vendredi 28 mars 2025

BECOMING LED ZEPPELIN de Bernard MacMahon (2025) par Luc B (comme Bonham)



Ce film de Bernard MacMahon a été salué comme le premier documentaire officiel depuis le crash du dirigeable, il y a 45 ans, imputable à un trop plein de vodka dans les soutes.

Un film extrêmement classique dans la forme, chronologique, archives photos, vidéos, et interviews des trois survivants. Dommage de ne pas les avoir réunis, de les avoir filmés dans un environnement austère, figé, ça aurait sympa qu'ils jouent un p'tit truc ensemble, pour le fun, pour fêter ça... On n'interroge pas un prix Nobel de chimie, mais des musiciens. Le batteur John Bonham (décédé en 1980) participe au récit via une de ses rares interviews audio. Le film se concentre sur la création du groupe et la sortie des deux premiers albums. Un peu frustrant, on y reviendra… Tiens, ça rappelle UN PARFAIT INCONNU [ CLIC ICI ] le biopic sur Dylan, qui se traînait sur la fin exactement pour la même raison.

On commence par un rapide panorama de l’après guerre, Londres dévasté par les bombes, chacun explique comment il en est arrivé à la musique. Jolies archives vidéos de Jimmy Page vers 10-12 ans, déjà sur scène dans un groupe, ou Bonham filmé dans un salon au même âge ou presque, sur un petit kit batterie, jouant aux balais, avec un pote à la gratte. Défilent à l’écran des extraits d’émissions avec Lonnie Donegan ou Johnny Burnette, Little Richard ou l’harmoniciste Sonny Boy Williamson. John Paul Jones avait des parents chansonniers, son père jouait du piano, le gamin a très tôt joué de l’orgue à l’église du coin, improvisant à sa guise, « une très bonne école ». Bonham était lui fasciné par la force de frappe des batteurs de James Brown. Plus tard, partageant la même affiche que Mister Dynamite, Bonham sachant que les batteurs le mataient depuis les coulisses, avait maltraité ses fûts avec encore plus d’énergie pour leurs montrer qui c'est Raoul. 

Toute la première partie est intéressante, films super 8 de Page arrivant aux studios où il faisait des piges. Tous les lundi, à la bourse aux musiciens, chacun venait glaner du boulot. Page ressort son carnet où il notait scrupuleusement les sessions pour Bowie, Donavan, les Stones, les Who, les Kinks, il fallait être ponctuel pour être réengagé. John Paul Jonesle plus capé des quatre, en plus de jouer de la guitare, du claviers, de la basse, écrivait des arrangements aux kilomètres. 

Et puis j’apprends que sur la chanson « Goldfinger » de Shirley Bassey, le fameux thème de James Bond, y’a Jones à la basse et Page à la guitare. Ils n’en sont pas peu fiers !

Chacun raconte de son point de vue (donc le même) la première confrontation en 1967, sur l’impulsion de Jimmy Page, clairement désigné comme l'âme du groupe, au bord de la Tamise, à la résidence de Pangbourne, au premier étage. Page y revient avec le réalisateur, c’est là que les murs ont tremblé pour la première fois, longues jams sur « keep train a rollin’ »Bernard MacMahon raconte que si Page n'avait pas honoré ce rendez-vous, le film ne se serait pas fait, c'était un test. On regrette d'ailleurs que les autres ne soient pas sortis aussi, se contentant de rester assis sur leurs chaises.

On voit des photos de Jimmy Page et Peter Grant signant pour Atlantic Records, avec Jerry Wexler. Page, qui a le culot d'expliquer au ponte Wexler qu’il a produit ce premier enregistrement, qu’il ne veut pas de single, qu’il travaille pour le format album, tout est mixé, les titres dans le bon ordre, bref, vous distribuez le disque tel que, ou on ne fait pas affaire ! Et ça marche.

