On a déjà évoqué ici le
réalisateur Jacques Tourneur, à travers ses Films Noirs ou
d’épouvante. L’HOMME LÉOPARD se situe dans la deuxième
catégorie, le dernier film de la trilogie
produite par Val Lewton. Petit rappel des faits, les deux hommes ont
mis au point une recette simple, efficace, des films courts, pas
chers, angoissants, exotiques. Le premier était LA FÉLINE (1942),
qui avait généré un bénéfice de presque dix fois son budget, le
champ’ avait coulé à la RKO dont les comptes étaient dans le
rouge.
Comme on ne change pas une équipe qui gagne, les deux compères
sortent coup sur coup VAUDOU et L’HOMME LÉOPARD (1943) utilisant
les mêmes recettes. Sauf que des trois, ce LEOPARD MAN est le plus faible, le talent de Tourneur n’y éclate
qu’avec parcimonie, la faute à un scénario un peu neuneu et
prévisible.
L’action se passe au Nouveau Mexique. Jacques Tourneur
aimait ces histoires qui confrontaient deux cultures, aimait plonger
ses héroïnes dans un contexte étranger, la meilleure démonstration
étant l’infirmière de VAUDOU confrontée aux rites haïtiens.
Bon, sauf qu’ici, de Los Angeles au Mexique, il n’y a qu’un
pas.
Kiki
Walker, une danseuse, accepte l’idée un peu stupide de son
impresario Jerry Manning de faire son numéro avec un léopard, qu’il
a loué pour 10 dollars à un cirque ambulant. C’est un fiasco. Le
fauve apeuré par le public et l’horrible son des castagnettes se
fait la malle. Dans les jours qui suivent, plusieurs jeunes femmes
sont retrouvées mortes, déchiquetées par les griffes d’un
félin…
Le son des castagnettes, et ce dès le générique, va
rythmer le film, amenant cet élément exotique et finalement
angoissant : première bonne idée. Comme lorsque Jerry Manning
provoque les cris hystériques de Kiki et de son habilleuse, en
arrivant dans sa loge avec la panthère en laisse. Un plan qui
renvoie bien sûr à LA FÉLINE, qui le parodie presque puisque
l’effet recherché ici est le comique et non l’horreur.
Les
premières tensions arrivent avec la rivalité entre Kiki et Clo-Clo,
une danseuse mexicaine (la joueuse de castagnettes). Superbe scène
lorsqu’elle est alpaguée en rentrant chez elle par une tireuse de
cartes, dont on ne voit que les mains sortir du noir, brandir un as
de pique. Tourneur introduit des éléments de superstition. Il y a
aussi ce gamin qui pour effrayer sa grande sœur Teresa, reproduit au
mur, en ombre chinoise, le profil d’un léopard. Ce qui nous amène
à la première mort violente du film, Teresa, partie chercher de la
farine (en pleine nuit naturellement).
Et qui a évidement peur du noir. Sur le chemin du retour, elle doit
passer sous un pont de chemin de fer, plongé dans l’obscurité.
L’art de Tourneur est dans toute cette scène où le danger n’est
que suggéré : l’obscurité, Teresa semble aspirée par la
nuit, le silence juste ponctué par le son des gouttes d’eau qui
tombent dans un égout, les reflets fantomatiques de l’eau projetés
dans le tunnel, le bruit assourdissant d’un train qui
passe au dessus, puis les deux yeux du léopard qui brillent dans le
noir. Superbe !
La mort de la fillette restera hors champ, juste des cris, des coups tambourinés à la porte, celle de la maison de
Teresa, dont sa mère n'arrive pas débloquer le loquet, et un filet de sang... Tourneur
joue beaucoup avec les ombres, les
éléments baroques, les décors surchargés, les
plantes luxuriantes en amorce.
La suite de l’intrigue tient du polar. D’autres jeunes
femmes trouveront la mort dans des circonstances analogues, et Jerry
Manning commence à croire que l’agresseur n’est peut être pas
le fauve du cirque…
C’est là où ça coince. L’enquête du
shérif est ni faite ni à faire. C’est l’impresario Manning et
la danseuse Kiki qui s’y collent (à cause des remords ?), avec
l’aide d’un spécialiste des fauves, le directeur du musée
local. Il y a trois malheureux suspects dans l’histoire,
l’une sera tuée, l’autre a une bonne tête d’innocent, donc
bonne pioche pour le troisième ! Le dénouement est assez
prévisible, et la justification de l’affaire est franchement capillotractée (tirée
par les cheveux). Résumée ainsi par Manning en regardant une
fontaine dont le jet d’eau fait rebondir une balle : « Les
gens sont bousculés par des choses qui les dépassent »
(faisant donc référence à la baballe ballottée, c'est un peu court, jeune homme, on pouvait dire bien des choses...).
