vendredi 31 octobre 2025

SPRINGSTEEN : DELIVER ME FROM NOWHERE de Scott Cooper (2025) par Luc B


D’un biopic sur Bruce Springsteen on aurait pu craindre une célébration testostéronée du p’tit mec de banlieue (Freehold, New Jersey) qui accède au statut de héros national, où comment on devient le Boss en dix leçons, à coups de reconstitution de concerts épiques. Il n’y a rien de cela dans SPRINGSTEEN : DELIVER ME FROM NOWHERE, c’est même tout le contraire.

Le réalisateur, scénariste, producteur Scott Cooper, qu’on situerait plutôt comme cinéaste indépendant, à qui on doit CRAZY HEART avec Jeff Bridges, HOSTILES et THE PALE BLUE EYES avec Christian Bale, se concentre sur une période sombre, introspective, la conception de l’album « Nebraska » (1982). Ca commence en noir et blanc, flashback, le petit Bruce entend son paternel, éméché, monter les marches vers sa chambre, cogner à sa porte pour en découdre… un, deux, trois… transition one, two, three, four… le climax de « Born to run » nous éclate à la gueule, c’est le dernier concert de la tournée triomphale « The River ».

Ces trente secondes de « Born to run » sont uniquement ce qu’on verra reconstitué en concert. Les rares autres moments seront au Stone Pony, un bar d’Asbury Park où Springsteen (encore aujourd'hui) a l’habitude de jammer avec des groupes locaux.

Parlons de suite de ce qui m’a gêné. Ce noir et blanc bien léché pour les flash-back, qui informent, certes, mais qui frisent le pathos. Une scène montre Douglas Springsteen (le père, joué par Stephen Graham) embarquer son fils voir au cinéma LA NUIT DU CHASSEUR de Charles Laughton, spectacle assez traumatisant pour son âge (9 ans). Scott Cooper aura, je suppose, fait le choix de traiter les souvenirs du gamin à la manière de, avec un Mitchum démoniaque en fugure paternelle. Pourquoi pas. LA NUIT DU CHASSEUR, BADLANDS, plus tard LES RAISINS DE LA COLÈRE, le film montre bien les rapports de Springsteen au cinéma*

Scott Cooper cueille donc un Springsteen au top professionnellement, mais au fond de la vague moralement. Tout est résumé en une réplique, avec un vendeur de voiture qui assure : « C’est le modèle qu’il faut, pour une rock star comme vous… Je sais qui vous êtes ». L’autre répond : « vous avez du bol, je ne le sais pas moi-même »

Les angles choisis par le réalisateur ne sont pas les plus avenants, à première vue. Il ne filme pas un type qui performe, mais un type qui s'isole pour créer. Pas très cinégénique. Il ne filme pas un gars en pleine réussite, mais qui doute du bien fondé de cette réussite, qui accepte mal ce qu’il est en train de devenir. On voit bien dans le film ce décalage entre ce qu’on projette sur lui, et ce qu’il est, un prolo de banlieue ancré dans son espace naturel. 

Pourtant, à l'écran, le processus torturé de création s'avère intéressant. Le déclic devant une diffusion télé de BADLANDS de Terrence Malick, la scène où Martin Sheen abat le père de sa copine pour la délivrer de son emprise. Pas anodin, ça fait écho chez Springsteen, flash back sur le gamin qui frappe son père avec une batte de baseball. Une chanson naîtra de ce film (« Nebraska »), puis d’autres, plutôt lugubres, violentes, crépusculaires, de quoi remplir un double album. Chansons enregistrées sur un quatre pistes, dans sa chambre, à l’aide d’un gus, Mike, joué par Paul Walter Hauser, découvert dans LE CAS RICHARD JEWELL de Clint Eastwood. Plan intéressant lorsque Springsteen corrige son texte, barrant les « He » par des « I », s’appropriant le rôle du narrateur.

Ces maquettes enregistrées sur cassettes devaient servir de brouillon pour être retravaillées en studio avec le E Street band (étonnamment absent du film, à part ce court moment). On voit ce qui deviendra « Born in the USA », titre d’un scénario que Paul Schrader lui a envoyé : « ça ne m’intéresse pas, mais le titre, y’a un truc à faire avec... ». Il y a aussi « Cover me » (destiné à Donna Summer) ou « Glory days », « I'm on fire »... qui ne sortiront qu'en 1984. CBS se frotte les mains. Des tubes en puissance pour le prochain album. Mais les chansons de « Nebraska » perdent leur substance à être électrifiées**, Springsteen décide de les sortir sur un album distinct, telle que, dans leur jus.

