vendredi 15 octobre 2021

NEW-YORK MIAMI de Franck Capra (1934) par Luc B.

On a déjà évoqué ce film de Franck Capra et sa quinte flush royale. Cinq oscars pour : film + réalisateur + scénario + acteur + actrice. - clic ici - Un projet qui au départ partait mal, mais dont le résultat a conquis le public, ouvrant la voie à ce qu’on appelle la screwball comedy. Ça aussi j’en ai déjà causé, donc j’interroge au hasard...

- Pat, c’est quoi la screwball comedy ?

- Ah oui je sais, mais... p'tain Claude ! Il a versé son tube de colle dans ma trousse… C’est une comédie qui reprend le rythme effréné du cinéma muet, mais en ajoutant des dialogues débités à la mitraillette, chez nous des gens comme De Broca ou Jean Paul Rappeneau s’en sont inspirés.

- Bravo Pat. Claude, vous passerez à la vie scolaire…

Le projet a plutôt mal commencé. Franck Capra dans ses mémoires (lisez son formidable « Hollywood Story » paru chez Ramsey, une bible !) racontait que la fabrication du film était plus drôle que le film en lui-même. Capra découvre la nouvelle « Night Bus » de Samuel Hopkins Adams chez son coiffeur, et pense tenir un bon sujet. Avec son fidèle scénariste Robert Riskin, ils imaginent déjà les acteurs : Robert Montgomery et une pléïade de comédiennes. Sauf que tout le monde refuse. C’est Louis B. Mayer, patron de la MGM, qui sauve le coup. Il a sous contrat un dénommé Clark Gable, qui préfère se la couler douce sous les sun-lights des tropiques plutôt que sous les spot-lights des studios. Or, un acteur sous contrat - donc salarié - est censé travailler. Pour le mettre à l'amende, Mayer le loue à la Columbia, un studio moins prestigieux. Où travaille Capra.

Capra raconte que le futur Rhett Butler arrive à son bureau complètement bourré et de méchante humeur, contractuellement obligé de tourner ce film dont il se fout royalement. Bingo ! Il gagnera l’oscar du meilleur comédien de l'année, élargissant son public de fans. Il serait même à l’origine de la chute des ventes des sous-vêtements masculins, car dans une scène du film, on le voit retirer sa chemise sans rien en dessous. Il aurait inspiré aussi Chuck Jones et Tex Avery, créateurs de Bugs Bunny, car son personnage dans le film mange des carottes crues, n’ayant rien d’autres à se mettre sous la dent (en plus des oreilles bien développées ?).

NEW-YORK MIAMI est le prototype de la comédie romantique.  Lorsqu’on le visionne, on a l’impression de l’avoir déjà vu cent fois. Le pitch : elle et lui se détestent mais finiront amoureux. Un moule qui servira à fondre des milliers de films, il n’est pas une scène qu’on ne reverra pas ailleurs et plus tard.

Elle, c’est Ellie Andrews, riche héritière séquestrée par son père pour lui éviter d’épouser un aviateur coureur de dot. Ni une ni deux, la drôlesse plonge du yacht paternel pour rejoindre son amant. A l’écran c’est Claudette Colbert (1903-1996), un patronyme pas trop hollywoodien, et pour cause, elle est française, née dans le 9-4, à Saint Mandé. A l’aise dans tous les styles et joliment roulée, elle tourne avec Lubitsch, Preston Sturges, Douglas Sirk ou Cecil B. de Mille. Une très grande star des années 30/40.

Lui c’est Peter Warne, un journaliste roublard qui vient d’être viré de sa rédaction. Le hasard le place dans le même bus qu’Ellie Andrews, et découvrant qui est réellement sa compagne de voyage, il se dit qu’il tient là un bon scoop. Quand Ellie Andrews se fait voler sa valise, sans le sou, Warne propose de financer son retour à New York en échange d’informations pour un futur article.

Le film tient donc sur des ressorts comiques aujourd’hui ultra classiques : le couple mal assorti. Et comme les deux comédiens se détestaient cordialement, leurs disputes à l’écran n’en ont que plus de saveur. C'est sans doute pourquoi Gable est si juste dans le rôle du mufle, il n'avait pas à se forcer.
 
La première partie du film se passe dans le bus, Franck Capra fait construire un décor ingénieux, l'habitacle en coupe, qui lui permet des va et vient en travelling latéral sur toute la longueur, notamment dans cette scène de chanson quasiment improvisée au tournage, où chacun y va de son couplet. On reconnaît Ward Bond dans le rôle du chauffeur, futur interprète d’innombrables films de John Ford.

