vendredi 8 juillet 2011

JEAN LUC GODARD - Première partie - par Luc B.


TOC TOC TOC

- Ouais, entrez... ah salut Claude... Hola, tu as une mine piteuse ce matin... contrarié ?
- M'en cause pas Rockin'... Je pensais que dans l'équipe c'est moi qui avais la plus longue, et t'as vu celle que Luc nous a sortie ? On y voit à peine le bout ! Il l'a montrée à Elodie, vite fait, entre deux portes, elle n'en revenait pas !
- Heu... tu parles de quoi au juste Claude ?
- Ben de sa chronique ! Encore plus longue que les miennes...
- Et ?...
- Après ce qu'il m'a reproché, c'est l'hôpital qui se fout de la charité. Il nous en tartine des pages, et en plus c'est pas fini, faudra qu'on se coltine la suite vendredi prochain ! 
- Ben tu sais Claude, sur certains trucs c'est difficile de l'arrêter... et puis p'être que le sujet en question méritait qu'on s'y attarde...
- Mouais, mais ça va pas se passer comme ça ! J'ai une réputation ! Un rang à tenir ! A la rentrée je fais la tétralogie de Wagner, une saga en six épisodes, 3D, scope, technicolor et pop-corn gratos ! 
- D'accord, d'accord... et ne claques pas la...

VLAN ! 


Interrogé il y a peu à la télévision (Canal+) Jean Luc Godard répondait à la question qui lui était posée sur les biographies éditées sur lui : « elles ne valent pas un clou ». Et celle d’Antoine de Baeque, la dernière parue, 850 pages sans les annexes ? « Pareil, sans intérêt, ce monsieur écrit sur ma vie sans jamais venir me voir et me poser des questions… Il prétend que j’ai habité au 18 de la rue machin, alors que je n’y ai jamais mis les pieds… ». Et Godard de se lancer dans un numéro de rhétorique dont il a le secret. « Qui suis-je ? Jean Luc Godard n’existe pas, n’existe plus, c’est une marque, un symbole, mais ce n’est pas moi… Godard est un chien qui suit Jean Luc Godard ». Il n’a pas tort. Godard est devenu avec le temps, non plus une identité, mais une idée. Godard est le cinéma. Il représente à lui seul, et depuis cinq décennies, le cinéma aux quatre coins du monde. Jamais un cinéaste n’aura été tant demandé, programmé, fêté, analysé, commenté, décrypté, écouté, bien davantage que ses films n’auront été vus… D’où cette réflexion amère sur le nom de Godard.

Le cinéaste est parfaitement conscient que ce seul nom suffit à monter un budget, suffit à bâtir des projets pharaoniques. Mais au final, qui va voir ses films ? Pourquoi ce décalage entre la célébrité, et l’audience publique ? Il ne se passe pas trois jours sans qu’on lui propose de réaliser un film, un clip, une pub, une exposition, un livre, une émission. Même les producteurs Golan et Globus, de CANNON GROUP, qui ont fait fortune avec des films de Chuck Norris, se sont mis à genou pour qu’il tourne chez eux, en budget illimité (ça donnera KING LEAR en 1987). « On a produit de la merde en boite pendant 20 ans ? Non, car on a produit aussi un Godard… » aurait pu dire Golan. JLG accepte tout, c’est un boulimique. Il accepte surtout les subventions et les avances (qu’il ne rembourse jamais même s’il n’honore pas la commande, ce qu’il fait rarement, préférant détourner le cahier des charges au grand dam des commanditaires !). Jean Luc Godard rêve d’être un salarié de l’Etat, fonctionnaire de cinéma. Demandez-moi, et je le fais. Mais à ma manière… Car il est indépendant, il sait tout faire, écrire bien sûr, réaliser, mais aussi jouer, et il maîtrise tous les aspects du travail de story-board, de montage, de lumière, de mixage, d’effets spéciaux vidéo.