L'aspect technique aurait pu être rébarbatif, curieusement non. On ne peut plus dissocier voix, guitare, harmonica à partir de la cassette audio, ni se débarrasser des bruits ambiants, ou de l'écho. On suit les tentatives de mixage, la fabrication du master, mais le résultat ne convainc jamais. L’ingé-son Chuck Plotkin dénichera un atelier de fabrication de vinyles, capable de restituer le son de la cassette (une histoire de profondeur de sillon). Il va falloir vendre l’idée à CBS. C’est le manager Jon Landau (Jeremy Strong) qui s’y colle, non sans nervosité. Car Springsteen a en plus décidé qu’il n’y aurait ni single, ni tournée, ni promo dans la presse, ni sa tête sur la pochette. 

Autre aspect du film, comment un artiste dit non au système, pour garder son intégrité, quand tant d’autres se sont épuisés à reproduire une recette pour ne pas descendre une marche de podium. Ce suicide commercial annoncé s'est soldé par un succès immense, « Nebraska » décrochera la troisième place des ventes.

L’acteur Jeremy Allen White ne ressemble pas physiquement à son modèle, des faux airs du jeune Pacino parfois, cocker triste. Il n’est pas dans l’imitation grimée. Une chemise à carreaux, un tee-shirt et des cheveux hirsutes suffisent à poser le bonhomme (comme la pochette de « Darkness »). Il est particulièrement convaincant au chant, c’est lui qu’on entend dans le film. La mise en scène est classique, très belle photo, sans doute trop, j'aurais aimé une photo plus brute, justement à l'image de ces enregistrements dégraissés sur l'os. 

Rien à voir avec UN PARFAIT INCONNU de James Mangold sur Bob Dylan à la très ample et riche reconstitution avec guest star à gogo, ici on donne dans le drame intimiste, un mec, sa guitare et ses emmerdes.

Comme l'angle choisi [lire plus haut] est ce qu'il est, Scott Cooper intègre au scénario une romance contrariée (fictive), qui n'apporte pas grand chose, et assez peu crédible. On regrettera aussi un film trop concentré sur la relation Springsteen – Landau, alors que le chanteur était, sur le Shore, le chef de fil de toute une bande de musiciens, c’est à peine si on aperçoit Steven Van Zandt. Avec cette impression que le film aurait pu concerner un personnage lambda, un dépressif, bipolaire, limite suicidaire (qui écoute, amorphe, le second album de Suicide d’Alan Vega dont il est fan). 

Si on ressort euphorique d'un concert de Springsteen (et je sais de quoi je cause) là, on a juste envie de se pendre. Mais « Nebraska » n’est pas non plus le disque le plus festif pour ambiancer les campings du cap d'Agde. 

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* L’horrible bandana porté sur la tournée « Born in the USA » était une référence au de Niro de VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER, et pas à RAMBO comme beaucoup le pensaient ! 

** Depuis, des titres comme « Johnny 99 » « Atlantic City » « Reason to believe » « Open all night » sont interprétées aussi en mode boogie rock avec le groupe entier.


couleur et noir & blanc - 2h00 – format scope 1:2.39.

jeudi 30 octobre 2025

ÄNGLAGÅRD : Voyage dans l’histoire visuelle et musicale du rock progressif, par Benjamin


La porte de ce monde fut étrange, presque angoissante, un visage hurlant sous l’effet d’une sorte de décomposition cosmique. Puis, la curiosité éveillant bien souvent le courage des hommes, l’ouverture de cette porte vous laissait nez à nez avec une lune au sourire moqueur. Derrière elle, un chaos électrique aux riffs synthétiques porta une voix chantant vos névroses.