La suite on la connaît, leur manager Peter Grant mise sur les Etats Unis, d’abord San Francisco et le Fillmore, puis plusieurs tournées successives. Le premier album fait sensation, le second encore plus, qui sera enregistré entre deux concerts, les nouveaux titres étant testés sur scène pour en éprouver l’énergie à reproduire en studio. Le phénomène est prêt pour l'Europe. On voit cette archive télé fabuleuse en France (« How many more times »où le public est tétanisé, ne semblant par comprendre ce qu’il leur fond dessus, les gamins se bouchent les oreilles face au vacarme. On apprécie que les titres soient diffusés en intégralité, dont une version tellurique de « Dazed and confused » à la télé anglaise en 69 (c'est pas chez Drucker qu'on aurait vu ça !), ou « What is and what should never be » (celle-ci je l'adore !).

Les archives ne sont évidemment pas inédites, mais ça fait plaisir de voir ça sur grand écran, ça explose dans les enceintes, limite criard, j'ai vu le film dans une petite salle sans doute mal équipée (le film est très mal distribué). Au chapitre mise en scène, on retiendra cette image de Led Zep sur scène, en extérieur, de nuit, avec à l’arrière plan la lune. Nous sommes le 20 juillet 1969… Plant, les yeux émus dit  : « Vous donnez un concert et au-dessus, un homme marche sur la Lune ».

Bon, peut-on maintenant aborder les sujets qui fâchent ?

Il y en a plus d’un. A commencer, donc, par la période très courte décrite par le film. Ce qui rend un peu redondante la deuxième partie, que dire d’autres que : ils sont formidables, bla bla bla. Le point fort c’est la musique, on en prend plein les esgourdes, quasiment tous les titres issus des deux premiers LP. Mais je m’attendais à plus d’analyses, de commentaires, de la technique, des histoires de guitares, d’ampli, processus de création, la composition, d’enregistrement. On voit Jimmy Page en studio faire joujou avec les canaux stéréo sur « Whole lotta love », mais c’est tout. Il n’est évidemment pas rappelé que cette chanson est un décalque de Willie Dixon (comme d’autres…) seul Robert Plant explique avoir, oui, légèrement retouché les paroles originales. Quid des fameuses triplettes de John Bonham ? Du mélotron de John Paul Jones ? Les pédales d'effets de Page ? Pourquoi une Fender ici, une Les Paul là bas ? On nous montre une belle bagnole mais on n’ouvre pas le capot pour reluquer le moteur.

Si au début du film sont cités les musiciens de leurs enfance (et Elvis, il est où Elvis ?), les trois presque octogénaires ne parlent jamais de leur contemporains. Ah si, à un moment Page parlent de deux potes Jeff et Eric. Les initiés comprendront qu’il s’agit de Jeff Beck et Eric Clapton (qui ont tenu la guitare avant lui dans les Yardbirds). Quid de John Mayall et du british boom blues ? Et à propos de Clapton, où est passé Cream (dans le genre j’explose le format blues, ça se pose là), Ten Years After, Pink Flyod, et l’autre là, comment y s’appelle… Hendrix ?

On a l’impression qu’entre 1968 et 70 en Angleterre il n’y avait que Led Zeppelin qui faisait de la musique. Le film de MacMahon n'inscrit pas Led Zep dans le contexte musical de l'époque. Un môme qui irait voir le film (et y'en avait dans la salle) se dirait que Jimmy Page a tout inventé à lui tout seul ! Il ne s’agit pas de remettre en question l’influence du gars sur ce qu’on nommera bientôt le hard-rock, ni la qualité des musiciens qui composaient le groupe, m’enfin merde, d’autres au même moment n’étaient pas manchots. Et on sait que tous ces gars se connaissaient, se croisaient. Il est regrettable que sur deux heures de film, il n’y ait pas un mot de la scène londonienne, incroyable vivier de talents, tous plus ou moins inspiré par le blues américains.