On retiendra une
belle scène dans un cimetière (non mais franchement les filles,
donner rendez-vous à son flirt dans un cimetière, à la tombée de
la nuit ?!) où Tourneur joue sur le bruissement des arbres, le
craquement d’une branche, l’écho d’une voix, un labyrinthe de
buissons. Plus tard, le son qui monte crescendo des castagnettes lors
du troisième meurtre, et bien sûr la scène finale avec la procession
de pénitents en habits noirs et chapeaux à pointe.
Jacques Tourneur lui même était
conscient du manque de profondeur de son scénario, « une série
de vignettes qui ne tenaient pas ensemble ». On retiendra de
Tourneur l’art de la suggestion, de savoir appliquer l’adage less
is more (vu l’étroitesse des budgets il n’avait pas trop le
choix), le travail sur le son, le fait qu’encore une fois ce
sont les femmes qui tiennent l’affiche. Par contre, les personnages
ne valent pas un clou, et l’interprétation ne brille pas
spécialement.
Du triptyque fantastique, L’HOMME LÉOPARD est le
plus faible, avec quelques bons moments tout de même,
malheureusement situés dans le premier tiers du film.
- C'est bizarre Claude, le nom de George Enescu (on prononce enescou je
crois) ne m'est pas inconnu contrairement à ceux de tes compositeurs
scandinaves aux patronymes imprononçables, hihi… Un grand violoniste je
crois… et aussi compositeur apparemment !
- Oui Sonia un virtuose de l'archet, le professeur de Yehudi Menuhin
entre autres… Il est moins connu comme compositeur. Je n'avais qu'un
enregistrement d'une symphonie sur vinyle, un pressage roumain pourri…
- En préparant le billet, j'ai remarqué une discographie assez fournie
de cet octuor, souvent associé à celui archi connu de Mendelssohn…
- En fait, j'ai découvert cette œuvre récemment (un cadeau de Noël de
places de concert avec ce chef d'œuvre dont j'ignorais
l'existence).
- Il y a un CD tout juste sorti d'un courrier sur ton bureau ! Gidon
Kremer, encore lui, et pourtant tu vas nous parler d'une autre
violoniste, Vilde Frang, pour la première fois d'ailleurs…
- Gidon Kremer a complété son disque avec une autre œuvre d'Enescu,
d'où cet achat… Il bénéficie déjà de nombreuses chroniques… Place à la
nouvelle génération…
George Enescu (1881-1955)
Luc n'en loupe pas une ! Pat non plus ! En voyant sur la
pochette la crinière blonde et le charme de
Vilde Frang, ils m'ont chambré sur le thème "Hilary Hahna été remplacée dans ton cœur de mélomane par une jeunette ?
😊". Pas drôle !
Hilary
est à peine plus âgée que sa rivale norvégienne d'un talent tout aussi
exceptionnel et parfois plus aventureuse dans ses choix discographiques.
Quels marioles machistes ces deux-là ! Bref…
On s'interroge en examinant sur une carte le voisinage historique de la
Roumanie avec la Hongrie et l'ex Tchécoslovaquie (la Bohème-Moravie et
sa capitale Prague). Pourquoi ce pays ne m'inspire que deux noms
relativement célèbres, le compositeur
George Enescu
qui fait son entrée dans le Blog et le maestro ronchon mais génial
Sergiu Celibidache. Ce dernier a été écouté dans la
symphonie N°4
de
Bruckner – son compositeur fétiche – et dans Milhaud (Index).
J'ai consulté le web via diverses occurrences pour chercher des concurrents
au violoniste et compositeur natif des Carpates et ignoré de nos contrées,
ce ne serait pas un scoop, j'avoue que la moisson est maigre. Inversement,
il semble que le folklore de cette région ait influencé des confrères comme
Bartók,
Kodály,
Janáček,
Szymanowski
ou même
Chostakovitch. On en déduit que l'art et les recherches d'Enescu
peuvent apparaître comme un trait d'union entre les traditions slaves et
austro-hongroises.
En survolant la carrière d'Enescu né à Bucarest en 1881 on se permettra d'affirmer qu'Enescu
est un homme dont l'espace vitale et créatif s'étend à toute l'Europe et pas
uniquement à son pays d'origine. Fils d'agriculteur dans une région de
Moravie à la vie rude (il sera l'unique survivant adulte d'une fratrie de
huit gosses), son père, chanteur en choral, repère les dons du fiston et lui
fait apprendre le violon dès ses quatre ans par un virtuose tzigane. Tous
les tziganes jouent du violon, bien ou faux, usant de techniques de jeu
disons... très personnelles et parfoisfrénétiques, des gammes modales locales, mais ils naissent avec un violon
dans le berceau. 😊 "Tzigane" de Ravel
est un hommage d'une virtuosité redoutable à cette culture "Rom" du violon.
