dimanche 22 août 2010

LE VOYEUR (1960) de Michael Powell, par Luc B.




Michael Powell (1905-1990) se prédestinait banquier, puis le destin l’amène sur un plateau de cinéma, dans les années vingt. Assistant, homme à tout faire, il se familiarise avec les techniques de tournage, et se retrouve assistant d’Hitchcock, dans les années trente. Réalisateur de série B, il faut attendre une dizaine d’année avant qu’il sorte son premier grand film, LE VOLEUR DE BAGDAD, avec celui qui deviendra son scénariste attitré : Eméric Pressburger. En fait, ces deux hommes forment un véritable tandem, à la manière des frères Coen aujourd’hui, signant leurs films par leurs deux noms. Michael Powell était un esthète de la mise en scène. Beaucoup de cinéastes contemporains lui vouent un culte sans limite (Scorsese est son premier fan), pour l'audace dont il faisait preuve, la maîtrise parfaite de son art, l'originalité de ses histoires. Il a réalisé des grands films dramatiques, très portés sur le mélo, le lyrique flamboyant, comme LES CHAUSSONS ROUGES ou LE NARCISSE NOIR avec Deborah Kerr. Powell repousse les limites du technicolor à un degré de perfection rarement atteint.


Le film qui nous intéresse aujourd’hui, est son dernier. LE VOYEUR est un classique, mais c'est aussi ce qu'on appelle un « film culte ». C'est un des films les plus traumatisants jamais réalisé.

LE VOYEUR n'est pas simple à résumer, si on ne veut pas déflorer l'histoire. Sachez qu'il s'agit d'un jeune homme, Mark Lewis, maladivement timide, étudiant en cinéma, et qui a mis au point une technique très particulière pour filmer le sentiment de terreur. Sa logeuse, une jeune femme intriguée par les secrets de son locataire, va tenter dans savoir plus... Le scénario est hallucinant, et d'une perversion rarement égalée au cinéma. A sa sortie à Londres, le film choqua tellement, que les exploitants refusèrent de distribuer le film ailleurs. Sorti en même temps que PSYCHOSE d’Hitchcock, le film de Powell fut classé X, et relégué dans le circuit porno. Powell, hué, détruit, dût arrêter de tourner des films, jusqu’à sa mort 30 ans plus tard.



Plus on découvre le héros, son univers, son enfance, plus le film devient traumatisant, étouffant. Le personnage nous effraie autant qu'il nous émeut. La spirale psychotique se referme sur nous, nous devenons voyeur à notre tour. Ce film bénéficie d'une mise en scène tout bonnement extraordinaire, avec un travail exceptionnel sur les couleurs, les cadrages, les mouvements d'appareil très calculés. Les films de Powell sont comme ceux de Kubrick ou Hitchcock, ils sont reconnaissables dès la première image. LE VOYEUR décline des thèmes évidement chers à tous cinéastes (comment filmer la vérité des sentiments, le voyeurisme des images, le conflit réel/fiction dans la manière de filmer la vie). Dans la scène finale, on voit Mark se préparer pour sa dernière grande œuvre, dont il sera le héros, ou la victime. Il règle lumières et axes de caméra très minutieusement, comme un metteur en scène. Powell filme scrupuleusement ces préparatifs macabres, mais laissera ensuite l'action hors-champ. Une des scènes les plus traumatisantes (pour moi, qui ne raffole pas des petites bêtes avec plein de pattes...) est sans doute les flash-back sur l’enfance de Mark, cobaye des expériences sadiques de son père, à l'origine de ses déviances futures. Le père est interprété par Powell, et Mark enfant, par le propre fils de Powell. Mise en abîme parfaite, et terrifiante.


Ce film est aussi le portrait d'un psychopathe particulièrement redoutable, une victime avant d'être bourreau. Sans doute un des premiers serial-killer du cinéma ! C’est aussi une formidable enquête policière, à suspens. A la manière d’un épisode de la série COLUMBO, le spectateur a une longueur d’avance par rapport aux enquêteurs du film, ce qui rend la chasse à l’homme encore plus passionnante. Mark Lewis est interprété par l’acteur allemand Carl Boehm, célèbre pour avoir été le fiancé de SISSI au cinéma ! Acteur lisse et insipide par excellence (parfait pour le rôle), sa participation au film de Powell dérouta tellement, qu’elle lui couta aussi sa carrière européenne. Il faudra attendre quinze ans avant qu’il revienne devant une caméra digne de ce nom, celle de Fassbinder.





Bande annonce un peu kitsh, très "série Z" pour un film de classe A+++

LE VOYEUR est un film exceptionnel, unique en son genre, dont la perversité ne s'est pas émoussée d'un fil.