Concernant les fameuses archives… Mises à part deux ou trois titres réellement en concert (dont le l’Albert Hall en janvier 70), la plupart du temps on a des images de concerts plaquées sur les versions studios des chansons ! On voit les efforts du monteur pour donner le change, les coups de cymbales au bon moment, parce que c’est un repère visuel, mais on est parfois chagriné par le manque de synchronisation, d’autant que le grand écran ne pardonne pas les à peu près.

Robert Plant accompagné à la guitare par Al Pacino, en plein tournage de Serpico...

Alors certes, on n’assiste qu’à la première année du groupe, les archives live seront plus nombreuses ensuite, et de meilleure qualité. Mais on a l’impression que Bernard MacMahon fait ce qu’il peut avec ce qu’il a sous la main, autrement dit, pas grand-chose. D’où ma première question : pourquoi n’avoir pas étendu le film au moins jusqu’au quatrième album, sorti fin 71 ?

Dans le registre ripolinage de l’Histoire, voilà quatre gars qui expliquent que la vie de musicien n’est pas facile, car loin de femmes et enfants. Un thème qui revient souvent. Robert Plant, plus proche de Bonham, parle des remords de son batteur à quitter le domicile pour une énième tournée, on sait que le gars était du genre casanier, que tout ce barnum lui pesait, il s'en soulageait en plongeant toujours plus au fond de la bouteille. Bref, quatre petits anges... Sauf que Led Zep est aussi célèbre pour sa musique que pour ses frasques, des groupies prépubères à la consommation immodérée de plein de produits divers et variés. Page plongera dans l’héro un peu plus tard, mais reléguer sous le tapis cet aspect des choses, la gestion de la célébrité sur des gars de 20 ou 22 ans, ne me semble pas d’une grande honnêteté rédactionnelle.

Mais je l’ai dit au début, ce BECOMING LED ZEPPELIN est le premier documentaire officiel sur le groupe, qui a reçu la bénédiction des trois musiciens. Donc qui brosse sérieusement dans le sens du poil. Aucune fausse note ni de divergence. A tel point que même ce voyou notoire de Peter Grant, qui a fait pour beaucoup dans l’ascension du groupe, est à peine évoqué.

"Dans les coulisses du groupe légendaire" annonce l'affiche du film. Mouais, la porte s'entrouvre mais on reste sur le palier.


couleur et N&B - 2h02 - format 1:1.85


9 commentaires:

  1. Shuffle Master.28/3/25 10:13

    Mmouais, ça tient donc quasiment de l'hagiographie. Pas vraiment étonnant, le procédé est connu depuis longtemps. Exemple dans un autre domaine: cette s.....e de nièce de Flaubert, qui non contente de l'avoir ruiné, a copieusement caviardé, voire détruit, une partie des papiers de son oncle, dont beaucoup de lettres. Il va falloir attendre qu'ils soient tous morts et que les héritiers ne fassent pas opposition pour avoir une vision plus conforme à la réalité? Je serais curieux de voir le nombre d'entrées.

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  2. C'est une sortie très confidentielle, 5 ou 6 salles pour tout Paris banlieue ! J'ai lu sur un site moins de 20 000 entrées en France, mais je n'ai pas les dates. Bon, après, des docs sur Led Zep y'en a sur le net, autorisés ou non, on connait tous à peu près l'histoire, mais cela aurait chouette d'avoir le vrai point de vue des gars sur cette partie de leur vie, et pas édulcorer le récit de ce dont on n'a pas envie de parler, j'imagine que les contrats étaient précis sur ce qu'on pouvait dire et montrer, ou pas. Le point positif, c'est que tu ressors tous les albums quand tu rentres chez toi, et force est de reconnaitre que les gars étaient très doués...

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  3. Ouais, ça a l'air bien chiant comme truc, merci de prévenir. Genre les documentaires arte où tout le monde se congratule. Je passe mon tour.

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  4. Y'a des trucs bien sur Arte, notamment un doc très fouillé sur James Brown, en quatre épisodes d'une heure, ça laisse le temps d'approfondir, et pas édulcoré le moins du monde, ou un doc sur une tournée Iron Maiden (j'ai appris qu'il pilotait leur Boeing !) avec de larges extraits de concerts. Mais un peu plus gentillet... Tiens hier, j'ai maté un concert des Doors, ok ultra rabâché, et après un de Simple Minds enregistré à Lyon.