« Cat foot iron claw, Neuro surgeon scream for more, At paranoïa poison door, Twenty first century schizoid man »

Vous évoluez donc dans un décor aux couleurs sang rosé, symbole des rêves humains et de sa peine à les réaliser. Rapidement, la mélodie se fit douce, l’hystérie faisant ainsi place au deuil. Vos tympans exultèrent alors sous les caresses d’un jazz rock cotonneux, sensuel, douce union de la puissance rock et de la tendre beauté du jazz. L’univers que vous connaissiez jusque-là, les mélodies qui vous furent familières, tout cela semble fondre sous la chaleur envoûtante de ces mélodies duveteuses. Mais même la plus éblouissante des beautés est condamnée à se flétrir, les assauts barbares du temps ne se préoccupent nullement de la grandeur esthétique de ce qu’ils attaquent. Comme pour vous avertir gentiment, une voix d’ange déchu psalmodie : « And I fear tomorrow I’ll be crying », le tout sur fond de mélodie automnale. 

Mais avant la saison des pluies vient celle des rayons de soleil, nulle force ne doit mourir avant sa grande épiphanie. Se révéler à soi-même et au monde, voilà le devoir sacré de tout ce qui vit et de chaque chose créée. Et pour se révéler il faut avancer inlassablement, parcourir les routes dans l’espoir de trouver la sienne. Progressivement, les couleurs changent, les mélodies aussi, vous franchissez une étape tel l’homme achevant une de ses décennies. Le paysage s’est transformé, il devint presque banal, mais d’une banalité pleine de grâce. L’herbe verte donna ainsi une certaine gaieté à un décor brumeux. De grands cerfs marchaient nonchalamment dans ces plaines verdoyantes.

Quelle ne fut pas votre surprise lorsque, arrivant à l’une des extrémités de décors qui vous parurent infinis, vous vous rendirent compte qu’ils n’étaient qu’un des stalagmites de terre que vous voyez poindre à l’horizon, telles des lames verdoyantes flottant dans un néant grisâtre. D’une soyeuse douceur swinguante, la mélodie que vous entendîtes passa à une pyrotechnie symphonique portant une voix elfique et théâtrale. Comme pour vous inciter à plonger dans le néant brumeux, cette voix répéta son incantation hypnotique « I get high, I get down ». Alors, attiré par ce chant de sirène soutenu par une féerie symphonique, vous plongez gaiement dans ce néant qui est la grande peur de l’homme.

Car la nature n’est pas la seule qui ait horreur du vide, même si les progressions harmoniques de « Close to the edge » compensent quelque peu la stérilité d’un décor morne. « L’amour est comme le brouillard du matin » disait Bukowsky, vous incitant ainsi à vous déduire qu’il s’évaporait de manière aussi soudaine et incompréhensible qu’il était apparu. Alors que la grisaille venait de vous mener à cette sombre réflexion, elle disparut rapidement pour laisser place à un ciel azuré. Votre chute se termina dans une eau douce, immersion de quelques secondes noyant vos ténèbres dans le son du silence. L’instinct de survie se montrant souvent plus fort que les élans morbides, les nécessités vitales obligèrent votre corps à s’extraire de ce silence asphyxiant.

Alors que vous n’aviez pas encore ouvert les yeux, vos oreilles savourent déjà la théâtralité baroque du « Supper’s ready » de Genesis. Sur la côte, vous apercevez les profils imposants de charismatiques conquérants anglais. Un peu plus loin, au milieu d’une ile située au milieu de cette eau douce , une femme en robe rouge et à tête de renard chante une mélopée romantique inspirée par une symphonie électrique, que vous dégustez avec le bonheur du nageur faisant la planche pour profiter de la douce chaleur du soleil.

« Walking accross the sitting room, I turn the television off, As the sound of motocar fade in the night time, I swear I saw your face change, it didn’t seem quite right, And its’ hello babe, with your guardian eyes so blue, Hey my baby , don’t you know your love is true »

Mais, alors que vous auriez voulu que cette volupté sonore ne s’arrête jamais, un froid aussi soudain que vif fit fuir aussi bien les fiers cavaliers, qu’une chanteuse au visage animalier semblant s’évaporer dans le bleu de l’horizon. Vous nagez alors vers les côtes, pour découvrir que des buildings trônent sur ces terres que vous pensiez inhabitées. Pour donner un fond sonore à la froideur du climat et à la laideur bétonnée de ces bâtiments, une glaciale mélodie synthétique prit la place de votre chère chaleur orchestrale. 

