vendredi 15 octobre 2010

VOUS ALLEZ RENCONTRER... (2010) de Woody Allen, par Luc B.



Woody Allen est un bon ami à moi. Tous les ans, j’attends sa visite avec impatience, car il ne vient jamais les mains vides. Cette année encore, ding dong, bonjour, c’est moi, tiens, c’est pour toi… je sais, ce n’est pas grand chose, juste un film, mais je crois qu’il n’est pas mal… Avec la même frénésie qu’un gamin qui attend sa jeep télécommandée le soir de Noël, j’arrache le papier, et je regarde la boite… Déjà, ça me plait. Anthony Hopkins (qui ne joue pas un ersatz d’Hanibal Lecter, bonne nouvelle), Naomi Watts (enfin une actrice blonde pas tarte), Josh Brolin (ténébreux et vulnérable, vu chez les Coen et Oliver Stone), Antonio Banderas (un bon rôle depuis les Almodovar, ça se fête !), Freida Pinto (au moins, elle est jolie, vu dans SLUMMDOG MILLIONAIRE), et l’excellente Gemma Jones (vu dans BRIDGET JONES)…

Woody Allen et Anthony Hopkins sur le tournage.




Bon, et il raconte quoi ce 46ème film de Woody Allen ? Des couples qui ne s’aiment plus, qui se séparent, qui se trompent, qui tentent de refaire leurs vies, qui parient sur l’avenir, qui lorgnent sur le bonheur du voisin, brefs, des gens qui se posent plein de questions, et qui auront un choix à faire… Comme d’habitude, finalement. Bah oui. Vous iriez voir un Woody Allen qui parlerait de l’attaque imminente de vampires-mutants venus de l’hyper espace ? Moi non. Woody Allen parle de ce qu’il connaît : l’âme humaine, et ses tourments. Parfois sous forme de franche comédie (le dernier WHATEVER WORKS était un retour au burlesque, qui m’avait enchanté), parfois sous forme de drame (le très noir REVE DE CASSANDRE ou MATCH POINT, pour ne citer que les plus récents), le plus souvent sous forme de comédie-dramatique, comme ici, où le rire n’est pas le but principal (non, le film n’est pas « hilarant » comme on peut le lire ici et là), mais où on ne peut s’empêcher de sourire, en regardant ces créatures se noyer dans leurs problèmes.

La magie, l'occultisme, l'ésotérisme : des thèmes qui reviennent souvent dans l'oeuvre de Woody Allen, comme dans OMBRES ET BROUILLARD, ALICE, LE SCORPION DE JADE, SCOOP... et généralement source de quiproquos. Ici, Naomi Watts, Gemma Jones, et à l'arrière plan Roger Ashton-Griffiths.



Les thèmes sont connus, les figures chères au metteur en scène aussi. Comme ce personnage d’Alfie (Anthony Hopkins) qui reprend le genre de rôle que Woody Allen interprétait encore il y a quelques années. Le vieux-beau, qui se maque avec une jeunette. Du déjà-vu (voir Sidney Pollack dans MARIS ET FEMMES) mais là, ça surpasse tout ! Une bimbo siliconée, pseudo-actrice (elle a joué « la femme d’un empereur venu d’une autre planète », dans une série SF !) deux neurones en état de marche, et surtout… un peu pute sur les bords ! Alfie l’honore après avoir pris son Viagra, l’œil sur sa montre, en attendant les premiers effets ! Il y a l’écrivain raté, qui laisse sa vie en friche, et lorgne sa jeune et jolie voisine, et qui au lieu de construire une oeuvre, détruit sa vie. Il y a la mère envahissante, Hélena, séparée de Alfie, paumée (mais riche !) angoissée à l'idée de finir sa vie seule. Et qui a le don de débarquer chez sa fille Sally en balançant des vannes à son gendre, soigne son angoisse à coup de bourbon (plus elle boit, plus elle croit à la réincarnation !) et de séances chez une voyante qui préfère le cash aux chèques… D’autres personnages peuplent ce film, et certains pensent mêmes qu’il y en a trop. Pour être franc, madame Lukebé (grande amie aussi de monsieur Woody) reproche au film de construire trop d’intrigues, d’en privilégier certaines au détriment d’autres, et surtout, de conclure le film sans que l’on sache ce qu’il advient des uns et des autres. A la première remarque, je dirai : d’accord. Concernant l’histoire de Dia. Elle est jeune, elle est belle, et fait tourner la tête de son voisin. Cela suffit en soi. Woody Allen semble vouloir l'inclure dans son manège (elle aussi fera le mauvais choix) mais il en dit trop peu pour qu'on s'y intéresse vraiment. La séparation de Naomi Watts et Josh Brolin est aussi rapidement survolée. On a effectivement l’impression parfois que Woody Allen élude des parties de son récit, ça ne l’intéresse pas, il ne développe pas. Par contre, pour moi, le film a bien une fin.

