samedi 28 novembre 2015

BEETHOVEN – Symphonie n° 9 "Ode à la joie" – KARAJAN (1963) – Par Claude Toon



- Ah ah M'sieur Claude, on poursuit d'année en année l'intégrale des symphonies de Beethoven dans le Deblocnot'
- Eh oui, chère Sonia, les 9 symphonies auront chacune leur chronique. Après les 3, 5, 6, 7, place à la 9ème
- Le maestro Herbert von Karajan est de nouveau la vedette de l'article, il doit pourtant exister plein de versions avec des chefs moins connus…
- Bien entendu mon petit, mais le chef autrichien a enregistré 4 fois ce cycle de symphonies qu'il affectionnait, particulièrement cette 9ème. Et puis j'ai parlé de Furtwängler, l'autre grand serviteur de cet ultime chef d'œuvre il y a quelques semaines… Je reviendrai sur la pléthore d'enregistrements passionnants disponibles…
- Pourquoi 1963 ? C'est un peu ancien non ?
- C'est la version que je préfère sur les quatre, notamment grâce aux chanteurs et, contrairement à ce que vous craignez, la stéréo est superbe…

Comme souvent Sonia pose les questions essentielles. Il ne serait pas pensable de clore un jour le blog et sa rubrique musique classique sans être allé à la rencontre de la symphonie la plus connue de Beethoven avec la 5ème pam pam pam paaaam (Clic). Quand j'écris connue, j'ai un doute. Qui n'a pas entendu un jour l'ode à la joie qui conclut cette grande symphonie ? François Miterrand qui n'aimait pas la demi-mesure la fit jouer lors de son intronisation comme président en 1981, devant le Panthéon avec un orchestre placé sous chapiteau… On appelle cela la folie des grandeurs :o). Mais cette longue conclusion lyrique est précédée de trois autres mouvements instrumentaux, d'une grande modernité pour l'époque. leur écriture prouvait définitivement que Beethoven était bien l'inventeur du romantisme en musique.
On entend souvent ce choral final joué pour les grandes occasions : dans les stades, et plus généralement toutes commémorations pour la paix et la réconciliation… Quant au cinéma, la symphonie a été utilisée dans les B.O. d'au moins 13 films, l'utilisation la plus marquante étant celle d'Orange Mécanique de Kubrick où le thème glorieux du chœur sert carrément de leitmotiv.
Je ne présente plus Herbert von Karajan déjà au centre de chroniques diverses allant de La Création de Haydn au Sacre du printemps de Stravinsky, en passant par la 5ème symphonie de Prokofiev et le Requiem allemand de Brahms (avec des chanteurs que l'on va retrouver aujourd'hui) (Index). Donc quatre intégrales ont été réalisées par ce chef, de 1955 en mono avec le Philharmonia, jusqu'à l'ère numérique en 1984. Les autres, analogiques, datent de 1963 et 1977 et les trois dernières, en stéréo, ont été gravées avec la Philharmonie de Berlin. J'ai découvert véritablement cette symphonie dans cette interprétation vers 1969 (la plus réussie du maestro d'après certains). Ce fut une révélation, ce qui explique sans doute mon choix un soupçon subjectif pour ce billet, d'autant que, raison pratique, je dispose d'une vidéo de très bonne qualité…
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Beethoven vers 1825
Beethoven est au faîte de sa gloire dans les années 1820. Nous avons accompagné les douleurs et succès du compositeur dans les nombreux articles déjà consacrés à l'homme des symphonies, bien entendu, mais aussi des sonates, des quatuors et autres concertos. Je vous renvoie à l'index (Clic). Beethoven s'est passionné pour la forme symphonique et l'a transcendée entre 1800 et 1813. Il a posé la première pierre du romantisme en créant la symphonie n° 3 héroïque en 1804, ouvrage aux larges proportions et porteuse d'un message humaniste, à l'opposé d'un simple esthétisme classique. Il compose souvent ses symphonies par deux : 3-4, 5-6, 7-8, cherchant à opposer des forces telluriques et dramatiques (impairs) à des préoccupations plus expressionnistes et optimistes (N° pairs). Pourtant, pendant près de dix ans, il va laisser de côté ce style de composition.