Progressivement, vous vous levez, votre nudité montrant une faiblesse absurde face à la résistance imposante de ces tours disgracieuses. Ce que vous entendez ne vous est pourtant pas inconnu, une certaine grandeur venue du passé nourrit la froideur ultra moderne de ces mélodies robotiques. La poésie, chant de l’innocence, survit paradoxalement malgré les morsures venimeuses de ces serpents d’acier que sont les synthétiseurs. Telle une enfance tardive, cette poésie prend les traits d’un enfant en costume de hussard vous toisant d’un regard plein de reproche. Et l’enfant se mit à chanter sur fond de musique aussi riche qu’entraînante, aussi froide que mélancolique, le chant de l’éden perdu de l’enfance.

« And it was morning, And i found myself mourning, For a childhood that I thought had disapear »

Puis les formes se mirent à se brouiller, les immeubles gondolaient avec la lascivité hypnotique de danseuses du ventre indiennes. Vous étiez en train de vous réveiller d’un rêve que vous n’auriez jamais voulu quitter. Vous relevant au milieu de cette chambre que vous n’étiez plus sûr de connaître, vous remarquez alors une porte arborant fièrement un soleil d’un marron sombre en guise de blason. N’en étant plus à une hallucination près, vous saisissez la poignée pour découvrir ce qu’il se cache derrière cet emblème. 

S’ouvre ainsi à vous un monde fait de plaines verdoyantes, une vaste forêt suédoise dans laquelle vous vous empressez de vous perdre. Comme sortie de l’écorce de ces arbres à la hauteur vertigineuse, la mélodie que vous entendez vous ramène aux fresques chaleureuses qui marquèrent le début de votre voyage. Gravée dans le bois de ces arbres centenaires, une inscription donnait un nom à cette renaissance d’une grandeur perdue. Le clavier de cette musique se fit plus grandiloquent lorsque, plantée au milieu de cette étendue verdoyante, la statue des trois visages illustrant l’album trilogie vous fit face, véritable version musicale des statues de l’ile de Pâques. 

Car le rock progressif, dont vous visitiez les paysages musicaux et artistiques, est depuis toujours une île merveilleuse menacée par les assauts du nihilisme. Änglagård fut le nom du progrès dans la tradition, le cri de guerre de musiciens armés de la lutherie et de l’inventivité insatiable de leurs aînés.

Aussi belle soit elle, cette mélodie baroque et champêtre eut dès le début la nostalgie des chants de deuil. Comme sorti du bois où il fut immergé, le triste soleil que vous vites sur la porte de ce monde imposa son visage torturé sur tous les trônes de cet Eden boisé. Cet emblème dégagea une chaleur de plus en plus forte, qui finit par mettre le feu à ces gigantesques piliers de l’architecture terrestre. Toujours aussi chaude, la musique que vous entendez a désormais la noirceur d’un requiem électrique, comme si quelqu’un voulait vous prévenir que ce rêve touchait à sa fin. 

Fuyant la fumée suffocante s’échappant des arbres calcinés, vous apercevez un feu de camp au milieu d’une espèce de jardin à l’herbe asséchée par le soleil. Pensant trouver là un guide, vous découvrez qu’un masque au visage endeuillé que les flammes dévorent progressivement. Comme annonciatrice des rêves à venir , la fumée de ce drôle de sacrifice vous monte à la tête pour vous annoncer les rêves à venir. Défilent ainsi devant vous les images évoquant les grands albums du renouveau progressif, la cabine téléphonique de « The sky move sideway » de Porcupine Tree, la galaxie de « Stardust we are… » de The Flower Kings

Ce renouveau ne fut invoqué que par une grandiose formule hors des âges : Änglagård 

mercredi 29 octobre 2025

PHENOMENA " Phenomena " first - same (1985), by Bruno



     Bon... période d'Halloween, article d'Halloween oblige. Peu ou prou. Cette fois-ci, point d'Alice Cooper, d'Iron Maiden ou de Black Sabbath, puisque ces trois là ont déjà pas mal investi ces colonnes. Mais un projet un peu particulier qui, à l'origine, devait associer un projet cinématographique à une œuvre musicale. Un concept-album. Rien à voir avec une quelconque comédie musicale, mais un long métrage fantastique, tournant autour d'une jeune fille découvrant et développant un incroyable pouvoir.
Si le film n'aboutit pas, le disque lui, est abouti. Et bien qu'évoluant dans une tonalité plutôt prisée par les groupes de Hard-FM, et sorti lors d'une période plutôt encline au heavy-metal, où les Saxon, Iron Maiden, Scorpions, Judas Priest, régnaient en maîtres sur l'Europe, et au-delà, ce « Phenomena » fut généralement bien accueilli par la presse et le public.

