E. Fischer, A-B. Michelangeli, W. Furtwängler et C-M Giulini
jouent à l’Empereur !
J’ose à peine présenter
Ludwig van Beethoven. L’école laïque, gratuite et obligatoire est passée avant moi, en
principe... Quelques rappels ? Ludwig naît à Bonn en 1770 dans une
famille de musiciens médiocres. Sa mère est dépressive et quatre de ses six
frères et sœurs meurent en bas âge. Il est le cadet, il survit... Son père,
poivrot notoire, remarque néanmoins les dons de son fils. Il essaye entre
deux cuites et à coups de taloche d’en faire un second Mozart. Cette subtile
pédagogie aurait connu ses limites sans Christian Gottlob Neefe qui va
participer plus activement à l’éclosion du génie de l’adolescent.
1790 : le jeune musicien compose déjà des chefs-d’œuvre et part pour
la mythique Vienne en 1792. Il est épicurien, homme à femmes et
heureux de sa notoriété. Mais la tragédie sommeille et, au tournant du
siècle, la surdité commence à l’affecter inexorablement pour devenir
définitive en 1820. De dépressions suicidaires en rémissions actives,
Beethoven ouvrira la voie au romantisme musical, et composera, sans les
entendre, la 9ème symphonie, la Missa Solemnis, ou encore les derniers
quatuors et sonates ! Il disparaît muré dans le silence mais adulé en
1827.
Le 5ème concerto pour piano « Empereur »
Le 5ème concerto pour piano est contemporain de la 5ème symphonie et de «
la Pastorale » (la 6ème). Il est créé en 1811 sans Beethoven au clavier car
il est déjà trop handicapé. Le sous-titre « Empereur »qu’inspire sa
vaillance a été ajouté ultérieurement. Cela aurait déplu à Beethoven qui
avait déjà renié Bonaparte, quand celui-ci s’auto proclama empereur
mégalomane et envahissant, tournant le dos à l’esprit révolutionnaire.
Par ses dimensions (plus de 40 minutes), c’est la première symphonie avec
piano soliste. Il est classiquement découpé en trois mouvements : Allegro,
Adagio et Rondo final.
L’épopée du Philarmonia Orchestra et du microsillon
L’apparition du microsillon a donné dès 1945 l’idée au producteur
Walter Legge, big boss de EMI, de créer en 1948 un orchestre de studio dédié à
l’enregistrement de haut niveau, il se nommera
Philarmonia Orchestra. A bon orchestre, bon chef, Legge fonce en Allemagne s’assurer la
coopération de l’un des plus grands chefs de l’époque tout juste dépêtré
d’un procès en dénazification (discutable, mais ce n’est pas le sujet).
Wilhelm Furtwängler assume avec
le Philarmonia quelques monuments discographiques jusqu’à sa mort, Beecham
et Toscanini également. Legge
recrutera en 1946
Herbet von Karajan sous contrat.
Otto Klemperer arrivera en 1955
et transcendera l’orchestre jusqu’à sa mort (une autre légende à
venir).
C’est à cette époque que sera gravée une référence inégalée du concerto « l’Empereur ».
Edwin Fischer, Wilhelm Furtwängler et le Philarmonia : le choc des titans en 1951
Une cascade, un torrent, Maryline Monroe et Robert Mitchum dans Rivière sans
Retour sur leur radeau.
Wilhelm Furtwängler s’affranchit
de la compacité de l’orchestre Beethovénien. Les bois chantent, les cors se
font pastoraux. Le discours se veut martial, impérieux mais jamais appuyé.
Dans le premier développement, la complicité des bois et de la flûte avec le
piano se fait malicieuse.
Edwin Fischer distille le mystère
dans les développements, enchainent les notes presque timidement sous l’œil
divin des cors. Et puis et puis, il y aurait une chose à dire pour chaque
mesure dans chaque mouvement, mais non au blabla. Moins de mots et plus de
musique. (Voir la vidéo.)
Furtwängler était sans aucun
doute le plus grand chef beethovenien de son temps. Est-ce son célèbre
rubato (technique qui consiste à faire fluctuer le tempo) qui recèle le
secret de ses interprétations métaphysiques des symphonies (la célèbre 9ème
à Bayreuth) ? La magie opère aussi à merveille dans ce concerto.
En complément, deux sonates, sous les doigts virils
d’Edwin Fischer, finissent de rendre ce disque indispensable. Suisse d’origine, il
s’illustrait à merveille dans le répertoire germanique et fut un des plus
grands pédagogues du XXème siècle.
Quant au son monophonique ? Bof, on l’oublie en quelques minutes. Voici les trois mouvements en playlist :
Pour ceux qui préfère l’ère stéréophonique, Michelangeli au clavier et Giulini au pupitre…
Plus dans notre époque, il y a évidemment de très beaux disques… J’avoue un
faible pour le concert enregistré en Live en 1979 par Michelangeli et
Giulini avec l’Orchestre symphonique de Vienne. Je ne suis pas le
seul.