1822-1824 : Beethoven entrevoit sans le savoir le crépuscule de sa carrière, il mourra en 1827. Bien que définitivement victime de surdité (il entend quelques graves), il atteint la quintessence de son art à travers ses plus grandes créations : les derniers quatuors (voir article sur le 15ème de 1825 - Clic), les dernières sonates pour piano (30-32) de 1820-1822, la Missa Solemnis de 1822. Un ensemble d'œuvres qui marquera à jamais l'histoire de la musique tant par la révolution apportée à l'écriture, l'émotion épique qui s'en dégage, que par la virtuosité extrême exigée des interprètes.
Pour comprendre pourquoi le projet de ce monument de plus d'une heure avec son final en forme d'oratorio est tardif, il faut remonter en 1792, époque où le jeune homme de 22 ans découvre avec gourmandise Goethe et Schiller et partage avec ces poètes le goût pour l'épicurisme, la fraternité et la nature à la manière d'un Rousseau (Symphonie "pastorale"). L'ode à la joie de Schiller le passionne et c'est autour des réflexions sur ce poème humaniste que va naître la dernière symphonie du maître.
Pour rester simple, la symphonie sera le fruit de plusieurs recherches qui préoccupaient Beethoven depuis de nombreuses années.  
1812 : Il travaille sur une symphonie en ré mineur, une suite logique de la 8ème, qui ne verra jamais le jour. Dans les années qui suivent Ludwig van envisage la mise en musique de L'Ode à la joie sous une forme orchestrale. En 1822, il compose trois premiers mouvements purement instrumentaux d'une nouvelle symphonie et, en 1824, surgit alors l'idée d'achever l'œuvre par un chœur. La première symphonie "avec chœur" de l'histoire est née. Il faudra attende 1840 et la Symphonie "Chant de Louange" de Mendelssohn pour écouter la seconde. La symphonie n° 2 "Résurrection" de Mahler devra aussi beaucoup à ce concept.
La création a lieu en mai 1824 au Kärntnertortheater de Vienne sous la direction de Michael Umlauf. Ce chef-compositeur est un familier de l'œuvre de Beethoven. Ce dernier, toujours ombrageux, s'est invité, assis au sein de l'orchestre, pour battre le tempo qu'il souhaite. Umlauf n'en tient pas trop compte, de toute façon Beethoven n'entend plus rien… Umlauf assure au mieux l'exécution d'une partition d'une complexité inouïe pour l'époque, sachant que le concert se poursuivra par des extraits tout aussi élaborés de la Missa Solemnis. La contralto arrêtera Beethoven qui continue sa battue après la fin de l'exécution pour lui montrer un orchestre et un public subjugués.
Approximative cette première ? Surement, car il n'y eu que deux répétitions, mais c'est un triomphe ! La postérité, on la connaît…
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L'orchestration est riche pour ces premiers temps du romantisme : 2 flutes + 1* picolo, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons et un contrebasson*, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones ; plus innovant encore : la percussion qui comprend 2 timbales, un triangle*, une grosse caisse* et des cymbales*, et évidement des cordes plus nombreuses qu'à l'accoutumée. Côté chant : 4 solistes : soprano, alto, ténor et basse et un grand chœur mixte. Il faut remonter aux oratorios de Haydn pour approcher un tel effectif.
(*) Uniquement dans le final.
Les durées indiquées sont celles de la vidéo. Désolé pour les publicités parasites (notamment au milieu de l'adagio, ça fait classe ! C'est nouveau ça, chez YouTube)

Friedrich von Schiller (1759-1805)
De facture classique, la symphonie comporte quatre mouvements. Le final, scindé en deux parties distinctes, échappe à la forme usuelle. Par contre les durées de chaque morceau oscillent entre 11 et 25 minutes pour un total de 1h06 dans l'interprétation écoutée ce jour. Du jamais vu jusqu'à cette date de 1824, le public aimant plutôt les petits formats proches de la demi-heure comme justement la 8ème symphonie de Beethoven, clin d'œil au style de Haydn et de Mozart.

