dimanche 2 janvier 2011

ADAM LANE "Ashcan Rantings" (2010), par Freddiejazz





Adam Lane.





Alors, là, attention, c'est du lourd. Du très lourd même. Dans le genre "événement" (je pèse mes mots), le dernier opus d'Adam Lane est une sacrée tuerie. Non pas qu'on y égorge le cochon comme chez John Zorn ou que l'on s'adonne au bruitisme si cher à Albert Ayler et Pete Brötzman. Non, pas du tout, The Full Throttle Orchestra, comme nous le dit son créateur sur son propre site, c'est un orchestre multi-dimensionnel. Multi-dimensionnel, qu'est-ce à dire ? qu'est-ce encore ce truc-là? Un melting pot? Encore de la transversalité? Un truc inécoutable? Pas du tout. C'est avant tout une expérience sonore mettant en valeur les arrangements et les compositions de ce contrebassiste basé à Brooklyn. Mieux encore, ce double compact qui vient de sortir chez Clean Feed devrait ravir autant les amateurs de jazz purs et durs que les rockeux en tout genre, et autres amateurs de musique punk puisqu'il puise ses racines ou plutôt ses influences du côté de Charles Mingus ou Duke Ellington (comment ne pas songer à "Ifshahan" à l'écoute de "Marshal", la deuxième plage?), Xenakis, Nono, David Tudor, Mötorhead (si si... ce nom-là, vous pouvez le souligner au marqueur, parce que grâce à certains, ici, je sais maintenant de quoi je parle...), Melt Banana, Bootsy Collins et la B.O. de Forbidden Planet (bon, là, par contre, les autres noms me sont totalement inconnus, je ne fais que citer Adam Lane qui annonce en outre ceci: "The Orchestra blurs the boundaries between jazz, noise, punk, and music of questionable worth".




Taylor Ho Bynum



D'emblée, ce qui impressionne, c'est la qualité des arrangements (Imaginary Portrait). Puis le son de cette contrebasse, celle d'Adam Lane. Ses intros tout en staccato (notamment sur Marshal); mais pas seulement, il faut l'entendre faire vriller sa contrebasse, comment il la fait vibrer, chanter, roucouler; sont à proprement parler hallucinantes. Ce musicien hors pair dont j'ignorais l'existence jusqu'à la semaine dernière, possède un jeu carrément enthousiasmant, jamais linéaire, cette façon qu'il a d'entreprendre l'improvisation avec l'un de ses comparses, après l'exposition du thème, sort ce disque de l'archi-prévisible. Ici, l'interaction entre les musiciens renoue avec une synergie jubilatoire. Ce disque respire, surprend, fascine... Sur le plan mélodique, on se rapproche parfois de la fanfare si chère à Mingus. Outre la qualité des compositions (d'une cohérence si peu commune), ses clins d'oeil à la musique de chambre de Mahler, et le temps imparti à l'improvisation sont toujours étonnants. Ainsi ce duo extraordinaire entre le contrebassiste et le trompettiste Taylor Ho Bynum (sur Sienna's Slip Jig) à partir du minutage 6'20. Trompette wha wha, façon Miles, Lane à l'archet égalant (oserais-je... "surpassant"?) William Parker... Ces moments là sont d'une liberté farouche, il n'y a pas de "leader", c'est clair. De toute façon, les leaders on les trouve dans l'armée, en politique, dans la religion… Tiens, diriez-vous qu'un père ou une mère est un leader? Non. Et bien ici, c'est pareil. Aucun ego. Les musiciens sont comme des médecins : ils essaient de vous aider à vous en sortir, vous donnent un coup de fouet, vous redonnent le moral, vous redonnent goût à la vie, sans vous caresser dans le sens du poil. Cette musique-là ne s'inscrit jamais dans la sensiblerie. Alors que la plupart des leaders vous virent si vous ne faîtes pas ce qu'ils disent, ici, c'est tout le contraire, vous êtes conviés à une fête où petits et grands sont invités à faire ripaille.




Sur un plan thématique, bien sûr que cette musique rappellera Mingus et même Dave Holland (heu.. sauf que là, franchement, c'est plus passionnant que les dernières productions de tonton Dave...). Un mot rapide sur les musiciens qui composent ce nonet. Il s'agit de la crème des musiciens du jazz underground. Notez un peu : les trompettistes Taylor Ho Bynum, les saxophonistes David Bindman (ténor), Avram Fefer (alto) et Matt Bauder (ténor), les trombonistes Reut Regev et Tim Vaughn, et enfin Adam Lane à la contrebasse et Igal Foni à la batterie. Rien d'indigeste ici, malgré l'apparence multiforme de ce melting-pot et ses influences variés. Les compositions sont de toute beauté, jamais rébarbatives ("Bright Star Calypso"), comme traversées par les tempêtes de la vie et la grâce des lendemains qui chantent. Comme le rappelle le site d'Orkhêstra, "les multiples influences ont été transcendées, le format réinventé et Adam Lane complète de sa touche personnelle finale le tableau d'Ashcan Rantings". Laissons encore à ce site le dernier mot : "Si vous pensiez que tout avait déjà été formulé en matière d'écriture pour big band, le Full Throttle Orchestra, ensemble dynamique d'un authentique conquistador du jazz (... heu, je rajouterais "qui dynamite tout avec une élégance et un sens de la provocation inouïe"), risque fort de vous surprendre. Pour moi, l'un des albums majeurs de 2010, tous genres confondus. A ne manquer sous aucun prétexte bien entendu.





Adam’s Lane Full Throttle Orchestra
1. Imaginary Portrait (9:43)
2. Marshall (11:54)
3. Nine Man Morris (10:13)
4. Desperate Incantations (8:04)
5. House Of Elegant (8:22)
6. Ashcan Rantings (11:15)
7. Lucia (9:56)
8. Sienna's Slip Jig (10:22)
9. Mahler (4:25)
10. Bright Star Calypso (10:19)

2 commentaires:

  1. Ca fait envie, vraiment. A propos de contrebassiste, vu une retransmission d'un concert de Kyle Eastwood à Marciac, en 2010. Lui et son groupe m'ont réellement impressionné. Eastwood passe de la contrebasse à la basse électrique avec un rare bonheur, maintient la pulsation, tout en "jouant" free, à la Pastorius. Les compositions sont aussi de toutes beautés.

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  2. Hey Lucky la main froide! Cool, ton post. Merci. Heu... de qui tu parles, là? de Kyle Eastwood? Bah, les chiens ne font pas les chats... :-)Oui, ce qu'il fait est plutôt sympa. N'ai pas vu cette retransmission, mais ça m'a l'air d'être savoureux. Chavais même pas qu'il tâtait de la basse électrique, le fiston. J'ai eu l'occasion d'écouter sa dernière galette avec Legnini, un truc paru chez BN, bref un petit biscuit croustillant, un truc qui s'écoute sans passion mais sans déplaisir non plus. :-) Pour le Adam Lane, je peux t'arranger ça, si tu le souhaites... :-)
    FreddyJazz

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