vendredi 20 juin 2025

L’HOMME LÉOPARD de Jacques Tourneur (1943) par Luc B.



On a déjà évoqué ici le réalisateur Jacques Tourneur, à travers ses Films Noirs ou d’épouvante. L’HOMME LÉOPARD se situe dans la deuxième catégorie, le dernier film de la trilogie produite par Val Lewton. Petit rappel des faits, les deux hommes ont mis au point une recette simple, efficace, des films courts, pas chers, angoissants, exotiques. Le premier était LA FÉLINE (1942), qui avait généré un bénéfice de presque dix fois son budget, le champ’ avait coulé à la RKO dont les comptes étaient dans le rouge.

Comme on ne change pas une équipe qui gagne, les deux compères sortent coup sur coup VAUDOU et L’HOMME LÉOPARD (1943) utilisant les mêmes recettes. Sauf que des trois, ce LEOPARD MAN est le plus faible, le talent de Tourneur n’y éclate qu’avec parcimonie, la faute à un scénario un peu neuneu et prévisible. 

L’action se passe au Nouveau Mexique. Jacques Tourneur aimait ces histoires qui confrontaient deux cultures, aimait plonger ses héroïnes dans un contexte étranger, la meilleure démonstration étant l’infirmière de VAUDOU confrontée aux rites haïtiens. Bon, sauf qu’ici, de Los Angeles au Mexique, il n’y a qu’un pas.

Kiki Walker, une danseuse, accepte l’idée un peu stupide de son impresario Jerry Manning de faire son numéro avec un léopard, qu’il a loué pour 10 dollars à un cirque ambulant. C’est un fiasco. Le fauve apeuré par le public et l’horrible son des castagnettes se fait la malle. Dans les jours qui suivent, plusieurs jeunes femmes sont retrouvées mortes, déchiquetées par les griffes d’un félin…

Le son des castagnettes, et ce dès le générique, va rythmer le film, amenant cet élément exotique et finalement angoissant : première bonne idée. Comme lorsque Jerry Manning provoque les cris hystériques de Kiki et de son habilleuse, en arrivant dans sa loge avec la panthère en laisse. Un plan qui renvoie bien sûr à LA FÉLINE, qui le parodie presque puisque l’effet recherché ici est le comique et non l’horreur.

Les premières tensions arrivent avec la rivalité entre Kiki et Clo-Clo, une danseuse mexicaine (la joueuse de castagnettes). Superbe scène lorsqu’elle est alpaguée en rentrant chez elle par une tireuse de cartes, dont on ne voit que les mains sortir du noir, brandir un as de pique. Tourneur introduit des éléments de superstition. Il y a aussi ce gamin qui pour effrayer sa grande sœur Teresa, reproduit au mur, en ombre chinoise, le profil d’un léopard. Ce qui nous amène à la première mort violente du film, Teresa, partie chercher de la farine (en pleine nuit naturellement). 

Et qui a évidement peur du noir. Sur le chemin du retour, elle doit passer sous un pont de chemin de fer, plongé dans l’obscurité. L’art de Tourneur est dans toute cette scène où le danger n’est que suggéré : l’obscurité, Teresa semble aspirée par la nuit, le silence juste ponctué par le son des gouttes d’eau qui tombent dans un égout, les reflets fantomatiques de l’eau projetés dans le tunnel, le bruit assourdissant d’un train qui passe au dessus, puis les deux yeux du léopard qui brillent dans le noir. Superbe !

La mort de la fillette restera hors champ, juste des cris, des coups tambourinés à la porte, celle de la maison de Teresa, dont sa mère n'arrive pas débloquer le loquet, et un filet de sang... Tourneur joue beaucoup avec les ombres, les éléments baroques, les décors surchargés, les plantes luxuriantes en amorce. La suite de l’intrigue tient du polar. D’autres jeunes femmes trouveront la mort dans des circonstances analogues, et Jerry Manning commence à croire que l’agresseur n’est peut être pas le fauve du cirque…

C’est là où ça coince. L’enquête du shérif est ni faite ni à faire. C’est l’impresario Manning et la danseuse Kiki qui s’y collent (à cause des remords ?), avec l’aide d’un spécialiste des fauves, le directeur du musée local. Il y a trois malheureux suspects dans l’histoire, l’une sera tuée, l’autre a une bonne tête d’innocent, donc bonne pioche pour le troisième ! Le dénouement est assez prévisible, et la justification de l’affaire est franchement capillotractée (tirée par les cheveux). Résumée ainsi par Manning en regardant une fontaine dont le jet d’eau fait rebondir une balle : « Les gens sont bousculés par des choses qui les dépassent » (faisant donc référence à la baballe ballottée, c'est un peu court, jeune homme, on pouvait dire bien des choses...).

On retiendra une belle scène dans un cimetière (non mais franchement les filles, donner rendez-vous à son flirt dans un cimetière, à la tombée de la nuit ?!) où Tourneur joue sur le bruissement des arbres, le craquement d’une branche, l’écho d’une voix, un labyrinthe de buissons. Plus tard, le son qui monte crescendo des castagnettes lors du troisième meurtre, et bien sûr la scène finale avec la procession de pénitents en habits noirs et chapeaux à pointe.

Jacques Tourneur lui même était conscient du manque de profondeur de son scénario, « une série de vignettes qui ne tenaient pas ensemble ». On retiendra de Tourneur l’art de la suggestion, de savoir appliquer l’adage less is more (vu l’étroitesse des budgets il n’avait pas trop le choix), le travail sur le son, le fait qu’encore une fois ce sont les femmes qui tiennent l’affiche. Par contre, les personnages ne valent pas un clou, et l’interprétation ne brille pas spécialement.

Du triptyque fantastique, L’HOMME LÉOPARD est le plus faible, avec quelques bons moments tout de même, malheureusement situés dans le premier tiers du film.

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Autres films de Jacques Tourneur chroniqués : VAUDOU  ;  RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR



Noir et blanc - 1h06 - format 1:1.37 

A défaut d'une bande annonce correcte, cet extrait : 

3 commentaires:

  1. Vu il y a des lustres. Pas folichon, en effet (j'crois me souvenir avoir fini par regarder d'un œil 😁), toutefois, ces effets d'ombres et de lumières sont toujours autant séduisants

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  2. Je l'ai celui-là dans une sorte de pack Tourneur 3 films sur 2 dvds acheté d'occase pour trois fois rien il y a longtemps. Pack acheté parce qu'il y a aussi (et surtout) La Féline et Vaudou. L'homme léopard, je suis confus de reconnaître que je l'ai pas visionné, il a une bonne réputation de super nanar, contrairement aux deux autres ...

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  3. Leopard Man, on hésite entre série B et série Z. S'il n'y avait pas Tourneur au générique... Il va falloir clore la trilogie en chroniquant La Féline, le plus célèbre.

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