LE VOYEUR (PEEPING’ TOM, Angleterre, 1960)
Scénario : Leo Marks
Production : Michael Powell et Albert Fennell
Musique : Brian Easdale et Wally Scott
Photographie : Otto Heller (Eastmancolor)
Montage : Noreen Ackland
Avec : Carl Boehm, Anna Massey, Maxine Audley, Moira Shearer, Michael Goodliffe…

Couleur, 1h40

3 commentaires:

  1. Shuffle Master24/8/10 14:13

    Pour se remettre de l'écoute traumatisante du CD conseillé par Philou? Pour la liste de cadeaux, rajoutez une psychothérapie offerte.

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  2. Promis, à suivre un petit De Funès...

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  3. le nippon vengeur26/8/10 02:15

    Dans la ville cosmopolite « Amas-de-zones-irradiées » jadis très fréquentée mais de nos jours de plus en plus désertée, deux de ses étranges habitants eurent un jour une conversation sur le thème du voyeur. Digne des plus grands érudits, nous avons l’opportunité de vous en communiquer des extraits aujourd’hui à titre exceptionnel :

    Christian-le-kamikaze : Je rappelle la définition du voyeur : quelqu'un qui épie quelqu'un d'autre qui ne sait pas qu'il est épié. Un spectateur de cinéma n'est donc pas un voyeur. Le voyeur, c'est James Stewart dans « Fenêtre sur cour » » regardant à l'aide de jumelles des gens dans l'appartement d'en face qui ne savent pas qu'ils sont vus !

    Luc-B-le-fan-du-boss: Comme tu le dis, au cinéma, on épie pas. On paie pour voir. Collectivement. Mais dans le cas de ce film, (ou de Sàlo, ou Orange Mécanique) les regarde-t-on pour l'histoire, les acteurs, la réalisation ? Ou pour espérer se délecter d'images "malsaines" et se donner des émotions pour pas cher ? Dans Fenêtres sur cour, le voyeur c'est le personnage de James Stewart. Mais par sa seule mise en scène, et son côté manipulateur, Hitchcock fait de ses spectateurs aussi des voyeurs !

    Christian-le-kamikaze : Ce qui est drôle c'est qu'Hitchcock fait de James Stewart un voyeur soft, honnête et sans arrière pensée, qui épie pour la bonne cause, celle de justicier. Or, dans le quasi-remake de Brian de palma « Body double » le personnage est bien un voyeur pervers et névrosé, qui se délecte de mater une fille à son insu.

    Luc-B-le-fan-du-boss : Les fameuses héroïnes blondes d’Hitchkok, glaciales, bourgeoises, sont en réalité de furies ! Mais à son époque, il fallait contourner la censure. Alors que De Palma pouvait filmer des créatures de rêves frontalement, sans choquer personne. A mon sens, cela ne le rend pas plus pervers... On montre d'un côté, on suggère de l'autre. Mais l'intention est la même. James Stewart mate un jeune couple qui passe sa journée au lit, mais aussi des gens malheureux, seuls, prêts à se suicider... Cela va plus loin encore, car son voyeurisme est de l'ordre de l'intime, il s'immisce dans la vie privée de ses voisins. Scruter derrière ses volets une paire de miches, ou le malheur des autres... quel est le plus pervers ?

    Christian-le-kamikaze : Je n'ai pas voulu dire que « le personnage est vraiment pervers parce qu'il mate une fille à poil » (berk, elle pourrait d'ailleurs se les raser, si elle a des poils !) mais que De Palma avait fait en sorte de nous présenter ainsi son personnage (Jake), comme une sorte de névrosé perturbé par le sexe, en permanence dans un état de trouble, de nervosité et de culpabilité, souriant puis grimaçant, dans la confusion, semblant se dire quand il mate « Je fais quelque chose de très mal au regard de ma morale judéo-chrétienne ». De Palma nous présente Jake, ayant la petite culotte de sa voisine dans sa poche, comme quelqu'un de déphasé qui a d'ailleurs des crises d'angoisse et de claustrophobie hallucinantes. Enfin, « Scruter derrière ses volets une paire de miches, ou le malheur des autres... quel est le plus pervers ? » Probablement celui qui scrute le malheur des autres SAUF si sa démarche est finalement dictée par la bonté intrinsèque du héros justicier qui va entrer en action et rendre la justice (comme cela se passe effectivement dans Fenêtre sur cour).

    Signé : le nippon vengeur, dit « recycle’man ».

    (J’espère que j’ai gagné le voyage en navette spatiale).

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