Le père confie son fils au compositeur roumain encore mal connu Eduard Caudella
qui complète sa formation, mais surtout envoie le petit Georgeà Vienne de 1888 à 1894. Pris en main par des professeurs réputés, Robert Fuchs
en classe de composition et Joseph Hellmesberger
pour perfectionner son jeu de violon. Eduard Caudella
était un ancien élève du virtuose et compositeur belge Henri Vieuxtemps(Clic). Parti de son village douze ans plus tôt, Enescu
donne déjà des concerts devant un public viennois admiratif du jeune prodige
préadolescent…
André Gedalge (1856-1926)
Paris 1895. Après cet enrichissant et formateur séjour à Vienne,
George Enescu
s'installe dans notre capitale. La France va traverser l'une de ses périodes
les plus dynamiques et novatrices de création artistique, citons, rien que
pour la peinture : l'impressionnisme, puis le fauvisme, le cubisme, etc..
Debussy,
Ravel,
Fauré,
Chausson, et quelques autres révolutionnent l'univers musical englué au XIXème
siècle dans une surproduction d'opéras ou d'opérettes d'intérêts variés et
souvent oubliables. Ne négligeons pas quelques belles productions de
Gounod
et de
Massenet.
Jusqu'à sa majorité,
Enescu
fréquente Le Conservatoire supérieur où il étudie la composition avec
Massenet
et
Fauré
et le
contrepoint
avec
André Gedalge*
– dédicataire du futur octuor – et le violon avec
Martin-Pierre Marsick,
virtuose belge à qui l'on doit un arrangement en solo de la
méditation de Thaïs. Parallèlement à ce travail estudiantin,
Enescu
compose pour divers genres notamment pour l'orchestre :
quatre symphonies
"d'école", le
Poème Roumain
créé au Châtelet, son opus 1, une
1ère symphonie
et une
suite orchestrale
jouée à New-York par
Gustav Mahler
lui-même vers 1909. L'influence de ces maitres tant dans ces premiers
ouvrages que la musique de chambre et les mélodies est patente.
À partir de 1909,
George Enescu
partage son destin entre la Roumanie et la France, sans compter des voyages
en Europe et en Russie. (Pendant la Grande Guerre, la Roumanie est neutre
puis rejoindra l'Entente. Il y résidera pendant ce conflit.) La paix
revenue, il séjourne à Paris, à Meudon, en Roumanie et même partira un temps
outre-Atlantique…
Son activité de chef d'orchestre rivalisera avec celle de violoniste
virtuose qui lui permettra de se produire avec le gotha des chefs du XXème
siècle de l'entre-deux Guerres :
Stokowski,
Pierre Monteux,
RichardStrauss, Paul Paray…
Enescu
l'hyperactif…
Il y aura la parenthèse douloureuse de la seconde guerre mondiale.
Enescu
ne peut quitter la Roumanie alliée de l'Axe et sous la coupe des dictateurs
Mihai et Ion Antonescu (brutes sans lien de parenté),
nationalistes, pronazis et antisémites. Loin de s'isoler, il compose
intensément et se passionne pour la musique contemporaine, notamment celle
de
Constantin Silvestri, mieux connu comme chef d'orchestre.
Yehudi Menuhin à 12 ans
En 1945, il retrouve les salles européennes et les concerts et
intensifie ses fonctions pédagogiques. Citons quelques violonistes illustres
qu'il guidera vers la postérité :
Ivry Gitlis,
Arthur Grumiaux,
Michel Schwalbé,
Christian Ferras, ces deux derniers occuperont l'un le poste de 1er violon de la
philharmonie de Berlin
et l'autre l'un des solistes de prédilection du maestro
Herbert von Karajan… Et comment ne pas parler de
Yehudi Menuhin, dont
Enescu
sera le professeur, le mentor, l'ami à qui l'on doit tout. Le maître et
l'adolescent de 16 ans graveront entre autres
le double concerto
de
Bach
en 1932… les deux violonistes étant accompagnés par
Pierre Monteux. (Somptueux d'émotion et d'élégance par la complicité, il est facile de
s'affranchir de l'âge de la gravure.)
Curieusement, malgré un catalogue imposant,
Enescu
reste de nos jours éclipsé et rarement inscrit aux programmes des concerts.
La discographie semble de plus en plus exhaustive et rend hommage à ce
musicien humaniste disparu en 1955, à Paris. Il repose au
Père-Lachaise. Enescu ne s'inscrivit jamais comme compositeur dans un courant dogmatique à
la mode tel le sérialisme... d'où après sa disparition cette défaveur du public accentuée par le dédain des critiques résumant son
héritage à celui un génial virtuose de l'archet. J'entends dans sa musique
les échos d'un style postromantique tardif mais éclairé, influencé par le
folk traditionnel des Carpates et de la culture tzigane...
