dimanche 24 avril 2011

CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE, de Tim Burton (2005) par Claude Toon



Il était une fois un livre de Roald Dahl que les enfants et les plus grands avaient aimé. Des puristes furent déçus quand un film de Mel Stuart fut venu. Et puis vint Tim Burton qui nous enchanta.




Maggy, ma directrice de publication, a lu le livre et vu le film. Elle a aimé l’un et l’autre. Bien évidemment, nombre de détails ou de péripéties qui enrichissent le livre sont délaissés par le scénario. Mais il ne faut pas oublier que l’art d’un cinéaste est de traduire les descriptions en images. Et dans ce domaine Tim Burton a toujours une imagination débridée.
Héritiers de Dickens, Grimm ou Lewis Carroll, l’écrivain et le cinéaste mélangent les genres connus : opposition entre la misère et l’opulence indécente, la bonté innée et la cupidité militante. Comme dans tous les contes, les gentils sont très gentils et, heu non, il n’y a pas vraiment de méchants dans cette facétie fantastique. Des personnages stupides et grossiers, oui, il y en a à la pelle. Le cinéaste recourt-il à des effets faciles pour dresser une critique bonhomme de notre société, tout en la vénérant ? Je ne crois pas, car pour les enfants capricieux de ce récit, il n’y aura pas de rédemption, pour les parents non plus.


Assez de préambule, juste que la volonté de Tim Burton de réaliser ce film date de 1980 mais qu’il n’a été tourné qu’en 2005, après la mort de Roald Dahl en 1990 et d’âpres négociations avec ses héritiers jusqu’en 1998.

L’histoire qui nous est contée…


Un petit garçon d’une dizaine d’années, Charlie Bucket vit dans une masure avec sa mère (Helena Bonham Carter), son père (Noah Taylor) et ses quatre grands parents. Malgré le chômage et la misère, ils ne sont pas affreux, sales et méchants. Chez les Bucket, on tire le diable par la queue mais, une fois par an, l’enfant reçoit pour son anniversaire une tablette de Chocolat Wonka. Wonka, une légende planétaire, Wonka du nom de Willy Wonka (Johnny Depp) qui vit retranché dans sa gigantesque usine de sucreries, sa création cyclopéenne, voisine de la misérable baraque de Charlie. Les confiseries les plus délicieuses et fantasques y sont inventées et élaborées dans le plus grand isolement, sans personnel !? Mystère… Willy Wonka a congédié tous les ouvriers des années auparavant, notamment le grand-père de Charlie, suite à un espionnage massif de ses secrets (pas du bidon, du sérieux, pas comme ailleurs…).


Coup de tonnerre sur les médias. Willy Wonka sort de sa vie d’ermite. Il organise un étrange et fascinant concours. Les cinq enfants qui trouveront un ticket d’or dans leur tablette de chocolat pourront visiter l’usine jalousement close. À la fin de la visite, il y aura un prix spécial, un seul ! Les gamins du monde entier s’empiffrent, se shootent au cacao, et les parents stressent dans l’espoir d’accompagner l’aventure d’une vie. Quatre enfants gagnent rapidement un ticket. Ah les braves gosses… Ils sont monstrueusement affublés des pires tares du modernisme individualiste et d’un péché capital voire de deux….


1 – Augustus Gloup de Düsseldorf (gourmandise) : Père dodu et charcutier de son état, mère blondasse, trop plantureuse et rougeaude, gamin glouton, tondu et en surpoids qui découvre son ticket en régurgitant la première bouchée de sa tablette non déballée. Très malin ce môme ! Il s’épanouit dans l’univers de la saucisse en gros et du cholestérol en chapelets. La grande classe !


2 – Veruca Salt de Buckinghamshire (envie et avarice) : Terrorise Daddi, son noble paternel british ! Le richissime Lord possède une usine de cacahuètes qu’il reconvertit dans l’ouverture frénétique de tablettes de chocolat. Un enfer qui rappelle Metropolis. Une armée d’esclaves, féminine et taylorisée, ouvre sans relâche des millions de tablettes pour trouver le Graal Wonka. L’infâme gamine ne désire pas, elle triche et ordonne avec une morgue inouïe ! Tête à claques. Vivent les révolutions culturelles.


3 – Violette Beauregard d’Atlanta (orgueil de type 1) : Une vipère sportive qui démolit les plus grands adultes au karaté ! Blondinette « winner » et arrogante coachée par maman. Ahhh maman ! Elle sort tout droit de Mars Attacks ! Blonde permanentée, hyper maquillée, hyper ambitieuse. Maman et fifille, poupées Barbie petit et grand modèle, font l’apologie du close-combat social option records idiots. Violette a délaissé le bubble-gum pour le chocolat, pour gagner. Elle fera le déplacement uniquement pour rafler le prix, évidemment.


4 – Mike Teevee de Denver (orgueil de type 2) : Un odieux mini geek en addiction de l’écran plasma, vaniteux prince de la logique, qui abrutit l’entourage en adepte des jeux vidéo assommants. Crâneur ingérable, Il a identifié et trouvé une tablette gagnante comme l’on calcule l’âge du capitaine. C’est un cas de tricherie algébrique, de dopage des synapses par l’arrogance. Et en plus, il n’aime pas le chocolat. Ce morveux destructeur gâche la nourriture en méprisant des parents « has been », pâles, inodores et sans saveur.


Ne sont-ils pas mignons ces chérubins et leurs géniteurs ?


Hélas pour Charlie, dans sa tablette d’anniversaire, le ticket magique est absent. Triste pour cet enfant angélique, un petit gars à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Mais par un coup de chance, le généreux garçonnet trouvera… le cinquième ticket et, par ordre de toute la famille : pas question de le vendre pour faire bouillir la marmite.


