vendredi 17 janvier 2014

"1Q84" de Haruki Murakami (2009) par Luc B.

Immense, généreux et talentueux écrivain japonais vénéré et salué de tous, dans son merveilleux pays d’origine et à travers le monde, Haruki Murakami, est l’auteur d’une dizaine de romans tous plus riches les uns que les autres, depuis son entrée en littérature en 1973…

Stop ! Oh bon sang, la plaie, on se croirait chez Stéphane Bern…

Non, je ne vais pas vous la jouer comme ça, parce que honnêtement, j’ignorais totalement cet auteur et cette série de livres avant que mon frangin y’a trois mois ne me tende 1Q84 en me disant : tiens, tu connais ça ?

1Q84 a effectivement été un immense succès de librairie, et son auteur jouit d’une excellente réputation. Comment vous présente ce livre ? Ça tient du récit fantastique, de l’histoire d’amour (impossible ?), du thriller. A la fois totalement passionnant et déconcertant. L’histoire et la construction, sont les suivantes : un chapitre par personnage, à tour de rôle, et on commence par Aomamé, une jeune femme de 30 ans, coincée au fond de son taxi dans un immense embrouillage. Et un morceau de musique qui passe à la radio, Sinfonietta de Leos Janàcek, et une étrange conversation qu’Aomamé engage avec le chauffeur mélomane (la musique tient une large place dans le roman). Aomamé va être en retard à son rendez-vous. Sur les conseils du chauffeur, elle quitte la voiture, les voies, emprunte un escalier de secours pour rejoindre à pieds la gare la plus proche. Elle est à l’heure à son rendez-vous, dans un hôtel, dans la chambre d’un riche homme d’affaire, qu’elle va soulager de ses douleurs. Elle est chiropracteur. Mais ce client-là, elle va le soulager pour de bon, avec une fine aiguille plantée dans le cou. Hop. T’es mort. Aomamé est aussi tueuse à gage...  

Tengo travaille comme relcteur pour l'éditeur Komatsu. Ce dernier lui propose un deal. Il a entre les mains le manuscrit d’une jeune fille de 17 ans, Fukaéri, qui s’appelle LA CHRYSALIDE DE L’AIR. Il souhaite la faire concourir à un prix littéraire mais le texte a besoin d’être réécrit. Tengo s’en chargera, clandestinement. Tengo hésite, l’affaire lui semble louche, et pose comme condition préalable à rencontrer Fukaéri. La femme fille s'avère mutique, introvertie, étrange, quasi analphabète. Dans l'incapacité à avoir écrit son histoire, et incapable dans faire toute promotion dans les médias. Plus étrange, elle soutient que son histoire est réelle. Celle d’une gamine échappée d'une secte, Les Précurseurs, aux prises avec des Little People, petits êtres sortis de la gueule d’une chèvre morte… Fukaéri vit chez son oncle, qu’elle appelle Le Maître. Fasciné par Fukaéri et son roman, Tengo accepte le travail.

Depuis qu’Aomamé a emprunté ce raccourci, elle ressent une étrange impression, que son monde a changé. Des pans entiers semblent avoir disparus, comme si elle avait raté des épisodes. Comme si elle avait été poussée sur une voie parallèle, un deuxième monde, une autre réalité. Pourquoi n’a-t-elle, par exemple, aucun souvenir de ce fait divers sanglant, l’attaque par les forces de l’ordre d’une secte d’extrémistes, Les Précurseurs. (On se souvient de la secte Aum au japon, des attaques au gaz sarin). Tout en poursuivant son activité de tueuse, Aomamé enquête sur son propre passé ...