1 - Allegro ma non troppo un poco maestoso : Toutes les symphonies de Beethoven (hormis la 4ème) nous prennent à bras le corps dès l'attaque des premières mesures. Des tuttis comme dans le motif immortel de quatre notes de la 5ème. Rien de cela cette fois-ci. Un accord tenu et ténu en quinte la mi des cors est soutenu par le bruissement des trémolos des cordes sur le même accord, un octave plus bas. La tonalité apparaît indéterminée, l'atmosphère est étrange et anxiogène. Faut-il songer au murmure révolté d'une foule éprise de liberté ou de la vindicte contenue de Beethoven lui-même face à son infirmité ? Beethoven jette le trouble dans les esprits, maintient le mystère quant à la nature du thème initial. Il faudra attendre la fin de ces sombres douze mesures introductives, éclairée lueur par lueur par les clarinettes, hautbois et flûtes, pour se prendre en pleine tête un tutti ; que dis-je : un cluster de tout l'orchestre. [0:30] Le thème, puissant, en arpèges descendants évoque une clameur, celle d'une humanité en quête de liberté. La tonalité tragique de ré mineur, enfin établie, sous-entend que le combat pour gagner ladite liberté n'est pas à exclure. Le rythme martial voire grandiose (maestoso) des premiers motifs suggèrent un chant aux accents révolutionnaires. La ligne mélodique se veut rugueuse, syncopée par de nombreux demi-soupirs, scandée par des notes piquées, un déchainement. Ce passage qui nous plonge dans des abysses farouches se termine brutalement par une chute en arpège [1:02], une suite de notes apaisantes et inattendues que certains chefs ne savent pas trop dérouler finement… Et là, on apprécie la maîtrise du legato et l'obsession du beau son de Karajan. Cette transition énigmatique entre la furie du thème principal et la délicatesse de la reprise est négociée avec une élégance confondante. La maitre autrichien sait et montre que la férocité musicale n'est pas antinomique avec la poésie lors de cette transition, ce passage entre la révolte et la réflexion intime, le mystère. Beethoven assure classiquement la reprise de l'introduction da capo, mais omet la transition pour permettre le déploiement direct de nouvelles idées moins farouches, plus populaires voire pastorales. L'humanité en marche.
Gustav Klimt : 9ème symphonie
XXX
La polyphonie reflète une richesse inconnue jusqu'alors dans l'univers symphonique du compositeur. [4:40] Un simulacre de reprise nous entraîne dans une courte méditation métaphysique très interrogative. Beethoven mêle le mystère des premières mesures avec le thème principal assagi et murmuré par les cordes. Un miracle d'architecture contrapuntique. La musique semble chercher un but. Les bois dialoguent en débat public (oui, une drôle de métaphore, mais on imagine un meeting de l'harmonie). Beethoven va faire preuve dans toutes les variations d'une audace sans égale à l'époque. Moderne ? Oui ! Car les oppositions entre les masses sonores ne sont que chocs et véhémences, sans aucune concession pour tenter de charmer un auditoire noble, intellectuel ou bourgeois. En 1824, Beethoven établit des règles nouvelles de composition : une variété des développements, une sauvagerie expressive et une cohérence malgré la durée des morceaux que l'on retrouvera seulement 50 ans plus tard chez Bruckner. Pas étonnant qu'un Brahms ait tant tardé pour oser écrire une première symphonie qui puisse ne pas paraître simpliste. Wagner affirma que cette 9ème qu'il admirait plus que tout, était la dernière symphonie qui serait écrite, personne ne pouvant, à son avis, rivaliser avec ce mouvement cataclysmique et pourtant sans lourdeur. Remarque valable pour toute l'œuvre d'ailleurs. À noter que, quoi que l'on puisse craindre, sous la baguette du parfois hédoniste Herbert von Karajan, la musique surgit de manière volcanique, sans aucun pathos. On retrouve cette énergie ardente jusqu'à la coda.