(*) André Gedalge :encore un compositeur complètement ostracisé et à la discographie
inexistante.
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Vilde Frang
Évoquer l'octuor à cordes suggère en premier lieu celui juvénile et
enflammé de
Felix Mendelssohn composé en 1825, le jeune compositeur très précoce n'ayant que seize
ans ! Dans ce bijou de vitalité,
Felix
utilise l'effectif (2 violons I, 2 violons II, 2 altos et
2 violoncelles) tel un orchestre de chambre à cordes, le premier violon
a un rôle de soliste, ce qui rapproche l'ouvrage d'un concerto pour violon
et cordes…
George Enescu
fera l'inverse, l'ensemble étant exploité à la manière d'un orchestre
symphonique à cordes classique, il existe une transcription pour un effectif
plus vaste. J'y reviendrai…
Le recours à cette formation n'a eu lieu que cinq fois dans le grand
répertoire, chronologiquement :
Felix Mendelssohn, Niels Gade (1886), George Enescu, Max Bruch, (1920-1996) et plus récemment, Airat Ichmouratov
a composé un octuor inspiré d'une nouvelle de Stefan Zweig "Lettre à une inconnue", une œuvre bouleversante de 2017(Clic).
Les premières mesures sont jetées sur le papier vers 1900.
George Enescu
n'a que quinze ans, comme son ancêtre du romantisme,
Mendelssohn. Lors de sa composition de l'octuor,
Enescu
a vu grand en envisageant une durée de quarante minutes pour sa partition.
Malgré ses dons innés, il travaillera donc avec lenteur en désirant
s'affranchir des formes d'écritures classiques. Laissons l'auteur témoigner
: "Je me suis épuisé à essayer de composer une œuvre musicale divisée en
quatre segments d'une longueur telle que chacun d'eux risquait de se
briser à tout moment. Un ingénieur lançant son premier pont suspendu
au-dessus d'une rivière ne pouvait ressentir plus d'anxiété que moi
lorsque je me suis mis à noircir mon papier." Il faudra attendre 1909 pour que la première ait lieu à Paris
interprétée par l'association de deux des meilleurs quatuors de l'époque
sous la direction du compositeur…
Orchestre Tzigane en 1870
Le programme a priori traditionnel en quatre mouvements est trompeur.
Enescu
a conçu en apparence son
octuor
à la manière d'un quatuor ou d'une symphonie, mais l'enchaînement des quatre
parties se combine en une forme sonate globale voire unique ! De
manière académique, chaque mouvement devrait posséder 3 à 4 thèmes
principaux exploités dans une succession de type
A(1&2)-B(3/4)-A en reprise et coda. Ce qui n'exclut en rien une facture légèrement contrapuntique et quelques
variations pour égayer le flot mélodique. Or,
Enescu
use dans chaque partie d'un jeu thématique très libre réparti sans la
rigueur spécifiée ci-dessus.
L'œuvre adopte la forme d'un grand allegro-sonate rappelant un poème
symphonique. On dénombre de manière subjective une petite douzaine de motifs
thématiques dont 7 dans le mouvement introductif… En ce début de siècle, le
jeune
Enescu
ouvrait la porte à de nouvelles techniques de composition complémentaires à
celles du XIXème siècle.
Bartók
ou
Debussy
et
R. Strauss
faisaient de même…
Notre violoniste maître du jeu dans cet octuor qui se joue sans chef a vu
le jour en Norvège en 1986 à Oslo. Enfant surdouée,
Vilde Frang
étudie dans son pays et dès l’âge de douze ans elle se produit avec l’orchestre d’Oslo alors dirigé d’une baguette virtuose par
Mariss Jansons !
La suite de sa carrière est exceptionnelle, enchaînant les concerts avec le
hit des orchestres européens. En 2012,
Vilde Frang
connaît la consécration en jouant à Lucerne accompagnée par l’orchestre philharmonique de Vienne
dirigée par
Bernard Haitink ! Elle interprétait le concerto de
Sibelius (œuvre redoutable avec laquelle
Hilary Hahn
avait débuté à 15 ans à Munich en complicité avec
Lorin Maazel). Les camarades de concerts de musique de chambre de
Vilde Frang
sont
Gidon Kremer
et
Yuri Bashmet,
Martha Argerich,
Renaud Capuçon
et
Gautier Capuçon
au Festival de Chambéry, ainsi que
Leif Ove Andsnes
et
Truls Mørk
en Norvège. Les connaisseurs apprécieront 😊.
