mardi 28 septembre 2010

DES HOMMES ET DES DIEUX (2010) de Xavier Beauvois, par Luc B.




Dans la série « terminons la semaine en gaieté », je suis allé voir DES HOMMES ET DES DIEUX. Ce film s’inspire de la vie des moines français installés à Tibhirine, en Algérie, et de leur exécution par un groupuscule terroriste en 1996, dont on ne sait pas s’il s’agissait de fondamentalistes, d’une milice politique, ou de l’armée régulière, à moins qu’il s’agisse un peu des trois… Ce film est signé par Xavier Beauvois (photo) acteur et réalisateur. Il tourne peu, tous les cinq ans, mais se forge avec le temps une filmographie très intéressante, depuis NORD (1991), N’OUBLIE PAS QUE TU VAS MOURIR (1995), SELON MATTHIEU (2000) jusqu’à LE PETIT LIEUTENANT (2005) avec Nathalie Baye.

Avec un sujet pareil, il aurait été aisé de donner dans le lacrymal, la polémique, voire le spectaculaire. Xavier Beauvois préfère la sobriété et l’œcuménisme. Le film commence par des scènes courtes, évoquant la vie de ces moines, alternant consultations médicales, vente de miel sur les marchés, participations à la vie du village, et temps de prière. Puis des premiers crimes surviennent dans la région, dont les villageois ne comprennent pas le sens. Une très belle scène, simple, entre deux villageois et des moines autour d’un thé à la menthe, où chacun s’interroge, perplexe… Ils ont tué une institutrice, pourquoi, qui sont-ils, c’est insensé, c’est monstrueux, que veulent-ils, quel est le message ? Puis vient le tour de contremaîtres Croates, sur un chantier, égorgés. Là encore, stupéfaction. Les villageois se tournent vers les moines, pour comprendre. Les autorités algériennes proposent que l’armée protège le monastère. Refus. Car les moines seront visés, cela ne fait aucun doute. Et premier questionnement des moines, le soir, autour de la table : faut-il rester, partir, déménager, retourner en France ? On touche ici le thème du film, l’engagement, la responsabilité, le sacrifice. Les moines ont donné trop de sens à leur vie pour s’arrêter maintenant, et fuir. Ils se disent sans doute que leur hypothétique mort ne pèsera pas lourd face à ce qu’ils ont bâti ici. La présence de ces moines sur le sol algérien pose aussi problème aux autorités françaises, et l’armée algérienne n’apprécie pas (d’autant que les moines soignent indifféremment quiconque frappe à leurs portes, y compris un fondamentaliste). Toutes ces questions d’ordre politique sont traitées (y compris le rôle colonisateur de la France) mais ce n’est que l’arrière plan du sujet

Xavier Beauvois se laisse le temps de la contemplation. Les jours passent, les saisons passent. Un peu lentement tout de même, beaucoup de panoramiques sur des paysages n’apportant pas grand chose de plus. Si ce n’est de permettre une lente montée de la tension dramatique, qui culmine avec une scène où un hélicoptère survole le monastère. On ne saura pas pourquoi, mais le bruit assourdissant des moteurs, pendant la prière, l’inquiétude des moines qui se resserrent, s’agrippent par les épaules sentant leur derrière heure arriver, est tout à fait saisissante. Il y aura aussi ce repas, où Michael Lonsdale apportera deux bouteilles de vin, une cassette du Lac des Cygnes, et les moines partageront des frites, heureux, souriant, complices. Beauvois scrute les visages en travellings, visages qui se crispent, se décomposent lorsque les moines comprennent que ce dîner est sans doute un des derniers. Une scène extrêmement belle et émouvante, qui rappelle évidemment La Cène, dernier repas du Christ. Tension extrême aussi avec la visite nocturne d’un groupe terroriste au monastère, avec le frère Christian qui tient tête au chef de guerre, lui intimant l’ordre de discuter sans arme, ou alors, hors de l’enceinte. Et de lui rappeler que ce coup de force et d’intimidation à deux jours de Noël, n’est pas du meilleur goût… Ce que le terroriste comprend après coup, avant de s’excuser. Nous reviendrons sur cette scène précisément…


Autre belle scène, celle d’une cérémonie de prière en arabe, où les moines catholiques prient avec leurs frères musulmans. Elle montre le degré d’enracinement de cette communauté catholique en Algérie, et les liens qui unissent le Coran et les Evangiles. La fin de film est en tout point remarquable, les moines emmenés de nuit, sous la neige, par une colonne de gardes armés, et disparaissant dans le brouillard. On connaît l’issue. Beauvois a le tact et l’intelligence d’arrêter son film avant.