Kärntnertortheater de Vienne
2 – Molto vivace : Les scherzos ou menuets écrits par Haydn, Mozart, Schubert avant cette 9ème symphonie sont sans exception des morceaux brefs destinés à détendre l'auditeur avant le final plus ambitieux d'une symphonie. Beethoven innove avec un mouvement de douze minutes qui n'a rien d'un divertissement. L'idée de donner son importance dramatique à ce passage imposé par la forme avait déjà germé dans la 7ème symphonie.
L'introduction sur 8 mesures est surprenante d'audace : deux accords violents descendants seront répétés dans quatre mesures, trois fois aux cordes, la troisième mesure frappée aux timbales seules. Les autres mesures sont des pauses, du silence ! Beethoven retrouve l'effet de surprise implacable du pam pam pam paaaam de la 5ème symphonie. Beethoven, une fois de plus, ne cherche pas à nous enchanter, mais à nous taper sur l'épaule.
Après cet assaut ff, les cordes nous entraînent vaillamment dans une course fuguée et alerte. La dynamique s'amplifie jusqu'à une folie dionysiaque en perpetuum mobile à laquelle participent les flûtes et les bois. Beethoven part loin dans la rage : lors d'une reprise de ce thème échevelée par les bois, les timbales scandent cette chevauchée frénétique. Herbert von Karajan cravache son magnifique orchestre avec panache et respecte des petits détails, comme dans cette reprise où  le cinquième motif de timbales doit être joué piano. (Il est bien le seul à y penser.) [20:02] Le climat élégant du trio tranche nettement avec la furie virile du scherzo. Plusieurs motifs mélodiques bravaches ou bucoliques (chant pastoral des cors et hautbois) s'entrecroisent avant une reprise quasiment da capo du scherzo. Le chef maîtrise un tempo vigoureux sans jamais se laisser tenter par des accélérations qui pourraient nuire à la vivacité rythmée du discours. La coda clôt par quelques accords staccato ce mouvement un peu fou. Bien que le ré mineur domine, doit-on penser à des emportements pathétiques ou à l'expression d'une force brute et vitale, ou tout simplement une symbiose des deux ?

Janowitz / Berry / Rössel-Majdan / Kmentt
3 – Adagio molto e cantabile : [26:25] Après l'énergie expansive des deux premiers mouvements : un peu de calme et de rêverie. À noter que Beethoven a encore innové en plaçant le vigoureux scherzo après l'allegro initial et non après le mouvement lent, comme il est d'usage. Le mouvement lent va permettre d'apporter un passage méditatif avant le long final. Basson et clarinette illuminent les premières mesures puis sont rejoints par une mélopée aux cordes. Le compositeur joue la carte de l'apaisement mais précise "cantabile", c’est-à-dire "en chantant". Le tempo adagio implique une grande sérénité, mais le souci de voir "chanter" l'orchestre exclut toute gravité dans la pensée de Beethoven. Tout le début du mouvement baigne dans une tendresse nocturne, un optimisme apporté par les modes majeurs de mises dans l'adagio. Karajan fait réellement chanter les belles cordes de la Philharmonie de Berlin. La petite harmonie et les cors interviennent pour colorer le paysage. [29:11] Un andante plus bucolique et élégiaque nous renvoie à l'époque de la 6ème symphonie "pastorale". Et c'est une constante dans cette grande partition de réunir le meilleur des trouvailles et innovations de toute une vie de composition. Le développement se prolonge délicatement avec plein de fantaisies intimes, comme le dialogue des bois sur des pizzicati des cordes suivi d'un chant lointain des cors qui inspirera, à l'évidence, un Mahler dans les symphonies illustrant l'univers magique du knaben wunderhorn (symphonies 1, 3 & 4). [38:09] Beethoven peint-il un monde idyllique ? Non pas complètement, le morceau se teinte d'interrogations douloureuses sur la justice et l'égalité face à ce bonheur qu'il évoque dans cet adagio. Trompettes agrestes et cordes basses dramatisent et tentent de s'opposer à la nonchalance onirique qui sied depuis l'introduction du mouvement. Cependant, Beethoven conclut de manière lyrique cette page, toute aussi importante dans son parcours musical que la marche funèbre de l'Héroïque l'a été 20 ans plus tôt.