Pour interpréter cet octuor d’Enescu,
Vilde Frang
s’est entourée d’instrumentistes internationaux (voir sur le web) :
Violons :
Erik Schumann,
Gabriel LeMagadure,
Rosanne Philippens ; Altos :
Lawrence Power,
Lily Francis ; Violoncelles :
Jan-Erik Gustafsson,
Nicolas Altstaedt.
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Aparté : Les populations Rom au mode vie non sédentaire auront à subir l'horreur
des exterminations des nazis et de leurs alliés comme la Hongrie et la
Roumanie. Ils seront les cobayes favoris de Joseph Mengele, le médecin
diabolique d'Auschwitz, notamment les petits jumeaux. Fermons cette
terrifiante parenthèse en précisant que dans l'actuelle Slovaquie, un
demi-million de Roms sont maltraités dans des ghettos 😥. En France, la terminologie administrative "gens du voyage" désigne
plusieurs groupes itinérants socialement mal définis dont seulement 15 %
de Roms.) Revenons vite à l'octuor en une époque où les Roms vivaient plus heureux
même si modestement…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Illustration recette cuisine 1905 😋
1 - Très modéré : [0:00]
Analyser la composition est un défi franchement vain à l'écoute d'un récit
musical qui semble couler de source, se nourrir d'airs populaires et
bucoliques ; n'essayons donc pas de percer les énigmes de solfège pointu
dispersées par
Enescu
dans sa
partition.. De la première section jaillit un motif ample et élégiaque. Rien
d'étrange que la ligne mélodique me fasse songer à
Dvorak, notamment aux derniers quatuors. Chez les deux hommes nés dans des
village ruraux, le désir de transcrire chansons et musiques festives de
Slovaquie, de Hongrie ou des Carpates si proches trouve sa logique dans la
présence
ethnique tzigane importante
dans ces régions.
[0:50] Après un tutti en accord ff, la seconde section prolonge
sans les altos l'élégante chorégraphie introductive tout en évoluant vers
un dialogue plus concertant. Elle se développe avec alacrité, échappant
petit à petit à la nonchalance. |2:34] Changement d’ambiance pour un flot
mélodique accelerando et vigoureux dérivé du motif initial… Un léger
staccato-trille du 1er violoncelle marque le rythme.
|3:49] Nouvelle section… et je ne détaille plus car la partition est du
domaine des pros. Comme écrit plus haut, la thématique varie sans cesse,
enchante par son lyrisme, les intermèdes évitent les ruptures nettes au
bénéfice de brèves transitions poétiques… Ainsi à [4:50] surgissent des
pizzicati affirmés au violon, on ne les entendra plus… [6:19] Le style
dansant s’interrompt pour décliner une mélodie gracile. Ce n’est pas un
virage dans le mouvement mais juste une réflexion onirique. Les
métamorphoses cantabilées se succéderont de manière indécise… [9:46]
Est-ce le début d’une section conclusive mêlant le motif de début et une
tendre coda agrémentée de pizzicati malicieux.
Les forts en lecture de partition constateront le nombre impressionnant
d'indications : des impératifs comme :
cédez, subitement, serrez toujours, etc. plus explicites que les notations usuelles...
2 - Très fougueux (mi majeur) : L’annotation Très fougueux se
comprendra tel Allegro furioso. On retrouve le principe du conflit entre motifs exaltés et ardents.
Est-ce un scherzo au sens strict ? Difficile à dire nonobstant que l’on
distingue trois sections plus délimitées que précédemment… La première
associe une ligne mélodique au cordes aiguës et un staccato rugueux aux
violoncelles et alto II. [2:49] La seconde en forme de trio anxiogène et
guerrier nous évoque la férocité d’un
Bartok. [3:59] Enfin, quelques glissandi prémonitoires des recherches de
Ligeti
débutent une étrange conclusion épique associant mélodies et marche
soldatesque…
3 - Lentement : Après l’ouragan du "scherzo"
Enescu
ouvre ses pensées de jeunesse. Poésie et lyrisme nous entraînent vers les
forêts des Carpates (une simple métaphore de mon imagination). La tendresse
est au rendez-vous pendant toute la durée du morceau, oscillante et
passionnée.
Lawrence Foster
4 - Mouvement de valse bien rythmée : La valse est l'une des danses communes à toute l'Europe. Excellente
idée du compositeur d'achever son octuor de cette manière et non par un
traditionnel allegro ou rondo sophistiqué… Quel peps ! Sur ce rythme à trois
temps
Enescu
conclut une œuvre qui ne nie en rien sa modernité de façon amusante et
surtout en confirmant son attachement à une culture de terroir et d'une
grande liberté compositionnelle. Et puis une valse en débutant à Vienne,
voilà qui est incontournable 😃.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Enescu
avait sans aucun doute souhaité que son octuor soit transcrit pour un
orchestre à cordes plus étoffé. Le chef d'orchestre américain
Karl Krueger
(1894-1979) le sollicita pour qu'une telle adaptation voit le jour, ce qui
fut fait en 1950. Néanmoins, le compositeur, pour ne pas trahir
l'esprit concertant de l'octuor écrit dans ses jeunes années imposa une
règle : "Cette œuvre peut être jouée avec un orchestre à cordes complet, à
condition que certains passages chantants soient confiés
à des solistes. Je laisse au chef d'orchestre le soin de décider
quels passages seront joués en solo."