Il sera impossible de passer en revue la vie et la carrière de Jean Luc Godard en quelques lignes. J’enrage de ne pouvoir tout vous raconter ! Mais essayons de mettre de l’ordre dans le parcours atypique de cet auteur hors-norme, adulé presqu'autant que détesté. 

De la critique à la réalisation :

Claude Chabrol (debout) et Godard aux Cahiers.
La première période de sa vie est la plus connue. Fils de médecin, né à Paris le 3 décembre 1930, il est élevé entre la France et la Suisse. Etudes classiques, et une passion pour la peinture. Jean Luc Godard peint, utilisant des couleurs primaires, que l’on retrouvera dans ses futurs génériques (PIERROT LE FOU, WEEK END). Sa mère appartient à la noblesse protestante, la famille Monod (des pasteurs, des politiques, des avocats... et un naturaliste, Théodore Monod), qui n’acceptera jamais vraiment la branche Godard de la famille, à tel point qu’à l’enterrement de sa mère, son père et ses enfants ne seront pas invités… La lutte des classes est en germe… Godard découvre le monde, il voyage, s’installe à Paris, découvre le cinéma dans le Quartier Latin, notamment le cinéma américain qui n’était pas visible pendant la guerre. Une petite troupe se forme, habituée des séances, fréquente la Cinémathèque, sous la houlette d’un certain Eric Rohmer, fondateur de La Gazette du Cinéma. Devenue Les Cahiers du Cinéma sous l’impulsion d’André Bazin, Godard y publie ses premières critiques sous le pseudo de Hans Lucas. On y célèbre Alfred Hitchcock, Howard Hawks, Léo McCarey, Nicholas Ray, mais aussi Renoir, en France. On théorise sur la mise en scène, on décortique les oeuvres, longs entretiens (parfois filmés) à l'appui. On fustige le cinéma rétrograde, sans imagination, sans réel regard sur la société et ses préocupations, sans signature visuel (le concept d’Alexandre Astruc, la caméra-stylo, que Godard complètera dans ses années militantes par le concept de caméra-oeil), et soumis au diktat de la censure gaullienne. Le journal manque de faire faillite, en 1953, Godard s’étant tiré avec la caisse. L’homme est cleptomane… Il fuit en Suisse, se planque, laisse passer l’orage, réalise des documentaires (OPERATION BETON, sur la construction d’un barrage).

Court métrage filmé par Truffaut, monté par Godard.
Il revient à Paris en janvier 1956, reprend l’écriture. Mais surtout, il passe à la réalisation de courts métrages (TOUS LES GARCONS S’APPELLENT PATRICK, HISTOIRE D’EAU commencé par François Truffaut), avec ses potes Varda, Rivette, Chabrol… Enfin, ses potes, c'est vide dit, il reste un peu à l'écart, jalouse leur manière de séduire les filles, lui qui peine un peu de ce côté-là, préférant donc monnayer ses aventures, une petite habitude qui ne le quittera pas de si tôt...  C'est Agnès Varda qui ira filmer son premier mariage, à la manière d'un Laurel et Hardy, avec Jean Claude Brialy, et ces images, elle les intégrera dans son film CLEO DE 5 A 7 (le petit intermède muet). En 1959 Truffaut triomphe à Cannes et dans le monde avec LES 400 COUPS. Godard jalouse ce succès, lui qui n’a pas encore osé passer le pas du long métrage. Il demande à son « ami » Truffaut de financer son premier vrai film à lui : A BOUT DE SOUFFLE, avec la complicité de Chabrol, qui avait ouvert la voie avec LE BEAU SERGE en 1958, et avait employé déjà Belmondo dans A DOUBLE TOUR en 1959. Pour écrire son script, Godard se base sur des études sociologiques, des enquêtes journalistiques. Qui sont les jeunes, de quoi parlent-ils, comment en parlent-ils, à quoi rêvent-ils ? Godard est un des premiers à ancrer ses films dans une réalité sociologique et politique. Il touche juste. La jeunesse s’y retrouve au contraire des caricatures montrées chez Autant-Lara, Verneuil, Audiard… cinéastes vilipendés par la Nouvelle Vague. Et avec A BOUT DE SOUFFLE, la bagarre reprend de plus belle. « La Nouvelle Vague ? Elle est plus vague que nouvelle…» dira Audiard.

