- Tiens Claude, tu proposes une autre version de l'opéra Pelléas et Mélisande déjà chroniqué en 2018 ?
- Oui et de Claude Debussy Sonia. Mais là, il s'agit d'un grand poème symphonique de Schoenberg première manière. La pièce a inspiré nombre de musiciens…
- Ah bon ! Je m'y perds parfois… Et il y a d'autres adaptations du coup ? Ah oui, Gabriel Fauré ; une petite suite que tu as partagée dans le RIP du chef Seiji Ozawa…
- Au moins sept, les plus connus : Debussy, Schoenberg et Fauré que tu cites, mais aussi : Sibelius et Alexandre Desplat et, moins connus : William Wallace ou encore Mel Bonis, la plupart étant des musiques pour accompagner la pièce…
- John Barbirolli, le chef british de nouveau, déjà entendu dans, voyons… Mahler, Delius, Sibelius et Berlioz ! Un habitué dit donc…
- Et surtout une formidable interprétation de cette œuvre dont l'orchestration disons… chargée, ne souffre pas le manque de précision !
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Pelléas et Mélisande est la
pièce la plus célèbre de l'écrivain, poète et dramaturge belge francophone
Maurice Maeterlinck (1862-1949), prix Nobel en 1911. Ce
mélodrame "estampillé" comme tel a inspiré nombre de musiciens, mais pas
que. On peut trouver la prose un peu datée pour ne pas dire affectée, mais
elle marqua son époque et la carrière de son auteur.
Le synopsis du drame est à lire dans la chronique consacrée à l'opéra
éponyme de
Claude Debussy. Néanmoins, résumons l'affaire en deux mots.
(Clic)
L'histoire se déroule dans un Moyen-Âge intemporel, les protagonistes n'ont ni passés connus, ni même une origine familiale très définie pour Mélisande. Petit-fils du vieux roi Arkel, le prince Golaud, lors d'une partie de chasse, rencontre près d'une fontaine une jeune femme perdue, craintive et en pleurs ; son nom : Mélisande. Elle a jeté une couronne dans l'eau… On n'apprendra rien sur ce qui l'a amenée en ce lieu… Golaud l'épousera, il est veuf et déjà père d'un garçonnet, Yniold. Golaud a un demi-frère Pelléas, jeune homme plein de vie, né d'un second mariage de Geneviève, fille de Arkel et mère de Golaud. Une génération sépare les deux hommes. Mélisande en pincera pour Pelléas moins taciturne que son mari violent. Ce dernier, fou de jalousie et de suspicion sur la nature charnelle de cette relation, tuera Pelléas. Mélisande en mourra de chagrin après avoir mis au monde une petite fille… et en refusant de dire si adultère il y a eu réellement, laissant ainsi planer le mystère sur la paternité du bébé !
Si vous n'avez pas tout compris à mon galimatias, voici l'arbre
généalogique proposé dans le billet
Debussy…
Une sombre forêt, un château lugubre et ses cryptes, une fontaine, des nobles décadents, tous les ingrédients de la tragédie à la mode à la fin du romantisme du XIXème siècle sont réunis pour que les personnages s'affrontent. Le livret est idéal pour les opéras de l'époque dans lesquels, notoirement, le baryton (Golaud) imagine tout, même le pire, pour empêcher le ténor de séduire la soprano (Pelléas et Mélisande).
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Schoenberg en 1900 |
Une courte biographie d'Arnold Schoenberg
est à lire dans la chronique dédiée au
Concerto
pour
violon
interprété par
Hilary Hahn, l'un des premiers billets, en
2011
(Clic). La destinée hors norme de ce compositeur, peintre et théoricien du
solfège mériterait d'être détaillée. Mais Maurice Maeterlinck ayant
déjà monopolisé l'avant-propos, je reviendrai sur le parcours de
Schoenberg
dans une autre chronique consacrée à ses
Gurrelieder.
Pelléas et Mélisande
est une œuvre de sa première période créatrice, ne compliquons pas
l'affaire.
Arnold Schoenberg
nait en 1874 à Vienne et grandit en plein crépuscule du romantisme
post wagnérien. Jeune, il ne sait pas qu'il deviendra à sa manière, vers
1912, le "Beethoven" du début du XXème siècle en
révolutionnant le langage musical par son invention du
dodécaphonisme et du
sérialisme. En cela, il rejoint
Claude Debussy
et
Igor Stravinski dans le petit groupe des compositeurs promoteurs de la musique
contemporaine (perso j'ajouterai Bartok). La comparaison avec
Ludwig van
vise la composition et la création en 1805 par celui-ci de la
symphonie
"héroïque" qui clôt définitivement l'âge classique par ses dimensions et sa fougue
tragique. Surgi des idées des lumières, le romantisme, épique, combatif et
poétique, s'imposera pendant un siècle.