Je vous propose en complément une interprétation d'une superbe beauté
plastique, celle de
Lawrence Foster
à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Monte Carlo.
Une gravure de 2009. Bien entendu, on ne retrouve pas la nervosité
de l'octuor, le récit prend un ton romantique de belle facture…
Et pour écouter les gratoullis des années 30 ; Yehudi Menuhin et George Enescu dans le concerto de
Bach...
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que
conseillée.
Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la
musique…
INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool.
Il y a des gars, comme ça, qui en dépit d'un riche parcours parsemé d'anecdotes et de rencontres, d'infortunes et de succès, ont toujours gardé la tête froide. Louis Joseph Walker Jr. était de ceux-là.
Né à San Francisco un 25 décembre 1949, le jeune Louis s'initie à la musique grâce aux disques de Blues de son père (un adepte du Blues animal de Howlin' Wolf), puis grâce à sa grand-mère qui l'intègre à la chorale de la congrégation pour chanter le Gospel. A huit ans, il commence son apprentissage à la guitare. Après quoi, il ne tarde pas à faire ses premiers pas avec les cousins et le voisinage.
A seize ans, il quitte le domicile familial (1) et doit se débrouiller pour gagner sa croûte, sans pour autant lâcher la musique, ce Blues chevillé au corps. Et déjà, dans la seconde moitié des années soixante, en se produisant régulièrement avec quelques formations dans les clubs de San Francisco et d'Oakland, il gagne une petite réputation scénique. Une mince notoriété mais suffisante pour jouer ou ouvrir (avec "son" groupe) pour Steve Miller Band, John Mayall, John Lee Hooker, Otis Rush, Muddy Water, JJ Malone, Thelonious Monk, Earl Hooker, et même Jimi Hendrix. En 1968, il fait la connaissance de Mike Bloomfield, qui va devenir son ami et mentor. Bloomfield sera comme un grand-frère prévenant, et tout deux partageront même un appartement pendant près d'une année. Bloomfield lui présente Charlie Musselwhite qu'il va accompagner en tournée au début des années 70. Ce qui lui permet de se produire pour la première fois, hors de la Californie.
Cependant, il finit par déchanter. La vie nocturne, les groupes sans lendemain, le fait de rester dans l'ombre de ceux qu'il accompagne, l'insécurité financière, et puis la déchéance de Mike Bloomfield, accro à l'héro, l'incitent à quitter la musique. Et en 1975, à 26 ans, il reprend des études(il finira diplômé d'Anglais et de Musique). Toutefois, bien que suivant scrupuleusement les cours, il ne peut réprimer son besoin viscéral de communier avec la musique. Une reprise qui le ramène à son enfance, en intégrant un groupe Gospel. En 1980, avec la formation The Corinthians, il enregistre l'album "God Will Provide" (album obscur, sorti sur un label qui l'est tout autant - introuvable).
Ce n'est que quelques années plus tard, - la légende raconte que ce serait à la suite d'une prestation au New Orleans Jazz Fest -, que le démon du Blues l'étreint à nouveau. Sauf que désormais, le leader c'est lui. Ses prestations remarquées et saluées, avec son groupe, les Bosstalkers, incitent le jeune label d'Oakland, Hightone Records (qui a déjà fait un gros coup en signant et lançant Robert Cray), à lui proposer prestement un contrat d'enregistrement. Les trois albums qui vont suivre sont bien accueillis par la presse spécialisée, plaçant Joe Louis Walker parmi les meilleurs espoirs, avec Robert Cray, de Blues contemporain de la décennie. Un live en deux volumes, "Live at Slim's", témoigne de l'énergie et de la maîtrise de Joe Louis. Il obtient la reconnaissance de ses pairs, et "pères" (du Blues), qui l'invitent à faire une apparition sur leurs disques ou à les rejoindre sur scène. Ainsi, à l'aube des années 90, sa place sur la scène Blues a pris une place considérable. Suffisamment pour que l'équipe "Gitanes Jazz Productions" de Verve l'invite à rejoindre leur écurie.