J’écrivais au début que ce film ne soulevait pas la polémique. Il y a pourtant deux très courtes scènes qu’il serait intéressant de décrypter. Deux jours avant Noël, les fondamentalistes entrent armes au poing dans le monastère. Frère Christian (Lambert Wilson, habité par le rôle) et leur chef parlent. Christian dit : vous connaissez le Coran ? L’autre acquiesce. Alors vous savez que nous préparons ??? (mot en arabe). L’autre répond : ah oui… Jésus… alors, veuillez m’excuser. Et la troupe repart. Une scène lourde de sens, réelle ou non, signifiant la relative estime que pourraient se porter ces deux hommes, la tolérance dont ils font preuve. Christian prend soin de citer le nom de Jésus en arabe. Il faut rapprocher cette scène d’une seconde, plus tard dans le film. Le chef des barbares est tué dans une embuscade, et l’armée demande à Frère Christian d’identifier le cadavre. Frère Christian reconnaît l’homme qui l’avait menacé quelques jours plus tôt, se signe, et prie pour son repos, devant un officier qui lâche une grimace de dégoût. La compassion dont fait preuve frère Christian est condamnée par l’officier, qui représente scénaristiquement l’armée. On sentait presque Christian plus en phase avec le chef des égorgeurs… Quelle idée souhaite faire passer Xavier Beauvois ? Que les moines avaient plus à craindre de l’armée algérienne ?




Plutôt que la bande annonce, cette courte scène. Admirez la rigueur des cadrages, la finesse de la lumière, la sérénité de ces hommes alors en plein questionnement sur leur survie.

DES HOMMES ET DES DIEUX tient aussi sa réussite à l’interprétation des comédiens, sans pour autant qu’il y ait de numéros d’acteur « palmélisables ». Michael Lonsdale domine la distribution par sa présence, son regard, son talent infini, la bonté qui émane de lui. Mais tous forment une troupe cohérente, sans que l'un des acteurs n'écrase l'autre, même si Lambert Wilson, par son rôle, est plus souvent en avant. Le film aligne des moments de tendresse, de joie, de réflexion, et sans spectaculaire aucun, le metteur en scène rend palpable les liens entre ces hommes, leur dévouement, et le danger qui se profile. Mise en scène dépouillée, à la bresson, où chaque geste compte, précis, mais dont le rythme aurait gagné à être plus soutenu, au service d’un sujet fort, qui donne à réfléchir, quelque soit les orientations religieuses (ou non religieuse) des uns et des autres.

DES HOMMES ET DES DIEUX
Why Not Production
Scénario, adaptation et dialogues : Étienne Comar, Xavier Beauvois
Dir. Photo : Caroline Champetier
Avec : Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin, Loïc Pichon, Xavier Maly, Jean-Marie Frin, Olivier Perrier

format scope 2:35, couleur, 2h00.



3 commentaires:

  1. Salut! Je viens de lire ton comm, j'y souscris totalement! Ce film est une pure merveille qui m'a laissé KO debout, d'autant plus que l'un des moines (frère Chistophe) était le frère de ma meilleure amie, ce n'est pas peu dire que j'ai vu le film avec l'estomac noué! Tu as raison sur la "Cène"dernier repas en commun des frères, et dans les dèrnières images du film quand ils cheminent dans la neige escortés par leurs ravisseurs ,j'y ai vu "la montée au Golgotha" de l'évangile.
    Un grand film qui parle plus ,et c'est là sa grande qualité,de compassion, de fraternité et de tolérance que de religion. Amicalement

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  2. En effet, les dernières minutes sont bouleversantes.

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  3. je te mets un VU comme au bon vieux temps, ou nous nous fréquentions discrètement à ma zone ! Ramone

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