     L'instigateur de ce projet se nomme Tom Galley, et n'est autre que le frère de l'architecte du phénoménal – mais injustement occulté et oublié – Trapeze. Soit Mel Galley, qui a alors abandonné son groupe exsangue, pour rejoindre les rangs plus solides et rémunérateurs de Whitesnake. Pas vraiment un coup d' essai pour Tom, puisque, depuis des années déjà, il aide activement son frérot pour composer. Précisément depuis l'album « Medusa » de 1970, un classique, jusqu'à l'album éponyme de 1975.


   Pour concrétiser ce projet, Tom reçoit l'aide de Wilfried F. Rimensberger, rédacteur au sein du magazine allemand MusikSzene, passionné de Heavy-rock et consorts, qui a co-fondé depuis peu la revue Metal Hammer (plus de trois ans avant la première parution anglaise, mais devancé par les Français d'Enfer Magazine et, bien sûr et surtout, par Kerrang! qui est né en 1981).

     Évidemment, Mel est sollicité pour parfaire les morceaux, mais c'est Richard Bailey qui a le plus contribué à mettre en valeur la vision de Tom Galley. Bien que particulièrement actif de la fin des années 70 aux années 80, Richard Bailey (aucun rapport avec le Bailey's) n'évoque plus rien aujourd'hui, sinon pour les fans de Magnum, puisqu'il fut le claviériste et flûtiste des deux premiers opus du groupe et de leur premier et excellent live, « Marauder ». On le retrouve ensuite avec Bernie Marsden pour les éphémères S.O.S. et Alaska, et en tournée avec Whitesnake (au moment où Jon Lord lâche Coverdale pour une résurrection du Mark II), et aussi auparavant, pour les deux dernières années d'existence de Trapeze. Il sera le dernier claviériste de Whitesnake, avant que Coverdale ne recentre son groupe essentiellement sur les guitares (1).

     Forcément, la forte participation de Bailey impose à cet album une omnipotence de claviers. Principalement du synthé... ce qui le classe dans une certaine modernité, et une sophistication certaine, bien plus en phase avec l'AOR développée alors aux USA (notamment avec Journey, Balance, Aldo Nova, Kansas) qu'avec le plus timide des groupes de la NWOBHM. Étonnamment, cela n'entrava pas trop le succès d'un album difficile à situer. À l'opposé de la tendance générale de l'époque en matière de heavy-rock européen.

     Il est probable que la liste dorée des musiciens conviés ait éveillé la curiosité, et l'intérêt, du chaland, puisqu'on y retrouve, outre donc Mel Galley et Richard Bailey, Ted McKenna, ex-Sensational Alex Harvey Band et Rory Gallagher et actuel batteur de MSG, le guitariste de Budgie, John Thomas, le bassiste blond à bouclettes Neil Murray, fidèle de Gary Moore et de Whitesnake, Don Airey (Colloseum II, Cozy Powell, Strife, Gary Moore, Rainbow, Michael Schenker Group), et le cogneur Cozy Powell. Que du beau monde. Mais c'est probablement la présence du bassiste-chanteur Glenn Hughes qui doit générer l’irrépressible envie de prêter une esgourde curieuse à cet album. D'autant que depuis quelques semaines, « Still the Night » s'installe confortablement sur les ondes européennes, et même outre Atlantique. Une chanson signée "Glenn-Hughes et Pat Thrall", à l'origine une version plus brute destinée au second essai jamais arrivé à terme de Hughes & Thrall.

     À cause de ses addictions, l'handicapant durant toute cette décennie, la carrière de Hughes est des plus chaotiques. Au point où il commençait à se faire suffisamment rare pour qu'on doute qu'il puisse un jour remonter la pente. Pourtant, durant ces temps difficiles, à chaque fois qu'il s'est impliqué dans un nouveau projet, il s'est montré impérial. Que ce soit avec Hughes & Thrall, avec Gary Moore (sur « Run for Cover » où il joue de la basse sur cinq morceaux et chante sur quatre), avec Black Sabbath de Tony Iommi (sur « Seventh Star »). Et donc sur cet album-concept où sa prestation est tout simplement remarquable. Au point où - parfois à lui seul, ou presque -, il extirpe quelques chansons d'un relatif académisme. 