Josh Brolin et Naomi Watts.





Ce scénario est assez exemplaire. Woody Allen prend des personnages en route (ce n’est pas un film basée sur la psychologie), les accompagne, et les laissent un peu plus loin. Entre ces deux points, les personnages ont du faire un choix. Et à chaque fois, la situation d’arrivée est pire. Tous (sauf une) se trompent. Et tous le savent. Et à chaque fois, cela se fait – ironie de l’auteur - au travers d’une scène drôle (le coma du copain de Brolin, l’aveu de la grossesse, la déclaration foirée de Watts à son patron). Le film peut s’arrêter, le principal est dit, montré, inutile d’enfoncer le clou. Une fois encore, la mise en scène de Woody Allen est alerte, précise, lisible. Sans que la caméra ne fasse pour autant des prouesses, Woody Allen filme ce qu'il a à filmer, sans effet de manche. Les dialogues sont particulièrement inspirés. Il y a des scènes superbes, notamment entre Naomi Watts et Banderas, des non dits, des espoirs déçus (à la bijouterie, dans la voiture, et à la toute fin). Les personnages de ce film sont dans l’ensemble assez pathétiques, Hopkins en premier lieu, duquel on rit, mais qui vit finalement des moments douloureux et tragiques (le fils décédé qu'il cherche à remplacer).

Alors, un Woody Allen moyen ? Ben mince alors ! J’vous en foutrais du moyen de ce niveau-là ! Woody, il est comme mon autre grand ami, Clint. Dès qu’ils ne nous pondent pas un chef d’œuvre, on fait la gueule… En oubliant que 1) Pour ces types-là, ce n’est pas moins le film en particulier, mais l’œuvre entière qui fait foi, et 2) même un ton en dessous, ils restent 10 fois plus intéressants et pertinents que la grande majorité de leurs collègues hollywoodiens. Moi, j’ai aimé ce film, je suis à chaque fois épaté par le talent de cet auteur, son intelligence du récit, sa manière de définir un caractère en deux plans, sa capacité à viser juste, la finesse de son propos, la légèreté apparente dont il fait preuve pour décrire des situations dramatiques. Je suis certain que dans dix ans, VOUS ALLEZ RENCONTRER UN BEL ET SOMBRE INCONNU sera considéré comme un grand cru.

Tiens, à propos de Clint, ça commence à faire long depuis ta dernière visite. La santé est bonne j’espère ? …








VOUS ALLEZ RENCONTRER UN BEL ET SOMBRE INCONNU (2010)
Ecrit et réalisé par Woody Allen, à Londres.
Couleur - 1h40 - 1:85

4 commentaires:

  1. p p, le mécréant15/10/10 22:22

    Je sais pas si ce sera considéré comme un grand cru, mais les acteurs sont sidérants!!
    La photo 3, à la terrasse du café me plie en 2!
    Brolin qui reluque avec concupiscence la bimbo de Hopkins et Naomi atterrée par la situation...!
    C'est effectivement de l'art d'être aussi juste de filmer des drames aussi légers...
    A mon avis, Clint est largué sur c't'histoire...

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  2. Almodovar fait du Almodovar.
    Lelouch du Lelouch.
    Burton du Burton.
    Etc...

    Allen a lui aussi un style et un univers bien à lui. Me laisserais je tenter par celui là ? Peut être bien. "Watever works" m'avait bien plu par exemple.

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  3. Oui : j'ai trouvé que c'était un bon film, fin, bien joué, une ambiance, un ton inimitable. Mais pourquoi est-ce qu'en sortant de la salle je suis restée sur ma faim ? comme quelquechose d'inabouti.L'amoralité et la cruauté de Match Point avaient quelquechose de réjouissant, de politiquement incorrect. Là, les petites et grandes lâchetés des personnages, leur vie ratée m'ont laissée un peu mal à l'aise. Pas beaucoup d'espoir au final sur la nature humaine. Je préfère quand Woody a de la tendresse pour ses (anti-)héros.

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  4. Nath,
    Il n'y a pas, c'est vrai, la dimension quasi tragique de MATCH POINT. Ce film-là est davantage désabusé. Un bel et sombre regard sur nous même... C'est drôle cette remarque de film "inabouti" qui revient sans cesse chez les détracteurs... Ai-je été abusé par la beauté de Naomi Watts, pour ne pas remarquer ce point faible ?!

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