Schoenberg
ne suit aucune formation musicale académique. Cet autodidacte assiste
néanmoins à des cours de contrepoint au conservatoire de Vienne auprès de
Alexander von Zemlinsky (né en 1872). Il se lieront d'amitié.
Zemlinsky, trop oublié de nos jours, mettra lui aussi en musique des poèmes de
Maeterlinck. Il rencontre également les jeunes
Alban Berg
et
Anton Webern
avec lesquels il travaillera sur la rupture avec l'univers tonal et tous
s'associeront en créant la Seconde École de Vienne, une autre histoire…
Avant la rupture avec la tonalité par l'écriture du
Pierrot Lunaire, une suite de 21 lieder d'après des poèmes de
Albert Giraud traduits par Otto Erich Hartleben, faisant appel
au parlé-chanté et aux premiers principes du dodécaphonisme et à
l'atonalité,
Schoenberg
compose dans le style en plein bouleversement de la fin du XIXème
siècle.
Schoenberg admire passionnément les œuvres de Richard Strauss et de Richard Wagner, fasciné par l'usage immodéré par ce dernier du chromatisme, expérience qui préfigure le dodécaphonisme en mettant en lumière les limites de la tonalité classique en termes de couleurs et de timbres, sans parler des formes sonates. Pour un aperçu de ces nouvelles techniques de composition, rendez-vous dans l'article consacré au concerto "à la mémoire d'un ange" de Berg interprété au violon par Isabelle Faust (Clic).
John Barbirolli |
L'influence des grandes œuvres de la fin du romantisme est manifeste dans
ses premières compositions. Citons-en trois :
La nuit transfigurée, un
sextuor
transcrit pour orchestre à cordes, une œuvre qui reprend la thématique du
couple d'amoureux plongé dans la tourmente d'un adultère pardonné par la
sincérité des sentiments ; les
GurreLieder
commencés en 1900 avec son effectif orchestral et vocal monumental,
sa durée imposante, font songer à la
symphonie-oratorio N°2
"Résurrection" ou à la cantate
Das klagendelied
de
Mahler ; quant à
Pelléas et Mélisande, la puissance de l'orchestration s'impose en concurrente de celle des
opulents poèmes symphoniques de
Richard Strauss
tel
Une vie de héros
de 1898.
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En France, en 1902,
Claude Debussy
compose son unique opéra
Pelléas et Mélisande. Le succès est assez modeste au début.
(Clic)
Schoenberg
n'est pas au courant de cette production et réfléchit de son côté, et la
même année, à l'écriture d'un opéra sur le même livret !
Richard Strauss
lui avait suggéré cette composition lyrique mais, sur les conseils de
Zemlinsky, l'opéra deviendra une imposante symphonie en quatre parties comme il est
encore d'usage, mais en réalité naîtra une compilation de onze épisodes
suivant la trame de la pièce. La symphonie, si l'on peut dire, se joue sans
transition. Elle dure trois quarts d'heure.
Schoenberg
démontre une incroyable maîtrise dans l'innovation structurelle de sa
partition.
Berg
montrera dans une étude subtile comment son ami a réussi à transcender la
forme sonate par l'intégration des onze passages dans les quatre mouvements.
L'orchestration et le sens du colossal rappelle le style mahlérien : 3
flûtes + 2 picolos, 3 hautbois + 2 cors anglais, clarinettes (1 en mi bémol,
3 en si bémol, 2 clarinettes basses), 3 bassons + contrebasson, 8 cors, 4
trompettes, trombones (1 alto, 4 ténor-basse), tuba, timbales (2 joueurs),
triangle, cymbales, tam-tam, grand tambour, grosse caisse, glockenspiel, 2
harpes et cordes. Quand il faut il faut 😊 L'œuvre est achevée en
1903 à Berlin.
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Oskar Fried |
La partition se révèle d'une complexité et d'une difficulté extrêmes !
Zemlinsky
pressenti pour en diriger la première à Vienne jette l'éponge.
Schoenberg
décide comme un
Bruckner en son temps de monter lui-même sur le podium le 25 janvier 1905.
Son œuvre est bien trop exigeante pour un maestro amateur et tant le
public que les critiques parleront de cacophonie.
Connaissant cette péripétie, je me disais ce matin que
Schoenberg
aurait dû rester à Berlin et faire appel à
Arthur Nikisch, le directeur de la
Philharmonie, un chef de génie réputé pour sa précision, ou à
Oskar
Fried, encore jeune mais ami talentueux de
Mahler
dont il défend baguette à la main ses symphonies tout aussi sophistiquées
que
Pelléas et Mélisande. Le passé a pensé comme moi (un effet bizarre de la Théorie de la
Relativité), car justement
Oskar
Fried
donne l'ouvrage en 1910 à Berlin avec un franc succès qui sauvera
ce monument de l'oubli.
Je me devais de proposer une interprétation reflétant la force tellurique
de l'orchestration mais avec une clarté du discours et un scrupuleux
étagement des plans sonores qui ne conduisent pas à infliger un charivari
cataclysmique à mes chers lecteurs. Il faut savoir que passionner
l'auditeur n'est guère facile avec ce "monstre" ! Il y a quelques années
au TCE, n'ayant trouvé que des mauvaises places trop proches et trop à
droite de la scène surchargée, je fus déçu par la prestation de
Christian Thielemann, pourtant familier de la partition et à la tête de l'une des meilleures
phalanges d'Europe, la
Staatskapelle de Dresde… D'autant que la lisibilité orchestrale de son CD de 1999 est une
prouesse exemplaire (Opéra de Berlin). Dommage pour ce soir-là…
Trois candidats pour mon billet :
Barbirolli
en 1974,
Karajan
en 1973 et
Boulez
dans sa première mouture avec le
Symphonique de
Chicago
en 1991. Quant à l'orchestre, sans acrimonie ni snobisme, on ne
conserve que les captations avec les ensembles les plus virtuoses.
J'ai découvert l'œuvre avec Barbirolli. Plutôt bluffé pour une première écoute il y cinquante ans, je me dois d'être fidèle à ce grand chef anglais. Une petite biographie illustre la chronique consacrée à la symphonie N°6 de Mahler (Clic). Il dirige ici le New Philharmonia Orchestra.
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Pelléas (Stanislas de Barbeyrac) Mélisande (Patricia Petibon) Debussy /© Vincent Pontet |
La discographie propose des réussites marquantes malgré la difficulté
d'exécution inhérente à la complexité du langage de Schoenberg. Maestros et musiciens doivent impérativement s'affranchir de tout pathos.
Malgré une qualité sonore moyenne dans la captation du philharmonia, John Barbirolli maîtrise des nuances contrastées et épiques grâce à un staccato
implacable, sans négliger la tendresse dans la scène 8. La signature du
style de direction de ce chef est sans ambiguïté, à savoir celle d'un
artiste soucieux des moindres détails. L'homme pouvait faire travailler sans
relâche et très longtemps des passages difficiles. Par cette méthode, il
réduisit volontairement son répertoire et se fit chambrer sans méchanceté
aucune par d'autres grands confrères comme Adrian Boult. Le résultat s'avère parfois glaçant voire terrifiant comme dans les
climax de la scène (5) où Golaud furieux
martyrise Mélisande qui a perdu sa bague, à savoir
où ? La scène d'amour (6) qui suit est tout au contraire tendre et
érotique, l'innocence de la jeunesse.
Une tout autre lecture que celle que nous offre Herbert von Karajan qui bénéficie d'un des plus beaux orchestres de la planète et de preneurs de son archi-compétents. Bien entendu le legato du maestro autrichien, le velouté des cordes, le discours finement concertant des bois et l'éclat des cuivres magnifient la partition pour le moins colorée de Schoenberg. Souvent un peu confus à l'époque, la Philharmonie occupe un espace immense, un son sans épaisseur, l'air circule entre les pupitres, de l'orfèvrerie audiophile 😉. Là aussi, une réussite majeure.
Alban Berg
proposa un programme à partir de l'organisation de la partition et des notes
de
Schoenberg. Voici réunis : le Timing précisant chronologiquement le début d'un
dialogue, d'une scène ou une ambiance, et les indications de tempos. Le
tableau ci-dessous facilitera le suivi des onze étapes de la narration
imaginée par
Schoenberg. La complexité de la conception très libre de la forme sonate est
impossible à analyser, réservons cela aux musicologues professionnels et aux
cours de composition.
Le récit musical s'articule comme dans les opéras de Wagner autour de nombreux leitmotive symbolisant les personnages, les lieux, les sentiments… Le riche chromatisme induit des dissonances qui soulignent les tensions névrotiques de ce drame de la jalousie condamnant une passion amoureuse inévitablement maudite, thème romantique récurrent à l'époque : Tristan et Isolde… en tête.
Timing
|
Mouvements |
Scènes |
Tempo (Traduit de l'allemand au mieux) |
Timing |
[00:00]
[03:58]
[07:31]
[11:02] |
Lento - Allegro |
1. La forêt 2. Mariage de Golaud et Mélisande 3. Pelléas 4. Réveil de l'amour à Mélisande
|
I. Les archets bougent avec hésitation II. Violent III. Vivant IV. Très vite |
[00:00]
[04:29]
[07:35]
[11:34]
|
[17:57]
[19:21]
[22:37] |
Scherzo - Presto |
5. Scène à la fontaine, 6. Scène à la tour, 7. Scène aux caveaux
|
V. Un peu ému VI. Lent VII. Un peu plus ému |
[18:47]
[20:09]
[23:31]
|
[26:35]
[31:32]
[33:51] |
Quasi adagio
|
8. Fontaine dans le parc, 9. Scène d'Amour, 10.Mort de Pelléas
|
VIII. Très lentement IX. Nuancé X. Mouvement de marche |
[27:40]
[32:23]
[34:45]
|
[36:16] |
Finale |
11.La mort de Mélisande |
XI. Largo |
[37:13]
|
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
|
|
INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
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La discographie semble modeste par rapport à celle d'autres ouvrages
symphoniques de grande ampleur de la même époque, en particulier les
symphonies de
Mahler
ou les poèmes symphoniques de
Richard Strauss. Des gravures qui s'empilent mais n'apportent pas toujours une vision
révolutionnaire.
Pour
Pelléas et Mélisande, on cite souvent comme l'une des premières références le disque de
Barbirolli
et les deux captations de
Pierre Boulez, la première en 1991 pour Erato avec l'Orchestre symphonique de Chicago
(Erato-Apex), la seconde en 2012 pour DG avec l'Orchestre des jeunes Gustav Mahler,
un petit peu moins engagée a priori. Deux interprétations très en place,
bien entendu… Mais sont-elles héroïques et sensuelles ?
En 1973, avec
Herbert von Karajan, on pouvait craindre que l'hédonisme du chef atténue les frissons et la
fureur, des oppositions qui sont au cœur de la passion amoureuse maudite
dans l'œuvre. Et bien, le maestro savait qu'on l'attendait au tournant
dans une anthologie dédiée à la seconde école de Vienne et son langage si
agreste. La
Philharmonie de Berlin
sonne comme jamais, la beauté sonore et le grand wagnérien que fut le
maestro faisaient entrer
Pelléas et Mélisande
dans la discographie indispensable de tout mélomane respectable 😊 (DG
– 1973 – 5/6).
Le XXème siècle finissant, le catalogue s'enrichissait en
1999 d'une interprétation au scalpel, brillant de mille feux sous
la baguette de
Christian Thielmann
qu'il est de bon ton de dénigrer par principe car le monsieur se la joue à
la façon des grands anciens de la tradition allemande : autoritaire et
ronchon. Oui mais le résultat est là et les accolades avec tous ses
musiciens (ça prend du temps 😊) aussi, comme quoi ronchon… à voir ! Si
mon expérience en salle fut décevante pour des raisons d'acoustique, celui
qui vient de révolutionner par une seconde intégrale l'interprétation des
symphonies de
Bruckner
d'une clarté architecturale parfaite, donc très modernisée et moins
sulpicienne, montrait ici son goût pour les lectures transparentes et
passionnées (DG – 1999 -5/6)
L'œuvre sort du domaine exclusif des phalanges haut de gamme pour
maestros de renom. On s'en persuade en écoutant une version articulée donc
fastueuse dans sa narration et son sentimentalisme. J'ignorais que la
jolie ville portuaire de
Bergen
en Norvège disposât d'un orchestre capable de relever le défi de ce
monument !
Edward Gardner
a osé, bravo même si la couleur instrumentale ne concurrence pas Berlin ou
Chicago ; ah Chandos et ses bons plans ! (Chandos – 2020 –
4,5/6).
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