Les travellings en fauteuil roulant. Godard pousse Raoul Coutard,
filmant Jean Seberg et Belmondo
Très vite Godard comprend l’importance de la communication, de la pub, du marketing. Ses films sont commentés avant même d’être réalisés ! Ils sont déclinés en bande dessinés, en roman, en feuilleton, le tournage est relaté par la presse au jour le jour. Godard a inventé le merchandising cinématographique avant Georges Lucas ! Il réalise lui-même ses bandes annonces, faites de collages audio et vidéo, travaille lui-même les dossiers de presse ! A BOUT DE SOUFFLE est un succès public colossal… Le premier et le dernier de sa carrière… Mais surtout les films de Godard montrent les aspirations de la jeunesse française, ce sont des focus (la pilule, le divorce, l'adultère, la prostitution…) et cela ne plait guère aux autorités, qui interdisent A BOUT DE SOUFFLE aux moins de 18 ans, comme le seront pratiquement tous ses films des années 60, quand ils ne se sont pas coupés, censurés, ou interdits de projection en France comme à l’étranger ! Citons entre autre, LE PETIT SOLDAT (1960, sur la torture en Algérie), UNE FEMME EST UNE FEMME (1961), VIVRE SA VIE (1962), LE MEPRIS (1963, grosse coproduction américaine, avec Bardot, où Godard démontre qu’il sait faire du cinéma classique, et où on exige de lui qu’il filme du cul, ce dont il s’acquittera à sa manière avec cette scène mythique de « et mes fesses, tu les aimes mes fesses » rajoutée après coup, sur pression des avocats américains…) BANDE A PART (1964, à l’origine du nom de la boite de prod de Tarantino, A BAND APART), ALPHAVILLE et PIERROT DE FOU (1965, sans doute un des sommets de cette période), MASCULIN-FEMININ, MADE IN USA, DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D’ELLE (1966) pour arriver au premier tournant idéologique de sa carrière, avec LA CHINOISE en 1967…

Anna Karina, et Godard
Cette première période des années 60 est aussi marquée par son mariage, avec l’actrice Anna Karina. Pressentie sur A BOUT DE SOUFFLE (elle refusera une scène de nu) elle tournera finalement dans LE PETIT SOLDAT, et 7 autres films de Godard. Une relation complexe, père-fille, amant-maîtresse, mari-épouse, artiste-muse, réalisateur-actrice. Tentatives de suicide récurrentes, pour les deux, disputes violentes, qui se retrouvent bien souvent à l’écran. En effet, Godard écrit ses dialogues au jour le jour, sur des morceaux de papier, voire carrément soufflés aux acteurs, en direct, avec une oreillette ! Bien souvent, les discussions intimes sont recyclées dès le lendemain. Karina supporte mal de voir sa vie privé projetée sur un écran, amplifiée par l’ironie mordante de Godard. Le couple est célébré de par le monde, mais se dissout très vite, surtout après la fausse couche d’Anna Karina, qui faillit en mourir. Un traumatisme pour l’un et l’autre, vécu différemment par Godard, muet, incapable de compassion.

