur le style propre, comme un Scorsese, un Tarantino, un PT Anderson. Ici, seul le récit et les personnages doivent être mis en valeur. Et mine de rien, savoir raconter une histoire pareil, la rendre à la fois limpide tout en ménageant des zones d'ombres, est la preuve d'un grand savoir-faire. Je remarque peu de gros plan (à part flatter l'égo d'un acteur, ça sert à quoi un gros plan de visage au cinéma ?!) mais quand il y en a, ils sont lourdement chargés d'intensité. Et très beaux. Et puis il y a le montage. Dans la première moitié du film, Lumet télescope les scènes, nous donne à voir différents points de vue, et en plus par des flash-back (Andy 3 jours plus tôt, Hank 2 heures plus tôt) comme pour mieux nous ramener vers les lieux du drame : la bijouterie. Une même scène pourra être vue du point de vue de deux personnages, même principe que JACKY BROWN de Tarantino, ou THE KILLING de Kubrick. Mais c’est un principe qui fait avancer constamment l’action, installe une tension, comme dans les scènes finales où le père Hanson suit ses fils en voiture, essayant de comprendre ce qui se passe. Nous on le sait, puisqu'on a les deux points de vue. Les personnages n'en connaissent qu'un. Pratiquement tout le film tient sur de mauvaises circonstances, le grain de sable qui dérègle toute la machine (le camion UPS... le CD dans l'auto radio...). Et quand on pense qu’une issue est possible, un personnage apparaît (Chrissie et son frère, le vieux receleur) et on s’enfonce un petit peu plus. On pense à James Gray, et ses films comme THE YARDS, LITTLE ODESSA, autres grands films Noir et tragédies familiales, et bien sûr, l'ombre de Coppola et sa famille Corleone plane pas loin.

Je souhaite à tous les metteurs en scène de finir une carrière d'aussi belle manière. Le dernier film de Syney Lumet prend aux tripes, non pas avec des artifices de tournage, mais uniquement par le déroulement de l’intrigue, par la force et la noirceur des situations, par la rigueur de la mise en scène. C’est puissant, c’est tragique, c’est… oh bon sang, quel grand film !  



7h58 ce samedi là (2007) de Sidney Lumet, scénario de Kelly Masterson.
Couleur  -  2h03  -  format 1:85


1 commentaire:

  1. "Il va dévaster lentement, consciencieusement, son appartement, renversant pratiquement un par un des cailloux sur une table basse en verre."

    Quand j'ai lu cette phrase, j'ai compris que votre critique ne valait pas la peine d'être lue.
    "Dévaster" !
    "Consciencieusement" !
    "Renversant pratiquement un par un des cailloux sur une table basse en verre" (bigre !).
    Les personnes qui verront le film comprendront que vos mots sont tout à fait inadéquats. , ils ne décrivent pas la réalité.
    Il est vrai que c'est toujours plus facile d'inventer à son goût que de décrire exactement.

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