Arturo Benedetti Michelangeli
(1920-1995) est une légende, il était ombrageux et d’un perfectionnisme
surréaliste. Le nombre de concerts annulés voire interrompus en plein milieu
parce que le piano n’allait pas, ou bien que dans la salle un malheureux
toussait, ne se comptait plus. Tous les spécialiste s’accordent à dire que
par sa technique il ne faisait jamais, vraiment jamais, la moindre fausse
note. Le touché était d’un raffinement absolu. Nous allons en parler à
propos de Beethoven, répertoire où il excellait.
Carlo Maria Giulini (1914-2005)
: personnalité très différente, le chef italien faisait songer à un Visconti
de la baguette. Le personnage est discret, grand seigneur racé et bel homme.
Ce noble tempérament se retrouve dans ses interprétations élégantes,
détaillées et toujours très habitées spirituellement parlant.
La rencontre des deux hommes lors de ces concerts de 1979 (gravés par Dgg)
se fait sous le signe de l’élégance et de la vitalité.
Furtwängler et
Fischer jouaient l’immensité, la
puissance d’une œuvre jumelle de la 5ème symphonie : l’airain et le feu. Les
italiens nous entrainent dans un bal moins dramatique mais conservant toute
sa grandeur. Michelangeli attaque le premier mouvement en démiurge. Au flot
violent de Fischer fait place une onde bondissante. Fidèle à son style, le
pianiste ne délaisse aucune note. Une virtuosité éblouissante qui ne
sacrifie en rien l’émotion, la joie de vivre, une improvisation introductive
que Beethoven voulait comme telle. Dans tout le mouvement, le touché gagne
en nervosité endiablée. L’orchestre répond en majesté (mot féminin) donc
avec finesse. La connivence est totale comme fréquemment en concert a
contrario du studio.
Le second mouvement, après une introduction orchestrale sereine (quel
équilibre entre les pupitres !), oscille entre ballade et nocturne. Le
doigté du pianiste garde franchise et nuance en cohérence avec l’allegro
initial. Un discours coloré et lumineux, poétique, jamais cérébral,
franchement, que dire encore qui ne soit pas fade ?
Ceux qui lisent ces lignes et connaissent l’un ou les deux enregistrements
ne seront pas surpris. Pour ceux qui voudraient découvrir ce concerto dans
sa plénitude, je conseillerais
Michelangeli/Giulini pour la
beauté du son ; pour la folie, l’osmose
Fisher/ Furtwängler, évidement. Il existe quelques autres très beaux disques : Brendel/Rattle,
Perraya/Haitink par exemple. Mais je reviens toujours aux deux merveilleuses
versions commentées.
Le concerto en live par Arturo Benedetti Michelangeli et Carlo Maria Giulini à la tête de l’orchestre symphonique de Vienne:
(la musique commence à 0'36)
Si cette chronique vous a intéressé, lisez aussi celle consacrée à la 5ème symphonie "Pa Pa Pa Paaaam"...
Beethoven !! Naturellement. Un monstre sacré. Cela me rappelle une partie de ma jeunesse, lorsque mes parents me faisaient écouter, presque religieusement, certains disques, dont "L'Empereur".
RépondreSupprimer... me souviens avoir vu Michelangeli à la téloche à une époque ante-X Factor... j'ai couru le lendemain à la Fnac pour me prendre le disque tout noir (un avatar circulaire du Monolithe) et ce fut le Pied Modèle Dingo !!!
RépondreSupprimerEvidemment : l'oubli du siècle :
RépondreSupprimerla version Alfred Brendel,Simon Rattle avec le Wiener Philarmoniker.
Un anonyme ?? d'Annecy
Claude, as-tu vu le film "Ludwig Van.B", avec au générique l'excellent Gary Oldman dans le rôle titre, ainsi que la non moins excellente Isabella Roselini ? Si oui, y a-t-il dans ce film une part de fiction ?
RépondreSupprimerQuoi qu'il en soit, ce film m'avait énormément plu.
Non Brendel-Rattle n'est pas un oubli volontaire. J'avais précisé que "j'avais un faible pour AM. Michelangeli-giulini".
RépondreSupprimerVous avez raison, la meilleure version récente... Ne pas oublier non plus : Arrau-Davis comme rappelé sur Facebook.
Cordialement à l'Anonyme d'Annecy, que je crois connaître...
Beethoven était tellement sourd que toute sa vie, il a cru qu'il était peintre. (CAVANNA)
RépondreSupprimerEn réécoutant le concerto hier, je me disais qu'au fond je n'aime pas....trop "militaire" par moments.
RépondreSupprimerJe l'ai écouté pourtant par le Philharmonia Orchestra dirigé par Herbert Menges....et joué par Solomon...
Mais il faudra sans doute que je me re-penche dessus dans quelques temps...
Pardon,...je ne parle évidemment pas du 2è mouvement (adagio) qui est magnifique bien sûr.
SupprimerC'est amusant Cirimax cette impression...
RépondreSupprimerLors de la découverte de ce concerto en 1966 en cours de musique, j'avais eu aussi ce sentiment. Moins maintenant, mais la répétition du thème altier et solennel de l'orchestre dans le premier mouvement est réellement martial. C'est vrai...
Oui, c'est ça, martial.....ça tapotte quoi...:-))
RépondreSupprimerCela dit quel bonheur ces chroniques ! Merci