Avec "Blues Survivor" (1993), le Blues de Walker s'enrichit, se pare de nouvelles teintes classieuses issues de la Soul et du Jazz. Un très bel album (certains le considèrent comme l'un de ses meilleurs, voire tout simplement son meilleur) qui permet à Walker de s'ouvrir à l'international. Cependant, l'objet ne fait pas l'unanimité, certains puristes lui reprochant une production trop clinquante (de John Snyder) et une orchestration parfois "trop riche". Après un "JLW" passable (de 1994), "Blues of the Month Club", nimbé d'un léger parfum "Stax", avec mister Steve Cropper à la production, le présente particulièrement en verve. Et puis, comme c'est la tendance de ces années-là, il sort un album avec une pléiade de guests pour un résultat (forcément ?) bancal - brassant des moments forts avec d'autres convenus et autosuffisants, avec notamment quelques soli poncifs s'étirant inutilement. En dépit de certaines critiques tenaces, JLW rayonne lors de cette décennie clé, avec des albums qui, s'il peuvent parfois se révéler inégaux, offrent toujours des Blues de qualité, colorés de rhythm'n'blues, de Soul et plus rarement de réminiscences jazzy. Sans égaler en notoriété les "jeunes" Robert Cray, surtout, et Lucky Peterson, il est un acteur majeur d'un Blues moderne, contemporain, en entretenant une sorte de synthèse entre la tradition d'un Blues west coast et d'un Chicago-blues West side, avec quelques éclats rugueux certainement hérités des longues écoutes des disques du Wolf du paternel ; le tout agrémenté à l'envie d'ingrédients Soul, Rhythm'n'blues et Jazz, avec, exceptionnellement, quelques scories venues du Gospel. Parfois avec une approche nuancée pop, voire "FM", qui put déplaire. En même temps, ce développement d'un Blues moderne ne l'empêche aucunement de sortir une acoustique ou un dobro pour un Country-blues bien senti, et respectueux - entre Taj Mahal et Keb' Mo.
Hélas, tout comme son collègue de la maison Verve, le "modernisateur", Lucky Peterson, le nouveau siècle est un sombre tournant, un déclin. Des soucis de santé et personnels grèvent sa carrière. Entre des prestations pouvant virer à la semi-catastrophe et une partie de sa production discographique (qui demeure, malgré tout, assez conséquente) manquant de pertinence, le public commencent à se détourner de ce bluesman. Il y a pourtant quelques disques, comme ce remarquable "In The Morning", qui démontrent que le feu magique peut encore jaillir de Joe Louis Walker. Malheureusement, l'adhésion du public se réduit comme neige au soleil, et son instabilité, ses changements permanents de labels ne font qu'accélérer cette déliquescence, se désintéressement du public.
Et puis, finalement, alors qu'on aurait pu croire que ce vieux marcheur n'avait plus vraiment rien de particulièrement intéressant à exprimer, se reposant essentiellement sur son passif, à 62 ans, il refait soudainement surface. Revenant quasiment du jour au lendemain, en 2012 avec le réjouissant "Hellfire", dans l'actualité d'un Blues moderne qui, décidément, n'en finit pas de se regénérer. Son intégration au sein du fameux label Alligator Records paraît lui avoir redonné énergie et confiance. A nouveau, sans complexes ni apriori, il brasse les genres pour créer sa propre mixture Blues. Jamais jusqu'alors, Joe n'avait sorti un disque aussi puissant. En général, la presse est unanime pour encenser ce retour. Le succès de l'album fait d'ailleurs suffisamment écho pour que Joe Louis Walker soit intronisé l'année suivante au Blues Hall of Fame, et nominé à quatre reprises aux Blues Music Awards 2013. Deux ans plus tard, toujours sur Alligator, "Honest's Nest" maintient le cap, taquinant même à quelques rares occasions le heavy-rock. Ce qui fâche certains qui l'accusent d'opportunisme.
Après un "Everybody Wants a Piece" (chez Provogue), un peu chargé par une production trop appuyée, pour un rendu assez "lourdaud", Joe se fait plus rare, jusqu'à un retour discographique sur Cleopatra Records ; label pas vraiment connu pour faire dans la dentelle et le subtil. Certes, si à plus de soixante-dix ans, Walker affiche une forme remarquable et enviable, cherchant encore à enrichir son vaste répertoire par à nouveau un bel éclectisme, ses deux réalisations (de 2020 et 2021) sont grevées par trop de morceaux aux traits forcés.