Je m’arrête là, mais vous avez compris le principe. Deux histoires qui n’en font qu’une, incroyablement, ingénieusement, vertigineusement liées. D’autant qu’on apprendra que Tengo et Aomamé se sont connus, brièvement, à l’école, il y a 20 ans. Une sensation étrange émane de ce livre, dès le départ, avec cette scène d’embouteillage, magistralement écrite. Le rythme de la narration est lent. C’est imperceptiblement que Haruki Marukami nous plonge vers le fantastique, par petite touche, comme Polanski le fait au cinéma. On voit venir certains rebondissements, mais le plus important est comment l’auteur orchestre le tableau d’ensemble. Beaucoup de questions, de mystères. Et des images simples, belles, comme la présence de deux lunes dans le ciel, selon la réalité à laquelle on appartient, le monde de 1984, et l'année 1Q (comme Question) 84, où commence à bifurcation temporelle (1984, comme le titre du roman de George Orwell). Et cette idée de Aomamé et Tengo, se croisant quelques secondes à l'adolescence dans le même lycée, et définitivement liés, se cherchant l'un et l'autre au travers d'autres amants. 

L’aspect thriller est présent avec Aomamé, la tueuse méticuleuse. Mais aussi dans cette campagne de communication de l’éditeur Komatsu, pas très nette, pour promouvoir LA CHRYSALIDE et son auteur. Pas très net non plus le rôle de cet oncle, le Maître... Pas clairs ces hommes d’influence, qui semblent en connaître beaucoup sur Tengo et son rôle dans le succès de LA CHRYSALIDE DE L’AIR. Le suspens est savamment entretenu lors de l’élaboration et l’exécution du plan pour supprimer l’homme mystérieux qui dirige la secte. On pense à la rencontre entre Martin Sheen et Brando dans APOCALYPSE NOW...  Haruki Marukami étire le temps, fait durer une action courte dans le temps sur plusieurs chapitres, et on reste captivé. Les personnages sont extrêmement bien brossés. Les gardes du corps Tête de Moine et Queue de Cheval foutent vraiment les jetons, ou Tamaru, l’homme à tout faire de la vieille femme… C'est un roman qui envoute, ça tient presque de VERTIGO de Hitchcock, et de BASIC INSTINCT ! Car le sexe est très présent, cru, explicite (un peu redondant tout de même). Aomamé a une vie sexuelle mouvementée, sa rencontre avec Ayumi, une fliquette adepte des plans à 4, à qui il va arriver des bricoles. Ou Tengo qui voit chaque semaine une femme mariée, à qui il va arriver des bricoles…

Alors pourquoi ce roman est-il aussi agaçant. Parce qu’il est aussi terriblement répétitif. Je ne parle pas de la lenteur. Mais des points de vue qui s’additionnent. Exemple précis, lorsqu’Aomamé se renseigne sur la secte des Précurseurs, ça fait 20 pages. Lorsqu’elle raconte cela à la vieille femme, ça en fait 20 de plus. Si elles en reparlent plus loin, paf, 20 pages...  Au lieu d’écrire « et Aomamé lui raconta les recherches auxquelles elle s'était livrée »… ben non, Murakami répète tout. On tient quand même dans les mains trois tomes de 550 pages ! Une fois qu’on a compris le principe, au milieu du tome 1, on saute un paragraphe, une page, 10 pages. Je ne vois pas d’autre solution pour poursuivre la lecture.

Il y a dans ce roman des thèmes (qu'il serait trop de développer ici) et des personnages magnifiquement traités. On ne peut nier le talent d'écriture, certaines pages se relisent juste parce que la prose est magnifique. On pourrait dire que c’est l’œuvre d’un virtuose. Et en même temps, cette sensation que l’auteur a chargé quelques caisses de trop, que l’embarcation est trop lourde, la ligne de flottaison bien entamée, à chaque lecteur de larguer du lest pour avancer plus vite, ne pas s’échouer (plusieurs fois on a envie de quitter le navire, mais quelque chose vous retient) et vraiment profiter du voyage.

C'est long, mais c'est beau. 
Mais qu'est ce que c'est long...
Mais qu'est ce que c'est beau... 


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