     D'ailleurs, c'est un peu amusant ces histoires d'entités démoniaques, d'apocalypse infernale, d'envoûtement diabolique, mariées à une musique habituellement plutôt porteuse de banalités sentimentales. De sombres sujets sur une musique relativement légère et policée, radio friendly. Une musique qui serait une rencontre entre Asia (2) avec le Aldo Nova de "Subject" et Zebra (alors à son sommet). Une forme de rock-progressif FM, sublimé par la voix intense de Hughes. Cependant, bien que de prime abord la musique emprunte souvent des cadences guillerettes, chères au Rock FM, il y a quelque chose de sombre, de moite et de funeste qui perle au détour d'un break ou d'un refrain. L'atmosphère générale est d'ailleurs bien éloignée d'un soleil californien, se déployant dans un 
crépuscule halitueux, pré-orageux, chargé de nuages de couleur anthracite et pourpre. Sur "Dance With the Devil", c'est le violon de Ric Sanders - futur membre de Fairport Convention - qui mène la danse, entraînant la troupe dans une cèilidh ensorcelante, où farfadets, lutins espiègles et trolls se mêlent à la troupe. "Formez un cercle, rejoignez la ligne. Les esprits de la nuit battent le rythme. Le violon de Satan frappe l'archet. Commence la danse. Face à face avec le destin, ils laissent libre cours à leurs rêves les plus fous. L'extase remplit leur esprit. Ils sont damnés jusqu'à la fin des temps... Ils ont vendu leur âme, esclaves de Stan. Maintenant le diable doit être payé. La musique les tient sous son charme, ils danseront bientôt en enfer"

"Hell on Wings" galope comme une pièce enlevé de Honeymoon Suite ou de Loverboy, avec en sus des duos de guitares à la Wishbone Ash, mais les paroles semblent avoir été subtilisées à Black Sabbath ou à Venom "Voici maintenant le Roi des Ténèbres, le gardien de la flamme éternelle. Le faucheur est de sortie, collectant les âmes. À jamais, les damnés pleurent en vain". Tandis que "Kiss of Fire" a bien des allures du "Gambler" du Serpent Blanc, co-composé par Mel Galley. Toutefois, généralement, Bailey s'active pour créer une ambiance onirique où se fondent tous les possibles. Forçant les guitares à agir de concert, à faire corps pour ne pas briser une atmosphère fantasmagorique.

     Le disque a suffisamment de succès pour que la maison de disques insiste pour une suite. Ce sera fait deux années plus tard avec "Phenomena II : Dream Runner". Malheureusement, Hughes n'a plus la forme et John Wetton le remplace sur plus de la moitié de l'album. La qualité s'en ressent, Wetton ne parvenant pas à égaler la sensibilité à fleur de peau de Hughes.


     À la même époque, les salles obscures projettent le nouveau film du frappa-dingue Italien au regard de maboul, Dario Argento. Par un pur hasard, il porte le même nom que le projet de Galley, « Phenomena ». Coïncidence supplémentaire, le film narre aussi une histoire où une jeune fille – interprétée par Jennifer Connely, dont c'est la seconde apparition à l'écran - se découvre des pouvoirs, qu'elle peine à identifier, à comprendre et à utiliser à bon escient. La confusion entre ce film et le disque qu'on prend rapidement pour sa bande originale est vite faite. D'autant plus qu'au milieu de morceaux de Goblin, - le groupe italien de rock progressif protégé d'Argento, apportant alors leur contribution à la plupart de ses films, souvent pour le thème principal -, on retrouve deux pièces de heavy-metal pur et dur. Une d'Iron Maiden et une de Motörhead. Pourtant, sur l'album, la jeune fille est peu évoquée. Dans le coma, elle développe un lien télépathique avec son paternel qui partage, alors des expériences surnaturelles liées à un proche avènement d'un ou plusieurs seigneurs des Enfers. L'histoire éternelle traitée à toutes les sauces du perpétuel combat des forces de la Lumière contre celles de l'obscurité.


(1) Des claviers additionnels, assurés notamment par Don Airey et David Rosenthal, sont tolérés sur « Slip of the Tongue », puis reviennent temporairement en 2008 pour « Good to be Bad ».

(2) D'ailleurs John Wetton sera convié pour la deuxième fournée, remplaçant, en partie Glenn Hughes. Sans l'égaler. 