4 - Presto et Chœur Final [42:50] Avant d'analyser ce final dantesque, il est important de souligner qu'initialement Schiller devait titrer son poème "Ode à la liberté". Vous imaginez le tollé en ce siècle des lumières certes, mais où les monarchies et les privilèges sont partout encore triomphants en Europe. Donc pour éviter  la censure, ça sera "Ode à la joie".
Le final se structure en deux parties : un presto orchestral de 6 minutes environ puis une partie chorale d'une vingtaine de minutes articulé autour de divers extraits du poème de Schiller.
Le maestro a fait appel pour sa gravure à quatre chanteurs souvent complices de ses enregistrements dans les années 60. La soprano aux aigus séraphiques Gundula Janowitz déjà entendue dans le Requiem allemand de Brahms et Carmina Burana de Orff dirigé par Eugen Jochum (clic) et (clic). La contralto Hilde Rössel-Majdan, le ténor Waldemar Kmentt et enfin le baryton Walter Berry.
Bien, j'ai déjà utilisé des adjectifs comme vigoureux, énergiques, etc. Pour définir l'effet donné par les premières mesures du presto, je suis un peu à court de vocabulaire : disons une fanfare débridée ff aux cordes, timbales et cuivres, interrompue sèchement par le premier leitmotiv du final joué aux contrebasses. Un thème que l'on retrouvera lors de l'entrée du baryton pour le début de la partie lyrique. Ayant composé séparément les trois premiers mouvements, Beethoven imagine un génial récapitulatif dans lequel, entre chaque répétition en variation du violent thème introductif, une citation des trois mouvements précédents est insérée : [43:40] allegro [44:13] vivace [44:36] adagio. Le compositeur établit ainsi un lien de cohérence entre les différents mouvements. Et, plus fort, les citations subissent un allégement de leur orchestration qui magnifie le contraste entre les nouvelles forces orchestrales en présence et l'esprit de puissance indomptable que Beethoven va insuffler dans le choral. Encore quelques variation et à [45:54] le noble second leitmotiv que tout le monde connaît par cœur fait son apparition, aux cordes d'abord auxquelles vont se joindre les bois. Le crescendo va ainsi gagner tout l'espace sonore jusqu'à un retour tonitruant du motif initial qui marque l'entrée du final chanté. Bruckner, dans le final imposant de sa 5ème symphonie reprendra à son compte ce principe du rappel par citations des épisodes précédent.
Chœur du Singverein de Vienne
XXXXX
C'est au baryton que Beethoven confie la première strophe : "O Freude". Chantant sur les leitmotive déjà entendus dans le presto, les quatre solistes et le chœur vont reprendre le texte. [52:44] Une délicieuse petite fanfare se fait entendre, pas militaire, plutôt villageoise avec des majorettes. Contrebasson, piccolo, grosse caisse, cymbales et triangle se manifestent de manière martiale et pittoresque. D'autres instruments à vents vont se joindre à cette harmonie de carrousel. On entend, chantée par le ténor puis le chœur d'hommes, la seconde strophe : "Joie, Joie…". Beethoven trouve encore une idée incroyable : [54:22] après la fête au village, voici une fugue tempétueuse où domine le quatuor des cordes du Philharmonique de Berlin lancé comme un cheval au galop. Métaphore guerrière de circonstance, car après s'être posé la question concernant l'intrusion inopinée de cette intermède, la réponse est assez évidente dans ce contexte de chant de liberté. Cette liberté aura un prix : la lutte. N'oublions pas que Beethoven fut un chaud partisan de la révolution française (même si la guillotine faisait tâche) jusqu'au retour d'un régime monarchique avec l'Empire. Cette fugue instrumentale est un chant de révolte.
[56:05] sur le thème glorieux développé en fin du presto fugué, le chœur entonne une nouvelle strophe. Je ne vais pas plus loin… On aura compris l'esprit de la composition : une suite en continu de paroles de fraternité où tous les styles, de la clameur populaire à la ferveur amoureuse entre tous les hommes, sont abordés avec des matériaux sonores auxquels l'oreille adhère immédiatement. De telles cohésions, pendant une heure et plus, dans l'histoire de la musique sont rares : les passions de Bach, Tristan de Wagner, la Fantastique de Berlioz Le langage de Beethoven se voulait universel, il l'est. Quelques passages, dont un quatuor des solistes (idée empruntée à son opéra Fidelio), conduisent à une coda étincelante appuyée par des cymbales endiablées… Je n'ai pas cru bon de répéter que la direction de Karajan est d'une précision et d'une vitalité sans réserve et que le chef électrise ses chanteurs et le chœur du Singverein de Vienne.
La partition manuscrite de cette œuvre unique est conservée aux USA, à la bibliothèque du congrès, et a été inscrite au registre "mémoire du monde" de l'UNESCO en compagnie entre autres de la Bible de Gutenberg, du film Metropolis de Fritz lang, etc..
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Cette interprétation en CD simple semble hors catalogue pour le moment. On la trouve dans l'intégrale de toute beauté de 1963. Le CD de l'interprétation de 1977 est également disponible et, quoique moins survoltée, on pourra y apprécier un Karajan encore plus attentif à la subtilité de la construction. Par ailleurs, les chanteurs y sont excellents avec notamment José van Dam et Peter Schreier (Dgg 5,5/6).
On ne peut pas terminer cette chronique (heu... oui Rockin' et Luc, c'est long, mais le sujet le vaut bien…) sans évoquer les enregistrements de Wilhelm Furtwängler. Hormis le légendaire enregistrement gravé par EMI en live lors de la réouverture du Festival de Bayreuth en 1951, on trouve également des live à Vienne où ailleurs (Orfeo 6+/6). Le CD de cette soirée de 1951 n'a jamais quitté le catalogue et a été réédité par différents labels. On a bien entendu joué cette œuvre sur instruments d'époque. Est-ce bien nécessaire ? Cette symphonie romantique aux effectifs puissants n'y gagne pas grand-chose et seule l'interprétation de Nikolaus Harnoncourt dirigeant l'Orchestre de chambre d'Europe a marqué durablement cette expérience : limpidité du phrasé, articulation allègre malgré des tempos insolites  (Teldec - 5/6).