Mais en 2023, il rentre chez Forty Below et sort un superbe album : "Weight of the World". Un disque plus en phase avec l'ère "Gitanes Jazz - Verve", revitalisant un Blues dit "contemporain", trouvant, encore une fois, un juste équilibre entre la tradition d'un Blues classieux, entre West-coast et South side, et une ouverture sur l'extérieur. Un disque en partie mu par une forte envie de vivre, de respirer, de profiter de la vie, malgré les années précédentes ternies par l'anxiété, les doutes et les confinements successifs. La voix révèle parfois quelques menues faiblesses, la guitare est souvent moins vive et percutante, la saturation (crémeuse) de l'ère Alligator n'est plus, les rythmes sont en général un peu plus lents, pourtant ce dernier disque n'en est pas moins stimulant, revigorant comme un soleil printanier. Même la tristesse sous-jacente de "Hello, It's the Blues", ballade aux accents de gospel, suggérant la sensibilité de Nina Simone, finit par réchauffer ; le morceau est la vision de Blues de Walker, de sa faculté à soutenir lorsque, dans les moments durs, pénibles, on a besoin de réconfort, d'être soutenu. Même son solo de guitare acoustique (cordes nylon) charrie en même temps tristesse, mélancolie et félicité. Tandis que "Don't Walk Out That Door" est une chanson de rupture teintée d'espoir, d'optimisme. Saine vibration Soul, chassant les ombres d'un monde en perdition, saturé d'égoïsme et de cupidité.
La chanson éponyme elle-même est à mi-chemin de la ballade et d'une Soul stimulante, véhiculant l'espoir de jours meilleurs. Sans ostentation ou pathos, avec son orchestration veloutée, mesurée et rayonnante, elle est comme le sourire d'une jeunesse insouciante, pas encore corrompue par les maux et les vices des hommes, croquant la vie à pleines dents. Est-ce encore du Blues stricto sensu ? Qu'importe !
Le vigoureux "Waking Up the Dead", malgré son Farfisa, est plus dans les codes. Dans le genre Chicago blues des Muddy Waters et Howlin' Wolf. Et le vif "Count Your Chickens" s'enveloppe d'un manteau funky et de parfums à la Lucky Peterson. Tandis que sur "Blue Mirror", Joe retrouve une seconde (ou cinquième) jeunesse. Sa guitare pétarade sur ce Boogie à faire saliver d'envie Francis Rossi et feu Rick Parfitt. Six minutes intenses où Joe démontre pourquoi il fut longtemps considéré comme l'un des grands guitaristes de Blues.
Du côté de chez "Stax", "Is It a Matter of Time ?", aurait pu être une pièce de choix des sessions de "Blues of the Month Club". Du côte de chez Encino (3), le soyeux "You Got Me Whipped", clôturant l'album dans une atmosphère feutrée et apaisante, permettant de rappeler combien, là aussi, JLW est également parfaitement à l'aise dans ce genre d'exercice.
Au contraire d'une grande majorité de musiciens, Joe Louis Walker, s'il était loin d'égaler en notoriété Robert Cray, aura tout de même réussi à clore sa carrière discographique par un excellent album, que certains considèrent comme l'un de ses meilleurs. Malgré des soucis de santé, il continue à se produire jusqu'en 2024 (dont plusieurs dates en Europe, et en France, profitant des festivals), jusqu'à ce que sa maladie cardiaque l'oblige à tout arrêter. Il décède le 30 avril 2025.
Maintenant que Joe Louis Walker est parti, peut-être qu'on va réaliser le grand bluesman qu'il était - il aura tout de même gagné à six reprises un Blues Music Award, en plus de son intronisation au Blues Hall of Fame. Osant se remettre en question, cherchant à se renouveler, sans se renier, toujours mu par une saine curiosité entraînant une certaine ouverture d'esprit, qui rejaillissait sur un Blues personnel, à la fois évolutif et pourtant jamais déraciné. Certes, quelques albums moyens pénalisent une longue discographie de plus de vingt albums, mais il y a suffisamment de pépites pour l'ériger parmi les acteurs notables d'un Blues contemporain. De ceux qui n'ont pas cherché la sécurité en se calant dans un style figé, rabâchant indéfiniment les mêmes recettes.
(1) On a parfois pu lire que, sans plus de précisions, ses parents l'auraient mis à la porte. Cependant, comme beaucoup de biographies se rapportant aux bluesmen, on a aussi pu lire de tout et (parfois) n'importe quoi dans les articles le concernant (presqu'une tradition dans le Blues, qu'avait d'ailleurs voulu reprendre les trois loustics de ZZ-Top en brouillant volontairement les pistes). Certains ayant même relaté une incorporation dans l'armée. Ou encore une colocation avec Mike Bloomfield qui se serait terminée peu avant le décès de ce dernier.
(2) le label qu'avait intégré John Mayall, mais aussi celui de Charlie Musselwhite, Kevin Bacon, Sugaray Rayford, Philip Sayce, Danielle Nicole et de Sam Morrow.
(3) Ouais, ça ne sonne pas terrible, c'est juste une référence au quartier de Los Angeles où une partie de l'album a été enregistré. Aux studios Forty Below, dans le quartier d'Encino.