La visite commence, mais pour les enfants mesquins ou crétins (souvent les deux), l’usine et sa férie sera un piège diabolique… Mais cela est une autre histoire, par respect pour ceux qui n’ont pas encore vu ce film enchanteur même si parfois naïf. Dans cette histoire de confiserie, les enfants casse-bonbons seront punis de manière assez salée ou délicieusement cocasse, tout dépend de quel côté on voit les choses…


Une scène d’anthologie : le jardin des friandises et la rivière de chocolat



Clin d’œil à Lewis Caroll d’ Alice au Pays des Merveilles, une minuscule porte permet de pénétrer dans le saint des saints de la chocolaterie. Toute la folie de Burton jaillit en couleurs criardes et primaires. Dans ce jardin poussent des plantes fabuleuses : sucre d’orges géants, champignons sortis de L’île mystérieuse et aux chapeaux en fraises Tagada pour Gargantua. Willy Wonka, clone du Chapelier Fou, folâtre dans cette basilique du mauvais goût absolu et assumé.


Tim Burton rend hommage aux décors en carton-pâte rutilants du cinémascope (Voyage au centre de la terre d’ Henri Levin), ou même des péplums (Ben-Hur de William Wyler), en recréant la galère sur la rivière de chocolat avec les lutins-ouvriers Oompa Loompas devenus rameurs, qui, dans un kitsch absolu, improvisent aussi un ballet nautique façon Esther Williams. Ce film se voudrait-il un musée d’un âge disparu du cinéma ? Il évoque une époque où naissait un charme visuel, dépourvu de psychologie blafarde et de violence gratuite. Tim Burton a encensé l’univers pathétique et euphorisant d’ Ed Wood. Il ne pouvait pas faire moins pour Charlie et la Chocolaterie tourné dans la tradition du magicien d’Oz. On retrouve dans sa photographie une forme d’expressionisme. L’usine gigantesque Wonka, perdue dans un village ouvrier tiré au cordeau, semble héritée du graphisme de Metropolis ou de son propre Gotham City, cela pour ne pas oublier que Tim Burton est un véritable auteur, soucieux de l’esthétique, tel un peintre.

Les écureuils ouvriers et malicieux



Imaginez une immense rotonde où des centaines d’écureuils rangés en cercle décortiquent des noix à la perfection, sympathiques et courageux petits rongeurs. Tim Burton les filme dans un espace bleuté et métallique de science-fiction, opposition totale aux couleurs du jardin des friandises. Mais hélas, les petites bêtes, protectionnistes comme des E.T. seront dérangées dans leur travail, notamment de tri des noix pourries, par une des fillettes irritable et irritante qui pensait compléter sa collection (possession) de bestioles. Mal lui en prendra.


Comme à chaque « punition », les Oompa Loompas entonnent une chanson moralisatrice dont le texte est directement issu du livre. Tim Burton prouve son penchant pour la comédie musicale.


Les innombrables et Incroyables effets spéciaux servent l’aventure et ne fonctionnent pas uniquement pour flatter leur créateur comme dans maints blockbusters. Plus tard dans le film, même 2001 de Kubrick sera honoré. Tim Burton aime citer en images ses références et admirations.

Willy Wonka, son père et Freud


Surprise, dès les présentations des visiteurs, Willy Wonka paraît victime d’onomatophobie ! Il est allergique aux mots père et parents et peut à peine les bredouiller. Quel mystère cache-t-il ?


Les souvenirs reviennent. Le petit Willy, comme tous les enfants, collecte à Halloween des sucreries. Il se déguise en fantôme pour cacher un appareil d’orthodontie dément imaginé par son père dentiste et terrifiant (Christopher Lee, 80 ans à l’époque). En bon savant fou distingué et psychorigide, son père traque l’ennemi sucré. Bonbons, caramels et chocolats deviennent maléfiques : monstres invisibles entrés en guerre contre les dents. Gourou de l’éradication du plaisir gustatif, le père brûle le butin dans la cheminée promue bûcher de l’inquisition sucrière.


Burton vénère l’Immense Christopher Lee et plonge dans un univers qu’il chérit, celui de la Hammer Film Productions des années 60. Le Dr Wonka et son fiston vivent dans une cité sinistre, grisâtre et brunâtre, annexe des décors des Dracula que l’acteur interpréta dix fois ou des Frankenstein où il fut le partenaire attitré de Peter Cushing.


L’enfant se rebelle, s’enfuit et deviendra chocolatier ! Freud disait que les fils veulent symboliquement tuer leurs pères. Ici le conflit œdipien du parricide se résoudra par friandises interposées ! Sera-t-il définitif ? Et bien voyez le film…


Musique !


La bande originale de Danny Elfman, compagnon de route musicale de Tim Burton, est, comme toujours, en harmonie avec le film. La partition est d’une facture qui fait écho à celles des grands films cités avant, donc avec un petit soupçon de pathos et de plaisants accents sulpiciens des sixties. Une suite symphonique, richement orchestrée et mixée, alterne des thèmes sombres dans les scènes inspirées de Dickens, et inversement des rythmes jubilatoires dans les références à la fantaisie ou à la comédie musicale.


Sans doute d’une poésie moins originale que Edward aux mains d’argent, mais plus aboutie et authentique que le coûteux mais banal Planète des singes, ce film à gros budget reste un bon cru familial dans la filmographie de Tim Burton. Curieusement, un Johnny Depp qui surjoue (souvent un tic chez cet acteur) est un atout pour servir le personnage idiomatique de Willy Wonka. Les enfants sont effroyablement crédibles dans leur crétinerie suffisante. Je n’ai pas trouvé de scène… franchement inutile.


En ce jour de Pâques, pédale douce sur le chocolat… En fait, non !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire