vendredi 18 juillet 2025

DES FEUX DANS LA PLAINE de Ji Zhang (2021-25) par Luc B.


Le Film Noir a toujours eu pour vocation d’évoquer les maux de la société en filigrane d’une intrigue policière. C’est bien pratique, surtout en Chine (on l’a vu aussi pour l’Iran) où l’état décide ce qu’il est acceptable ou non de filmer. DES FEUX DANS LA PLAINE ne déroge pas à la règle. Ce premier film de Ji Zhang (qui était directeur photo jusque-là) a été réalisé en 2021, mais n’a trouvé un visa international que 4 ans plus tard.

Ce qui a déridé les autorités chinoises, c’est un carton rajouté à la toute fin, où il est écrit : tous les personnages de ce film qui se sont rendus coupables de faits répréhensibles, ont été retrouvés et punis. Et ils sont tous cités, ouf, la morale est sauve !

Nous sommes en 1997, dans le nord-est de la Chine, à Fentun. La ville est minée par le chômage, gangrénée par les trafics, et doit se coltiner un tueur en série qui assassine les chauffeurs de taxi. Le policier Jiang mène l’enquête, il se déplace en taxi pour servir d’appât. Il essaie d’aider aussi Zhuang Shu à se sortir de la petite délinquance. Zhuang Shu fréquente une jeune femme, Li Fei, dessinatrice en publicité, qui rêve de quitter cette région pour un avenir meilleur, dans le sud…

Le réalisateur Ji Zhang dresse un portrait cauchemardesque de son pays, qui n’est pas sans rappeler BLACK DOG et sa ville fantôme. Il y a d’un côté la famille de Li Fei, dont le père a été licencié de l’usine de tabac locale. Pas d’aide sociale, ni d’autres boulots, il est condamné à végéter. De l’autre côté, le père de Zhuang Shu, sapé comme un lord de pacotille, qui revend le matériel de l’usine et palpe des liasses de billets. Le choix est simple pour s’en sortir : se tirer et espérer que le soleil brille ailleurs, où se transformer en rapace en spoliant les plus démunis. Une scène est bien vue. Zhuang Shu qui condamne les agissements de son père, lui vole du fric, le planque, le magot est trouvé par Li Fei qui le vole à son tour pour le donner à son père, qui par faiblesse, le rend à son propriétaire.  

Ji Zhang situe les premières scènes de son film la nuit. Les influences du Film Noir sont évidentes, dans ses images nocturnes, contrastées, souvent éclairées par une seule source de lumière, une ampoule suspendue, une lampe de chevet, les phares des voitures. Esthétiquement le film est très réussi, les scènes de jour sont nimbées d’une lumière mélancolique, comme si le soleil ne se levait vraiment jamais. Le réalisateur filme des entrepôts déserts, des baraques qui fuient, un sauna en béton plutôt glauque, des rues défoncées.

C’est dans ce décor pas très glamour que Zhuang Shu et Li Fei évoluent. Mais comment bâtir une relation dans un tel contexte. Il souhaite rester, elle souhaite fuir. Et puis, au milieu du film, une scène impressionnante, dont je ne peux révéler la teneur, entre le flic et le père de Li Fei. Et puis un accident de voiture qui va laisser la jeune femme amputée d’un bras et d’une jambe…

7 ans plus tard. Contre toutes attentes, Zhuang Shu est devenu policier, et reprend l’enquête sur le tueur de taxi, toujours pas élucidée. Si pour lui l’avenir semble moins incertain (emploi stable), Li Fei va totalement sombrer. C’est un des points forts de film – avec la mise en scène, la photographie – le cheminement du personnage, qu’on découvre comme une adolescente timide au début, devant un chevalet, et que les circonstances vont transformer, jusqu’à cette scène intense où elle tue son dealer. Elle est visiblement accroc à la morphine pour soulager ses douleurs depuis l’accident. La scène est violente, crue, c’est fou ce qu’on peut faire avec une prothèse de bras…

- M’sieur Luc, je lis par-dessus vos (larges) épaules, et je sens que le vent va tourner…

- Effectivement Sonia, il y a comme qui dirait tromperie sur la marchandise…

A force de jouer les ellipses et les non-dits, l’intrigue est juste incompréhensible. Le réalisateur se désintéresse totalement de l'enquête. L’assassin dégagerait, selon un témoin, une odeur d’essence. Enquête-t-on sur cet indice ? Non. Y-a-t-il des suspects ? Non. Un gars se pointe au commissariat, s’accuse, un témoin le reconnait, boum c’est plié. C’est qui, pourquoi, comment ? La bande annonce nous promet un polar noir et poisseux, il n’en est rien. La peinture sociale, okay, mais rapidement. Les amours contrariées, okay. Mais après ? Passé la première demi-heure, qui pose les bases, on a l’impression que le réalisateur fait tout pour nous éjecter du récit. Comment ne s'est-il pas rendu compte, sur sa table de montage, des manquements flagrants ? 

Le choix de raconter l’histoire en deux époques, à 7 ans d’intervalle, augmente l’opacité du récit. Y’a un vide qui attend encore d'être comblé. On reste perplexe devant des scènes, certes joliment mises en boite, mais qui ne se rattachent pas entre elles. L'interprétation masculine, monolithique, n'arrange rien. Dans la deuxième partie, la tension semble entretenue artificiellement à coups d'éclairs de violence qui ont comme intérêt premier de nous réveiller de notre torpeur. On a l’impression que la censure chinoise a arraché des pages du scénario, au hasard, et que Ji Zhang a filmé ce qu’il restait.


couleur  -  1h40  -  format 1 :1.85 

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