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Article lié
💢 avec Mel Galley / TRAPEZE :  " You are the Music ... We're just the Band " (1972)
💢 avec Glenn HUGHES"Resonate" (2016)  👉   CALIFORNIA BREED (2014)  👉  "Hughes & Thrall" (1982)
💢 avec Glenn Hughes / DEEP PURPLE : " Burn " (1974)  👉  " Stormbringer " (1974)  👉  " Come Taste the Band " (1975)  
💢 Avec Glenn Hughes / Black Country Communion (liens) : 👉  Black Country Communion " (2010)  👉  BCC IV " (2017)  👉  " V " (2024)

mardi 28 octobre 2025

FRANCIS LALANNE - Francis Lalanne (troisième album 1981) - par Pat Slade


Ses quatre premiers albums seront la genèse qui fera de lui un grand de la chanson française à texte.



Toujours à l'air libre.





Vous allez me demander, pourquoi deux pochettes ? La première est l’original de 1981 tandis que la seconde est la réédition de 1983 et elle plus difficile à trouver. Ceci dit, il reste dans ses meilleurs albums. Avant de devenir un C……D, il était la coqueluche des adolescentes qui recherchaient un chanteur qui exprimait ce qu’elles ressentaient, soit de la poésie et des musiques pas trop agressive. Avant que tout ne parte en cacahuète, il fera quatre premiers  très bons albums. Jusqu’en 1986 après ”Mai 86“ (j’étais au Palais des Sport de Paris quand il a sorti l’album) date où il partira dans des délires mégalomaniaques. Même si certains de ses morceaux restent dans la veine de ce qu’il écrivait avant, certains morceaux sont très limites comme ”Va T'Faire Avorter Ma Mignonne“ en 1990. J’avais déjà chroniqué ses deux premiers albums et ses deux premiers live, je continue avec le troisième qui serait, auprès des fans, considéré comme une compilation de ses titres les plus connus. Il ne faut pas croire qu’il n’a chanté que ”On se retrouvera“ et qui de loin n’est pas son meilleur morceau, il faut ouvrir un peut ses cages à miel.

Toi Mon Vieux Copain Une musique d’orgue de barbarie qui raconte cette histoire de souvenirs nostalgiques de deux copains que la vie a séparés. Nous sommes beaucoup à nous reconnaitre dans cette chanson, moi le premier, mon meilleur ami (55 ans d’amitié est en province et je suis à Paris et nous nous sommes perdus de vue depuis quelques années). Des Mains De Chômeur“ un peu plus de rythme, un peu plus de rock avec un thème qui à notre époque est toujours d’actualité. ”Si Tu Te Moques D'un Mec Qui Pleure“ : Une superbe chanson dans un style réaliste avec un duo voix - accordéon. L’histoire d’une fille qui fait souffrir les gars. ”Mélissandre“ : une jolie ballade sur une histoire d’amour. ”Le Champignon Nucléaire“ le même rythme d’un bout à l’autre de la chanson, pour en savoir le contenu, il suffit de lire le titre.

Berceuse Pour Un Enfant De Banlieue“ : Très beau titre, une jolie ballade avec guitare et orchestre à cordes qui sonne comme du Maxime le Forestier à l’époque de l'album ”Saltimbanque“ en 1975. ”Pleure Un Bon Coup Ma P'tite Véro“ : La chanson en live est un grand moment (à écouter sur le live à Pantin). ”Que La Vie Est Triste (A Caki Morin) “ J’ai cherché qui était Caki Morin mais je n’ai rien trouvé. Encore un grand titre, Francis Lalanne était un grand parolier il savait raconter le quotidien avec des mots ou son public pouvaient se reconnaitre.

Il est dommage que ses quatre premiers albums n’aient pas eu le succès escompté à leur sortie, le second album proposait des chef-d’œuvre comme ”La plus belle fois qu’on m’a dit je t’aime“ ou ”J’ai pas trouvé la fille qui me fermera les yeux“ avec sa superbe orchestration. Si les maisons d’édition étaient intelligentes elles devraient faire un coffret des rééditions des quatre premiers albums, le coffret de la genèse en quelque sorte (Il existe en CD mais pas en vinyle). Le chanteur babacool au cuissarde qui plaisait aux ados prépubères est malheureusement devenue un vieil aigri conspirationniste.