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7 commentaires:

  1. là, on s'incline: le génie de Ludwig dirigé par la main du maître. Une symbiose parfaite, rare. What else ?

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  2. Claude, je m'étonne tu es oublié de dire que le final de la neuvième est l'hymne européen. Sinon j'ai ce coffret de la 9 ème couplé avec l'ouverture "Coriolan". J'ai aussi une version par Furtwängler, avec le philarmonic de Berlin aussi un enregistrement live mais de 1942 , un enregistrement qui a du faire führer à l'époque(collection Turnabout). Un double album que j'avais dus payer une misère dans une petite boutique au pied de la fontaine St Michel dans les années 80 (Qui malheureusement n'existe plus ! ). Il est vrai que l'on ne peut pas citer toute les version enregistrées, mais j'avais bien aimé celle de Wolfgang Sawallisch.

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    1. Bon ! Allez je retourne sur ma chronique sur Eric Satie, autre genre, autre école ! :-)

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    2. Oui Pat. On se doit aussi de signaler la reprise de l'interprétation tambour battant de Toscanini de 1942 (1 heure pile. Comme aurait dit Furtwängler "20 minutes de moins que moi" !!!).
      L'intégrale de Karl Böhm à Vienne des années 70 (Dgg) est trop occultée par Karajan 1 & 2, c'est un modèle de finesse, un Beethoven intime.
      Et, moins médiatique : Carlo Maria Giulini, deux fois au moins, avec le Symphonique de Londres (EMI) ou le Berliner (Dgg), des tempos retenus, un style grand seigneur comme toujours avec ce chef… Quand je disais "pléthorique"…

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  3. @ Pat Slade : c'est Karajan qui toucha les droits d'auteur pour l'hymne européen et il en est crédité comme "l'arrangeur" -réorchestation subtile mais réelle- :-) !
    Plus généralement , 1962, c'est très bien, vraiment, mais la plus belle version de Karajan, et peut-être même de l'entière discographie de l'oeuvre, c'est Karajan 1947 avec Vienne et, notamment, Hans Hotter en très grande forme ! Le plus beau troisième mouvement qu'il m'ait été donné d'entendre, un final très réussi et un premier mouvement d'un engagement rare -immense coda- ! C'est chez EMI, maintenant Warner.

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  4. Merci Diablotin

    J'ai eu un mal fou à trouver cet enregistrement officiel sur un site luxembourgeois : "http://www.cvce.eu/obj/hymne_europeen-fr-4b6e5671-a0fc-45fa-8368-f84e4817dc14.html"
    Karajan a remplacé les cordes par la petite harmonie. Curieux mais assez élégant... pour une hymne officiel je précise...

    Tiens, l’enregistrement de 1947 à Vienne (année de retour en grâce de Karajan après "dénazification") est disponible sur Deezer : http://www.deezer.com/album/3162811
    Belle énergie, mais le son est un peu sec...

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  5. Il existe également deux autres neuvièmes par Karajan :
    • l'une, très rare, avec le Philharmonique de New York, du 22 novembre 1958, repiquage d'un enregistrement radiodiffusé en GO, publiée chez Pristine. Beaucoup d'engagement, et très supérieur à ce qu'a pu faire Bernstein avec le même orchestre quelques temps plus tard -intégrale CBS-. Malheureusement, le son est assez pauvre.
    • l'enregistrement paru en DVD chez Deutsche Grammophon, à mi-chemin entre 1962 -pour l'engagement- et 1976 -pour la beauté sonore- : peut-être sa meilleure chez cet éditeur.
    • concernant le son de la version de 1947, le remastering le plus récent est le meilleur, celui de 1987, dans la collection "EMI Références" est de qualité moindre.

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