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    1. Tu as raison, le Maiden doit être Flight 666 et c'est une tuerie. J'évoquais pour ma part les documentaires qu'ils réalisent eux-mêmes, tu sais avec un psychiatre allemand qui théorise et deux prof de musiques qui expliquent comment c'est possible tout ça )))
      Et aussi ceux financés par les majors où toute une ribambelle d'artistes américains (toujours les mêmes) viennent témoigner du génie absolu du sujet de la semaine. Par contre, j'ai raté les 4 heures sur James Brown, je vais tacher de repérer un replay. Merci pour l'info.

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  5. Ce genre de films, c'est une équation insoluble. Soit tu bosses sans avoir recours aux intéressés, et c'est pas crédible, soit tu bosses avec eux et ça devient une pub évitant tout ce qui peut fâcher ou nuire à l'image.

    Et toujours ce grand blanc officiel concernant leurs "emprunts". Même s'il y a eu quelques arrangements juridiques, on comprend qu'ils préfèrent zapper le sujet (surtout Page qui était quand même beaucoup plus qu'un quart du Zep). Bizarrement, quand ils peuvent pas faire autrement (leur dernier concert pour l'hommage à Ahmet Ertegun), Plant se fend d'introductions alambiquées (notamment sur Travelling riverside blues) citant les auteurs-inspirateurs des titres (Robert Johnson en l'occurrence)

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    1. Equation insoluble sauf avec Metallica. Some kind of monster étant l'exemple parfait de ce qu'un documentaire peut donner. Anvil en est un autre.
      Pour les emprunts, c'est à géométrie variable dans le rock, on emmerde les uns, tandis qu'on ne fait pas cas des autres. Child in time doit autant à It's a Beautiful Day que Stairway to heaven à Spirit. Deep Purple l'a assumé et personne ne passe son temps à revenir là dessus. Quant aux emprunts fait au Blues (comme pour les paroles de whole lotta love, car ce n'est pas le riff qui est mis en cause comme je le lis souvent dans la presse, mais bien les paroles qui pompent grossièrement celles de You need love de Willie Dixon), il y aurait de quoi remplir les tribunaux pour l'éternité.

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  6. "Some kind of monster" c'est presque à part, tant le concept même était inédit : une thérapie psy, en groupe, et filmée H24 ! Anvil c'était génial, mais on ne boxait pas dans la même catégorie. Le souci est aussi doit-on faire un doc sur un gars encore en activité (encore vivant) sans que ça passe pour de la promo ? Je citerai "Live in 12 bars" sur Eric Clapton, un modèle de film bio qui parle de tous les aspects, ou "Amy", qui sont deux films aussi sortis en salle de cinéma.

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    1. Leur notion de ce qui est promotionnel est complètement déplacée, je ne crois pas qu'une heure et demi d'autocongratulations soit encore vendeur. La valeur technique des musiciens, le génie des compositeurs, la folie des batteurs, tous ces arguments sont dorénavant faisandés. La vieille garde n'en peut plus de les entendre, tandis que les nouvelles générations voient ce cirque comme venant d'un siècle de débiles mentaux. Il serait plus interessant d'élargir le spectre et de présenter les groupes dans leur contexte environnemental et social, tout en pointant une loupe sur ce qui les différenciait de la norme en tant qu'individus. Le tout argumenté par les commenatires de ceux qui ont connu cette même période, tant qu'ils sont encore là. Peu importe qu'ils soient flatteurs ou qu'ils exposent des dissensions tant qu'ils sont imprégnés de vérité. J'ai bien peur hélas que jamais la rock music ne soit archivée comme elle le mérite et qu'au fil du temps elle apparaisse de plus en plus comme une ère balourde et dépassée durant laquelle seul l'égocentrisme a régné.

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