vendredi 18 mars 2011

"TRUE GRIT" de Joel et Ethan Coen (2011) par Luc B.



Enfin, il était temps ! Les frères Coen se cognent un western, eux qui ont pris l’habitude de revisiter les genres hollywoodiens. Ils avaient donné dans le Film Noir avec l’exercice de style MILLER’S CROSSING (1990), ou l’évocation du genre plein de panache avec THE BIG LEBOWSKI (1998), la comédie sophistiquée style 40’s avec INTOLERABLE CRUAUTE (2003), la comédie d’espionnage avec BURN AFTER READING (2008). Ils s’étaient déjà approchés du western dans les premières scènes de NO COUNTRY FOR OLD MEN (2007), mais là, c’est pour de bon, un vrai de vrai, avec les vieux colts et les éperons qui font cling cling.


Borgne à gauche ou à droite, l'essentiel est de viser juste.
On le sait, ce TRUE GRIT est adapté du roman de Charles Portis, dont Henry Hathaway avait déjà tiré son CENT DOLLARS POUR UN SHERIF (1969) avec John Wayne. Au sens strict du terme, les Coen ne donnent pas dans le remake, mais il est évident que l’intrigue et les rebondissements sont les mêmes. A savoir, l’histoire de la jeune Mattie Ross, 14 ans, qui cherche à venger l’assassin de son père, Tom Chaney, qui s’est enfui en territoire indien, hors de juridiction du shérif local. Mattie réunit la somme nécessaire pour se payer les services d’un marshall fédéral, Ruben Cogburn, réputé flingueur impitoyable, et alcoolique.


Les frères Coen ont visiblement pris plaisir à filmer ce western, les images regorgent de détails, rien ne manquent ou presque au bestiaire du genre. Le moindre bouton de culotte  semble authentique. Et comme nous l’évoquions au sujet de JOHNNY GUITAR, il est une fois de plus question de justice, avec au début de cette histoire une longue scène de tribunal (jury, avocats, objection votre honneur) qui permet de cerner le profil de Cogburn, mis à rude épreuve par l'avocat d'une victime. S'en suit une scène d’exécution, dans laquelle on peut noter qu'on ne laisse que les deux premiers condamnés s'exprimer avant de mourir. Les deux hommes sont blancs, le troisième est un indien... Et par la suite, ce seront deux conceptions de la justice qui s’opposeront, celle de Cogburn, un tantinet bord cadre, plus mercenaire que magistrat, et celle du Texas Ranger LaBoeuf, davantage respectueux du droit.


Pour ce film, les Coen ont fait sobre. L’histoire est simple, la narration linéaire, la mise en scène classique. Le rythme est assez lent (comme souvent chez ces réalisateurs) et on s’attarde sur de splendides paysages, et sur ce duo improbable d’une ado téméraire et d’un vieil cowboy désabusé. Ce film est l'histoire de deux personnages aux antipodes, contraints de cohabiter, de s'apprivoiser mutuellement. De ce côté, pas trop de surprise à attendre... C’est un film de rencontre, de dialogues autour du feu. Lorsqu’on croise quelqu’un dans ces grands espaces, on s’assoie, on parle, on confronte ses souvenirs, ses expériences, on chante aussi. TRUE GRIT est donc un film assez bavard. Les coups de flingues sont rares, mais ils font mal !

La tension monte d’un cran, lorsque Mattie Ross retrouve enfin Tom Chaney, qui trainait avec une bande de malfrats, que Cogburn devra affronter. Les scènes d’action, peu nombreuses, sont filmées posément, sans chichi, mais ménagent un certain suspens. On se dit que les Coen ont mis la pédale douce, point d’exubérance de caméra, des personnages posés, ce qui pourrait expliquer le succès retentissant de TRUE GRIT aux USA, leur film qui a rapporté le plus. Mais ils retrouvent leur style évocateur, poétique, dans la dernière scène où Cogburn ramène Mattie dans ses bras, de nuit. Sous un ciel plombé d’étoiles, filmé avec effet de transparence, le vieil homme souffle comme un veau, une lumière blafarde éclaire les paysages, qui nous apparaissent presque irréels. Très impressionnant. Il y aura aussi cet épilogue, 25 ans plus tard, où l’on comprend que Cogburn faisait partie d’une troupe de cirque itinérant, comme Buffalo Bill, amusant les spectateurs avec ses talents de tireurs. Les frères Coen ont donc filmé un western de fin de vie, la disparitio
n des mythes, où les héros d’autan ne sont plus que des clowns en représentation.


Matt Damon joue LaBoeuf (prononcez Le biiiif) et Hailee Steinfeld joue la jeune Mattie


Doit-on préciser que Jeff Bridges est impressionnant, Matt Damon toujours excellent. Son personnage aurait gagné à être creusé davantage, mais le western n’est pas un genre psychologique. Dans les premières scènes, il est un pur produit des frères Coen, à mi chemin de la stupidité et du ridicule. Face à ces deux acteurs confirmés, la jeune Hailee Steinfeld tient parfaitement sa place.


Il en va des frères Coen comme de Martin Scorsese, Clint Eastwood, Francis Coppola, ou Woody Allen. Des cinéastes purement américains, qui nous ont donné de telles joies, qu’on attend d’eux des chefs d’œuvre tous les deux ans. TRUE GRIT n’est pas le meilleur néo-western de ces dernières années (APPALOOSA de Ed Harris m’avait très impressionné,  IMPITOYABLE de Big Clint étant hors compétition, car insurpassable), ce n’est pas non plus le meilleur film des frères Coen. Sans doute auraient-ils été plus inspirés en écrivant un scénario original, avec scènes et personnages plus improbables, loufoques, hors des rails, en injectant plus de folie à l'ensemble, plutôt que de choisir une forme très propre, sage, et respectueuse. Mais qu'on ne s'y trompe pas, cela reste une brillante démonstration, un film très bien travaillé, de la belle ouvrage, à apprécier sur grand écran.










TRUE GRIT (2011)
Ecrit, produit et réalisé par Ethan et Joel Coen, d’après le roman de Charles Portis
Exécutif producteur : Steven Spielberg
Musique : Carter Burwell
Dir. Photo : Roger Deakins
Avec : Hailee Steinfeld, Jeff Bridges, Matt Damon, Josh Brolin, Barry Pepper, Paul Rae, Domhnall Gleeson

Couleur - 1h50 - scope 2:35

4 commentaires:

  1. Claude Toon18/3/11 07:28

    D'accord sur tous les points.
    Après ces deux derniers films qui m'avaient déçu (pourquoi ? manque de rythme peut-être), retour à la fable.
    L'arrivée de l'ours-cavalier-médecin dans le crépuscule lorgne vers le fantastique de Lewis Caroll.
    Restent Fargo et The big Lebowski, inclassables car géniaux, certes.

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  2. Jamais déçu par les Coen!
    Parmi les scènes chocs, celle dans la cabane avec les 2 complices dont un qui recompte ses doigts, et le puits reptilien de la fin sont "amusantes"...
    Viens de découvrir "The Barber" et le côté coquin de Scarlett Johansson...! Y'a des trucs qu'on fait pas quand on conduit...

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  3. Pour moi, voir le nom des frères Coen à l'affiche, est un gage de qualité.
    "IMPITOYABLE" : mooOonstrueEEuux !!! Grand !

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  4. J'ai lu quelque part qu'il s'agissait d'un western "féministe". Et bien si le féminisme conduit à finir manchote, vielle fille et acariatre, ça va en repousser plus d'une. Blague à part, j'ai énormément aimé ce film et les acteurs y sont pour beaucoup.

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