Il faut aussi citer Pierre Braunberger et George de Beauregard, les producteurs des débuts, fidèles, qui financent de leurs poches, car aucun scénario de Godard à cette époque ne décroche l’avance sur recette. Et bien sûr la rencontre avec Raoul Coutard, directeur de la photographie, avec qui Godard va formater le style « Nouvelle Vague », avec les tournages en décors réels, lumières naturelles, re synchronisation des dialogues. Alors que pour LE MEPRIS Godard a les moyens de tourner en studio, il fera batir un appartement exigu, avec un plafond solide, refusant donc toutes les facilités inhérentes au studio ! Le style haché du montage, propre au cinéaste et à cette période, vient qu’A BOUT DE SOUFFLE était trop long, et qu’il fallait couper dedans. Plutôt que de retirer des scènes, comme il est commun de le faire, Godard décide de couper quelques secondes dans chaque plan, retirer les silences, les transitions. Ce qui fit hurler la vieille garde du cinéma français, méthode peu orthodoxe, qui devait dénoter une absence de talent et de savoir faire, alors que Godard inventait tout simplement une nouvelle grammaire, qui allait faire école dans le monde entier. Et Godard est très vite convaincu de l'importance de la bande son, pas seulement pour la musique ou les bruitages, mais pour transmettre des idées. Extraits de musiques, son naturels recuillis avec un soin extrême, son d'ambiance, dialogue, voix off, tout cela sera mixé avec art, et tant pis si on entend mal les acteurs !

"Le petit Soldat" Coutard et Godard
Un tournage de Godard, c’est comment ? Tendu. Et créatif. Le scénario n’est qu’un alignement de séquences, sur trois ou quatre pages, les dialogues seront écrits au jour le jour. Le sujet de départ est souvent travesti. Godard déconstruit le cinéma, il veut toucher le réel, la vérité de l'image. Si le sujet du film met en scène un cinéaste, des comédiens (ce qui arrive souvent), il n’est pas rare que Godard filme la préparation du film, voir les réunions de productions, mais pour les inclure au film ! Les débuts de tournage sont souvent difficiles, en proie à des crises de doutes terribles, fuyant plusieurs jours le plateau, Godard y revient, et fonce, montant des plans d’une incroyable complexité en quelques heures, bouclant son film en trois semaines. Luigi Chiarini, directeur de la Mostra aimerait avoir un Godard pour le prochain festival de Venise. Godard relève le défi, prend un financement américain, propose trois pistes. La troisième sera retenue par les producteurs : l’adultère. Film, écrit, filmé, monté, et distribué à temps pour le festival en quatre mois ! Ce sera UNE FEMME MARIEE, en 1964, avec Macha Méril.




Les années radicales, la clandestinité :



La Chinoise, 1967
Les premiers films de Godard étaient des miroirs des préoccupations sociétales. Logiquement, le cinéaste pousse davantage ses recherches, et s'intéresse maintenant à la politique, et aux mouvements qui grondent et préfigurent mai 68. LA CHINOISE est un tournant dans la carrière de Jean Luc Godard, un film qui montre des étudiants bourgeois commenter la pensée de Mao Zedong. Là encore, le film s’appuie sur des enquêtes, des interviews préparatoires. Godard approche au plus près des groupes gauchistes, discute beaucoup (en filmant), et rapidement fait sienne leurs idées. Lui qui rêvait de révolutionner le cinéma (et ça, c'est fait) en proposant une nouvelle grammaire, de nouveaux axes de pensée, se met à rêver maintenant de renverser la société. Godard fait tourner Anne Wiazemsky, alors étudiante, dans son propre rôle, et son vrai professeur d’Université dans le sien. Anne Wiazemsky est la petite fille de l'écrivain François Mauriac, grand gaulliste devant l’éternel. Mauriac deviendra pour 10 ans le beau père de Godard le Rouge, puisque le cinéaste épouse Anne ! Les gazettes se réjouissent à l'idée des repas dominicaux entre les Mauriac et Godard ! Anne Wiazemsky qui tournera aussi avec Pasolini, puis deviendra écrivain (Elodie vous  a parlé d'un de ses livres d'ailleurs, au mois de décembre :  http://ledeblocnot.blogspot.com/2010/12/anne-wiazemsky-une-poignee-de-gens-1998.html.) Jean Luc Godard entame une période politique, prenant fait et cause pour l’extrême gauche, s’engageant contre le Vietnam, pour la Palestine, soutenant Mai 68. Son style se radicalise, choque le public français qui se détourne de ses films. Godard vit mal ces échecs, mais s’y résout. Mais aux Etats-Unis, Godard, déjà célèbre, donnera pendant des années des conférences sur le cinéma, le cinéma politique, devant des étudiants et apprentis metteur en scène qui l’adulent comme un dieu. En 1967 il tourne WEEK END, sur un couple coincé dans un embouteillage, avec le plus long travelling de l’histoire. Jean Yann et Mireille Darc (alors égérie de Lautner ou Audiard) seront traités comme de la merde par un Godard qui saisit l’occasion à travers eux de régler ses comptes avec la société de consommation. Après le LE GAI SAVOIR, où Jean Pierre Léaud s’interroge sur le cinéma révolutionnaire (production ORTF refusée), en 1969 c’est VENT D’EST, avec Daniel Cohn-Bendit et Gian Maria Volonté, sorte de western gauchiste, anarchiste, tourné en collectif. Chacun écrit, filme, dirige, c’est rapidement le bordel, le budget est dilapidé, des valises de billets disparaissent mystérieusement entre la France et l’Italie pour fiancer des groupuscules. Godard fait appel à son ami Jean Pierre Gorin, et reprend les rênes du tournage.

Jean Pierre Gorin en juge, et Godard en flic
dans "Vladimir et Rosa", 1971
Fidèle à la doctrine marxiste, qui efface l'individu au profit du groupe, commence pour Godard l’aventure de la clandestinité, puisque qu'il efface son nom des génériques, pour créer avec Gorin le collectif Dziga Vertov (nom d’un cinéaste russe des années 20). Ils réaliseront pendant quatre ans des films en format vidéo, des tracts révolutionnaires, sur les ouvriers Renault ou le Viêt-Cong. Invité partout dans le monde, Godard a des projets de télévision révolutionnaire (à Cuba), dispense la bonne parole maoïste, tourne aux Etats-Unis avec DA Pennebaker. Dans ses voyages, il emporte du matériel vidéo, qu’il laisse dans des villages, pour que les « citoyens » puissent à leur tour filmer leur vie, leur réalité (Palestine, Afrique) S’il y a de la pellicule en trop, il donne à de jeunes cinéastes en herbe (Romain Goupil). En 1969 il tourne ONE+ONE avec les Blacks Panthers (leurs chef accorde un entretien à Godard, mais refusera d'être filmé) et les Rolling Stones (il aurait préféré John Lennon, ou les Beatles...). Une suite de travelings majestueux, chorégraphiés, et dont on peut apercevoir les rails au détour d’un panoramique. Ce n’est pas une coquille, un raté de montage, mais bien la volonté de déconstruire le cinéma, en incluant dans ses films le comment. C’est au USA que Godard trouve souvent ses financements, la plupart des projets ne sont jamais achevés, donc pas de diffusion, pas de revenu. C’est à cette époque que la relation, déjà houleuse, entre Truffaut et lui, éclate. Truffaut reprochait à Godard son mépris, sa lâcheté (sur son réel engagement en mai 68) ses prises de position qui tiennent davantage de la provocation de gosse de riche, que d’intellectuel affirmé. Et d’avoir dénaturé Antoine Doisnel, en lui « volant » Jean Pierre Léaud, utilisé comme assistant, acteur (6 films en 4 ans) ou larbin. Godard dans ses entretiens fustige depuis un moment ses anciens camarades de la Nouvelle Vague, des traitres à la cause du cinéma, vendus à la bourgeoisie. Pourtant Godard demande de l’argent à Truffaut, tout en l’injuriant d’avoir tourné LA NUIT AMERICAINE (oscar du film étranger en 73), summum de la vulgarité bourgeoise selon lui, un film-mensonge, une injure au vrai cinéma, qui se doit d’être « la vérité 24 fois par seconde ». Godard s’enfonce dans son nouveau personnage, coupe les ponts. En 1971, alors qu’il doit partir aux USA pour signer un contrat, il a un grave accident de moto. Il restera plusieurs mois à l’hôpital. Il rencontre Anne Marie Miéville, qui restera à ses côtés pour les quarante ans à venir. Ce contrat, c’est pour tourner TOUT VA BIEN (1972) avec Jane Fonda et Yves Montant, à propos de la séquestration d’un patron d’usine. Première tentative pour revenir au cinéma avec des « vrais » acteurs. Mais Godard joue sur le statut de ses deux stars pour mieux les casser, Jane Fonda rendue responsable de cet échec artistique, sera la victime du prochain film de Gorin et Godard, LETTER TO JANE, un pamphlet vidéo d’une rare cruauté envers celle qui symbolise le gauchisme en Amérique. Mais encore une fois, le cinéaste se heurte à sa propre gloire. Il veut s'effacer, travailler en communauté, mais personne n'est dupe, surtout pas les financiers. S'ils accordent un budget, c'est uniquement pour le nom de Godard. Le groupe Dziga Vertov implose.


La vidéo prend de plus en plus de place dans la vie de Godard, qui est le premier metteur en scène de cinéma, à se rapprocher de cette nouvelle technique. Il se fera livrer les premières caméras betacam, magnétoscope, se constituera un studio (payé en détournant argent de commandes !). Godard se familiarise avec cette technique, et bientôt réalise seul ses films, absolument seul, du moindre trucage visuel jusqu’à repiquage du son, à la duplication en cassettes. C’est un artiste dans son atelier. Son matériau, se sont les images, le son, les bancs-titres. Ses futurs scénarios seront d’ailleurs tournés en vidéo, comme ses demandes d’avances, comme les messages qu’il veut faire passer aux uns et aux autres. Godard se fixe à Grenoble, puis revient en Suisse, à Rolle, avec Anne Marie Miéville, et tous les deux travaillent en vidéo, jusqu’à la fin de la décennie, se mettant eux-mêmes parfois en scène. Il y aura ICI ET AILLEURS (1973) SIX FOIS DEUX (1976, 12 fois 50 minutes), FRANCE TOUR DETOUR DEUX ENFANTS (1979, 12 fois 26 minutes) commandé par Antenne 2, et dont le cahier des charges sera évidemment totalement réécrit par Godard, et deviendra une série d’entretiens de Godard avec deux enfants. Jamais diffusé en l’état, bien sûr… Mais visible au Centre Pompidou, dans un musée, donc… Godard accepte même une commande de clip pour… Patrick Juvet ! Il filme une fillette qui mange une pomme, sa mère lui demande ce qu’elle a fait de sa journée, et en fond sonore, une télé qui diffuse la chanson de Juvet. A la fin, cette incrustation : « Quand la gauche aura le pouvoir, est-ce que la télévision aura toujours aussi peu de rapport avec les gens ? ».

En 1979, Jean Luc Godard, le reclus, le mal aimé, le mal compris, s’apprête à faire un retour fracassant au cinéma, au 35 millimètres, aux salles obscures, aux festivals… Une nouvelle période, une de plus, couronnée de succès, de reconnaissance, de louanges, pour cet artiste hors norme, toujours aussi vénéré, célébré, écouté, et aussi peu… visionné !


NON FIN A SUIVRE... 

1 commentaire:

  1. Waouuuuuuuuuuu ! 3543 mots (comptage Word), Alors là, mes chroniques sont devenues des entrefilets, des billets, des poulets, que dis-je des SMS.

    RépondreSupprimer