L’innovation de NEW-YORK MIAMI tient aussi à cela : le voyage. La comédie ne se filme plus entre quatre murs, souvent des adaptations théâtrales, comme Capra y reviendra avec ARSENIC ET VIEILLES DENTELLES - clic ici -. Le réalisateur lâche ici ses personnages dans la nature, on est dans ce qu’on appellera plus tard un road-movie, les films de Gérard Oury ou Francis Weber chez nous reprendront le même schéma.

Un accident de la route oblige les passagers à dormir dans un motel. La séquence est fameuse. Capra se moque du code Hays garant de la bonne moralité au cinéma, interdisant un homme et une femme non mariés à partager, à l'écran, une même chambre. Peter Warne sort de sa valise une corde sur laquelle il étend une couverture (il appelle ça « le mur de Jéricho ») chacun s’installant de part et d'autre. C’est à cette occasion que Clark Gable se dessape, apparaît torse nu, alors qu’on ne perd rien de la silhouette de Claudette Colbert en nuisette, filmée à contre-jour. C’est dans cette même piaule, pour donner le change à la police, que le couple va improviser une scène de ménage, pas très compliquée à interpréter vu les relations tendues entre les deux interprètes.

D’autres scènes formidables rythment le film. La traversée de la rivière, magnifiquement photographiée, ou la nuit dans une meule de foin, où Peter Warne ira voler des carottes qu’il grignotera à la manière de Bugs Bunny. Citons aussi la leçon de trempette de donuts dans le café, et l’épreuve de l’auto-stop. Lui qui se prétend un as du lever de pouce en fait une démonstration très scientifique, mais vaine. Elle, qui s’allonge en équilibre et en toute décontraction sur une barrière (génial !), propose sa méthode infaillible pour capter l'attention des automobilistes : retrousser sa jupe.

Par rapport aux futurs films de Capra qui fustigeront le cynisme des puissants, les riches et les médias aux ordres, corrompus, il est intéressant de noter qu’ici les journalistes ont une morale, une éthique. Et le père d’Ellie, tout milliardaire qu’il soit, capable de monopoliser les services de police pour retrouver sa progéniture, conseillera finalement à sa fille d’épouser l’homme qu’elle aime, plutôt que le meilleur parti financier. Les riches ont donc un coeur. Persuadé que Peter Warne vient lui réclamer les 10 000 dollars de récompense pour lui avoir ramené sa fille, le paternel l’entend simplement exiger : « elle me doit une nuit d’hôtel et deux petits déjeuner, soit 39 dollars ! ».

NEW-YORK MIAMI est un film bourré de charme, les péripéties sont nombreuses et les dialogues pétillants. Il peut paraître parfois un peu daté dans sa forme, tourné y’a presque 90 ans, avec ses recadrages dans l’axe un peu moches, c'était la grammaire cinématographique de l'époque. Mais à la seconde où la mécanique se met en route, tout s'emballe, on reste scotché jusqu’au bout, par l’habilité de Capra à mener son récit. Même si on en subodore la fin, comédie romantique oblige. Le dernier plan se joue encore de la censure : une couverture jetée au sol, au son d’un coup de trompette (de Jéricho) qui laisse entendre que le mur est enfin tombé…

noir et blanc  -  1h45  - format 1:33

En extrait, la scène de l’auto-stop, puis une interview (en français) de Claudette Colbert. 


2 commentaires:

  1. Je l'ai vu c'est sûr et je crois que j'avais bien aimé (la Capra touch ?)
    Je me souviens (comme tout ceux qui l'ont vu ?) de la scène de l'auto-stop (un choc, bien que très vieux, j'étais persuadé que c'était les babas cool, hippies et autres migrants vers l'Ardèche, le Larzac ou Katmandou qui avaient inventé l'auto-stop) et de celle de la chambre avec le drap et la Colbert en ombre chinoise ...
    Après, l'histoire en elle-même, le couple que tout sépare au départ et qui finit en grand amour, ça a été décliné tellement de fois ...
    Je savais pas que c'était les débuts de Gable ...

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  2. Gable était en début de carrière (il était figurant dans le premier Ben-Hur !) mais déjà une star grâce à son duo avec Jean Harlow, il jouait les aventuriers viriles. Il travaillait à la MGM, studio prestigieux qui payait bien. D'où la punition de l'envoyer à la Paramout, qui à l'époque ne boxait pas dans la même catégorie.

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